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Le syndrome des hauteurs

Même pour le pathétique épisode du naufrage, l’inconsistant Hassane Diab aura trouvé moyen de rater lamentablement sa sortie. Son chant du cygne ? Une dénonciation du conglomérat politico-mafieux qui tient à la gorge le pays, et face auquel il s’est avéré impuissant à remplir sa mission : thème que n’a cessé de brandir cette révolution du 17 octobre dont il a eu la surprenante audace de se réclamer quasiment. Son réquisitoire n’était hélas qu’une banale plainte contre X, Y ou Z (en réalité, l’alphabet tout entier n’y suffirait pas). Car par prudence ou simple reconnaissance du ventre, allez savoir, le Premier ministre démissionnaire s’est bien gardé de désigner nommément les saboteurs de réformes : lesquels ne sont autres que ceux qui l’avaient propulsé au Sérail.

Hassane Diab n’a pas eu plus de chance en lâchant ce qu’il croyait être une bombe politique, son baroud d’honneur : la promesse d’élections législatives anticipées, elles aussi réclamées par la rue. Châtié sur-le-champ pour crime de lèse-majesté, l’imprudent qui s’en était allé braconner sur les chasses de l’inamovible président de l’Assemblée! Menacé d’un infamant retrait de la confiance parlementaire, confronté à une série de démissions du dernier quart d’heure au sein de ses propres troupes, il ne restait plus à Diab qu’à déclarer forfait. Ainsi sautait le fusible le plus vulnérable d’un pouvoir littéralement soufflé, déstabilisé par les ondes de choc que n’a pas fini de propager la meurtrière et dévastatrice explosion du 4 août dans le port de la capitale.


Cavalièrement sacrifié, le gouvernement n’est pas, pour autant, au bout de ses peines. Chargé d’expédier les affaires courantes, il devra, pour une durée indéterminée, continuer de faire office, pour les tireurs de ficelles, d’écran protecteur face aux imprécations de l’opinion publique : de sac de sable, de punching-ball. Car en fait d’affaires courantes et en dépit de toutes les urgences, le président de la République, fidèle à son style, ne semble guère pressé d’initier les consultations parlementaires visant à assurer la relève gouvernementale.


En attendant qu’aboutissent les conciliabules en coulisses et que parviennent à destination conseils et interdits étrangers – prenez donc tout votre temps, Messieurs! – c’est une sidérante partie de ping-pong à multiples raquettes qui se joue en marge des investigations préliminaires sur l’explosion du port. Spectacle des plus sidérants en effet, que celui de ces autorités politiques ou portuaires et douanières, de l’armée, de divers services de renseignements et de magistrats qui se rejettent l’un l’autre la responsabilité du désastre. Voilà de quoi fignoler, parachever, la triste image qu’offre au monde l’État libanais, celle d’un père indigne, insouciant du sort de ses enfants, joueur, buveur et par-dessus le marché voleur, ayant en effet barboté le patrimoine familial avant de se retrouver sur le pavé et d’en appeler à la charité internationale. C’est de représentant de la kleptocratie libanaise que se faisait traiter dernièrement, sans broncher, sur CNN, le gendre et dauphin présumé du président de la République. Et parce qu’aucun officiel ne s’y hasarde, par peur de se faire huer ou molester, ce sont seulement des visiteurs étrangers qui s’en vont réconforter la population sinistrée…


Mais que dire de l’image qu’ont de l’État, et de ses instances les plus hautes, les citoyens eux-mêmes ? Jamais en vérité, dans les annales libanaises, régime n’aura été l’objet d’un tel courroux populaire, d’un tel flot de malédictions, de quolibets et même d’insultes, proférées aussi bien dans la rue que par nombre de médias. Jamais la présidence de la République n’aura été à tel point déconsidérée, devenant de jour en jour la cible prioritaire de la contestation. À l’image du gigantesque champignon qu’a vomi l’explosion du 4 août, l’opprobre et la colère ne pouvaient que monter haut, très haut. Le général Michel Aoun – qui de par sa fonction est aussi le commandant suprême des forces armées – n’a certes pas arrangé les choses en déclarant qu’il n’était pas habilité à surveiller l’assassine chienlit régnant au port…


Pour ces raisons, les fumées du cataclysme devraient, pour le moins, altérer sérieusement l’air pur de Bkerké, au point de commander certaines révisions déchirantes. Par souci des intérêts politiques et institutionnels des maronites, par attachement aux principes fondateurs de l’État du Grand Liban, le patriarcat a régulièrement historiquement proscrit toute atteinte au mandat présidentiel. Or tout comme le peuple, en sus de ses calamités domestiques, est l’otage d’un contexte régional des plus pervers, Michel Aoun est le prisonnier de ses alliances, celles-là mêmes qui lui ont permis de satisfaire ses ambitions présidentielles. Il est l’obligé de ses alliés ; il en est, lui aussi, l’impuissant otage, et on ne voit franchement pas quelle altération plus considérable pourrait affecter la sacro-sainte immunité de la présidence.


À l’heure de tous les périls, en ce centenaire du Grand Liban, le patriarcat maronite ne doit pas être l’otage, lui, de la tradition.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Même pour le pathétique épisode du naufrage, l’inconsistant Hassane Diab aura trouvé moyen de rater lamentablement sa sortie. Son chant du cygne ? Une dénonciation du conglomérat politico-mafieux qui tient à la gorge le pays, et face auquel il s’est avéré impuissant à remplir sa mission : thème que n’a cessé de brandir cette révolution du 17 octobre dont il a eu la...