Le gouvernement de Hassane Diab a transféré lundi le dossier de la double explosion du port de Beyrouth à la Cour de justice, à la demande du président Michel Aoun et sur proposition de la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm.
La Cour de justice est un tribunal pénal d’exception, au même titre que la Haute Cour de justice qui juge les présidents et ministres, ou encore le tribunal des imprimés, ainsi que celui des mineurs. Concrètement, l’enquêteur judiciaire en charge de l’enquête préliminaire dans une affaire déférée devant la Cour de justice est à la fois juge d’instruction et procureur. La Cour de justice est compétente pour juger "tous les crimes commis contre la sécurité interne et externe de l’État ainsi que certains crimes contre la sécurité publique", rappelle le ministère de la Justice. Pour se saisir d’une affaire, la Cour doit le faire en vertu d’un décret émis par le Conseil des ministres, comme le prévoit l’article 355 du Code de procédure pénale. Il ne peut pas se saisir automatiquement d’une quelconque affaire. La Cour de justice est compétente pour juger à la fois les civils et les militaires. Les jugements devant la Cour de justice se font "conformément aux procédures en vigueur devant le tribunal pénal". Ses jugements "ne sont susceptibles d’aucune forme de recours ordinaires ou extraordinaires, à l’exception d’une opposition (les cas étant prévus dans le Code de procédure pénale) et d’un nouveau procès".
Le 4 août, deux explosions d'une violence inouïe ont ravagé le port de Beyrouth et de nombreux quartiers de la capitale, faisant près de 160 morts et 6.000 blessés, selon un bilan encore provisoire. Selon la version officielle, l'explosion a été déclenchée par un incendie dans un stock de 2.750 tonnes de nitrate d'ammonium entreposées au port depuis 2014 sans mesures de sécurité, de l'aveu même du Premier ministre. Le président de la République, Michel Aoun, a pour sa part évoqué l'hypothèse d'une bombe ou d'un missile. Il a rejeté les appels à une enquête internationale, estimant qu'elle "diluerait la vérité". Ce drame a suscité l'immense colère de la population, et deux manifestations, samedi et dimanche, ont été émaillées de violences, faisant un tué parmi les policiers et des centaines de blessés parmi les protestataires et les forces de l'ordre.
Cinq corps retrouvés
Sur le terrain, l'armée a annoncé que ses secouristes, en coopération avec la Défense civile, les pompiers et les sauveteurs russes et français, ont réussi à retrouver cinq corps de victimes de l'explosion, sans préciser le lieu où les dépouilles ont été retrouvées. "Les opérations de recherche d'autres disparus se poursuivent", ajoute l'armée dans un communiqué. Il n'est pas précisé si ces cinq corps font partie du bilan de 158 victimes déjà établi ou s'y ajoutent. Alors que les Libanais continuent d'enterrer leurs morts, les secouristes ont désormais perdu tout espoir de retrouver des survivants. Au grand désespoir des familles des disparus qui accusent les autorités d'avoir tardé à organiser les recherches. Après plusieurs jours "d'opérations de recherche et de sauvetage, nous pouvons dire que nous avons fini la première phase, celle offrant la possibilité de retrouver des gens vivants", a indiqué le colonel Roger Khouri, à la tête du régiment du génie militaire, lors d'une conférence de presse dimanche. "Nous continuons d'avoir de l'espoir mais, en tant que personnel technique travaillant sur le terrain, nous pouvons dire que cet