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Société - Drame

Krystel el-Adem, la « joie de vivre » assassinée

« Des responsables satisfont leurs intérêts mercantiles au détriment des droits vitaux des citoyens », se désole le père de la jeune femme tuée à Gemmayzé, lors de la double explosion du port de Beyrouth.

Krystel el-Adem, la « joie de vivre » assassinée

Krystel el-Adem, une joie de vivre qui manquera à sa famille et ses amis. Photo DR

C’est comme un mariage tout en blanc qu’ont célébré dimanche la famille et les amis de Krystel el-Adem dans son village natal de Daroun (Kesrouan). Mais il s’agissait en fait de funérailles. Les proches de cette Libanaise de 36 ans seulement, pétillante de vie et d’amour, n’auraient jamais imaginé devoir l’enterrer là, maintenant. Déjà. La double explosion du 4 août, au port de Beyrouth, en a décidé autrement, plongeant dans la douleur ses parents, ses deux frères, ses proches et ses amis brisés et habités d’un sentiment d’injustice.Aux abords du village, le sourire qui ne quittait jamais le visage angélique de Krystel s’affiche désormais sur de grands calicots. Sous son image resplendissante, de sombres légendes illustrent l’ampleur du drame : « Krystel, martyre de la corruption et de la négligence », peut-on lire sur l’un d’eux. « Plutôt qu’une martyre, Krystel est une victime », objecte Diane Nasrallah, une amie de la disparue, soulignant qu’« elle aimait la vie dans tous ses aspects familial, social et professionnel ».

Sur la place de l’église, un tapis rouge a été installé. Des rangées de chaises blanches sont garnies de roses du même ton. Près de l’autel également fleuri, un écran géant installé sur le côté diffuse en boucle des séquences du temps du bonheur. De l’autre côté, un grand portrait surmonté d’une phrase pleine d’espérance : « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie. » « C’est sa nouvelle vie que nous célébrons », commente un ami. Très croyante, Dalal, la mère de la jeune femme, remercie Dieu. « Même si mon cœur brûle, je suis reconnaissante au Ciel de m’avoir donné 36 ans de bonheur aux côtés de Krystel qui rayonnait de sérénité et de joie. » Plutôt que de condamner la classe dirigeante pour cette perte, elle s’interroge : « Peut-être n’avais-je pas mérité ce cadeau ? » Tout aussi croyant, Nazih, le père de la disparue, demande toutefois au Seigneur « une petite récréation », sans en dire plus.

« Sauve-moi papa ! »

Au lendemain des funérailles de sa fille, il parvient davantage à s’exprimer. « Je ne peux m’empêcher d’avoir de la rancune envers des gens qui se targuent d’être des responsables mais qui profitent de leurs fonctions pour satisfaire leurs intérêts mercantiles au détriment des droits vitaux des citoyens », confie-t-il. Sans vouloir nommer quiconque, le père éploré dénonce aussi « les politiciens qui se laissent soudoyer par les mafias en vue d’occuper des postes institutionnels ». Il raconte qu’au lendemain du drame du 4 août, sa colère était telle qu’il n’a pu s’empêcher de contacter plusieurs responsables de divers courants politiques pour leur crier sa rage. La veille, Nazih el-Adem, qui exerce comme cardiologue, avait passé la pire journée et la pire nuit de sa vie. En visite chez son frère à Achkout, il entend la double déflagration. Se doutant que Krystel pouvait se trouver à Gemmayzé, dans l’appartement où elle avait choisi d’habiter pour être plus proche de son lieu de travail, situé au centre-ville de Beyrouth, il l’appelle. Au bout du fil, il reconnaît sa voix quelque peu modifiée par ce qui semble être une douleur atroce. « Sauve-moi papa, sauve-moi ! » Il raccroche, monte dans sa voiture et conduit à tombeau ouvert jusqu’à l’autoroute d’Antélias, où la circulation commence à se bloquer. Entre-temps, il a appelé la Croix-Rouge pour lui demander d’envoyer une ambulance auprès de sa fille pour la transporter à l’hôpital, ainsi que le valet-parking qui travaille près de son domicile pour le prier de la faire descendre du 2e étage où elle habite afin que le transport vers un hôpital soit le plus rapide possible.

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Il trouve la mort au chevet de sa fille à l’hôpital

Aux abords du siège des Kataëb à Saifi, les décombres couvrent la chaussée. La route qui même vers l’EDL étant fermée par un cordon de sécurité, il tente de faire des détours dans les petites ruelles encombrées. Au milieu des gravats, des voitures calcinées et des vitres brisées, des cadavres jonchent le sol. Ne pouvant plus avancer, Nazih el-Adem abandonne sa voiture et se met à courir vers le domicile de sa fille, à une centaine de mètres. Près d’une heure et demie se sont déjà écoulées depuis l’appel désespéré. Quand il retrouve sa fille, elle est toujours consciente et lui sourit. Il lui fait boire un peu d’eau mais la sent partir. Lui qui a pratiqué tant de massages cardiaques durant sa longue carrière tente de faire repartir le cœur de sa propre fille. L’ambulance n’étant toujours pas arrivée, vu le nombre de blessés, un automobiliste lui offre ses services. Ensemble, ils parviennent à l’hôpital des Sœurs du Rosaire, à l’angle de la rue Pasteur, tout proche. Sur le parvis, des membres du corps médical lui annoncent que l’établissement n’est pas opérationnel, dévasté lui aussi par les explosions. Un secouriste installe Krystel dans une ambulance garée à l’entrée, mais il interdit à Nazih de l’accompagner.Avec l’aide d’un ami, le père dévasté commence la tournée des hôpitaux. Partout, on lui dit que Krystel ne figure pas sur la liste des blessés. À l’aube, il reçoit enfin un appel d’un ami qui lui annonce que Krystel se trouve à l’Hôpital américain de Beyrouth (AUB). Et qu’elle est dans un état grave. « J’étais alors sûr que c’était fini », dit-il, soulignant qu’il s’était rendu auparavant dans cet hôpital lors de sa tournée, mais qu’il ne s’était pas rendu à la morgue même. Arrivé devant l’établissement, Nazih el-Adem n’a plus le courage d’entrer. L’ami qui l’accompagne le fait à sa place et ressort quinze minutes plus tard, lui confirmant la terrible nouvelle.

Elle n’a jamais regretté d’être rentrée au bercail « Durant les pires années de guerre, ma femme et moi n’avons pas voulu quitter le pays, comme une façon de faire de la résistance », dit encore Nazih el-Adem. « Nous avons veillé à l’éducation de Krystel et de ses frères sous les bombes et à la lueur des bougies, faisant d’eux des citoyens du monde », affirme-t-il, soulignant qu’après sa scolarité au Collège Notre-Dame de Jamhour, Krystel avait obtenu un master en économie de l’Université Saint-Joseph avant de poursuivre ses études à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) en France et de travailler dans une grande banque américaine à Genève. En 2013, elle a choisi de rentrer au pays et ne l’a jamais regretté. Outre son travail, elle était engagée dans nombre d’activités altruistes. Le jour même de sa disparition, elle avait fourni un ordinateur à un jeune de son quartier pour lui permettre de suivre un enseignement à distance. « Krystel était dotée d’une telle paix intérieure qu’elle pouvait aisément donner aux autres », témoigne Diane Nasrallah. À ses frères Cédric et Cyrille qui l’exhortaient à les rejoindre à Londres où ils vivent, Krystel répondait : « Même si le Liban qui me ressemble n’est plus très grand, je continue à l’aimer et à vouloir y rester. »

C’est comme un mariage tout en blanc qu’ont célébré dimanche la famille et les amis de Krystel el-Adem dans son village natal de Daroun (Kesrouan). Mais il s’agissait en fait de funérailles. Les proches de cette Libanaise de 36 ans seulement, pétillante de vie et d’amour, n’auraient jamais imaginé devoir l’enterrer là, maintenant. Déjà. La double explosion du 4 août, au port...

commentaires (12)

On ne peut rien dire , on ne peut rien ecrire .Les grands drames se subissent en silence !

Imad A. Aoun

07 h 08, le 18 août 2020

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Commentaires (12)

  • On ne peut rien dire , on ne peut rien ecrire .Les grands drames se subissent en silence !

    Imad A. Aoun

    07 h 08, le 18 août 2020

  • Nous sommes tous parents, frères ou soeurs de nos familles libanaises. Notre douleur est intense et pour une fois les mots ne manquent pas pour la traduire, juste la pudeur de ne pas en rajouter. Qu elle repose en paix et que la mémoire de sa joie vous amène la paix intérieure. Sincèrement

    Georges Khoury

    11 h 35, le 12 août 2020

  • Depuis plus d’un an je connaissais Krystel de nom suite aux nombreuses histoires ou anecdotes de travail que me rapportait ma fille qui était sa collègue au bureau. Krystel était aimée de tous et toutes, jamais de disputes avec d’autres employés, toujours prête à aider et rendre service. Une personne très humaine et ‘proche du cœur’. Nos sentiments les plus sincères accompagnent ses parents et ses proches, que Dieu les aide à supporter et surmonter cette terrible épreuve. Reposes en Paix Krystel..

    Fady Challita

    02 h 31, le 12 août 2020

  • Paix à ton âme Krystel ! Courage à ta famille!

    Salamé Bassam

    00 h 53, le 12 août 2020

  • A la lecture de cet article qui lui rend hommage: Sur terre, son âme reposait déjà en paix dans un pays meurtri. Là où elle est maintenant, elle est un ange de sa famille, des personnes qu'elles a aidée et du Liban (pas celui des corrompus). Quelle perte pour ce Liban !

    Alors...

    12 h 42, le 11 août 2020

  • Que ta mort ainsi que la mort de tous ces innocents fasse renaître un Liban nouveau. Que ton âme repose en paix.

    Georges Abou-Jamra

    10 h 12, le 11 août 2020

  • Repose en paix chère Krystel. Que ton sacrifice puisse servir pour le salut de ce pays pour ne pas que tu sois morte ainsi que tant d’autres compatriotes pour rien. Dieu s’occupera un jour de tous ces criminels.

    Sissi zayyat

    09 h 56, le 11 août 2020

  • parents ,vous avez donné le meilleur de vous meme et elle a pris le bonheur de vivre ,meme si sa vie a été bien trop courte; que cela vous permette de supporter la perte et que demeure près de vous ,à jamais ,sa joie de vivre; J.P

    Petmezakis Jacqueline

    08 h 25, le 11 août 2020

  • Rest in peace❤️?

    mariejoe jamous

    03 h 19, le 11 août 2020

  • Rest in peace ❤️?

    mariejoe jamous

    03 h 16, le 11 août 2020

  • Quand j’ai entendu ton nom sur les medias en tant que disparue, j’ai presque pas dormi de la nuit , le landemain la triste nouvelle tombe, mon cœur s’est serré! Je suis tellement triste, et comme j’ai écrit a ton père; on a tous perdu une étoile! Ton humour, esprit et intelligence vont me manquer. Répose en paix mon amie Krystel ( elle l’écrivait comme ca) et salutations de la ville où on s est rencontré pour la premiere fois. Adieu et désolé Xxx JB

    Jack Gardner

    01 h 47, le 11 août 2020

  • quelle immense perte que Dieu vous donne la force de traverser cette terrible épreuve

    rayelie

    00 h 56, le 11 août 2020

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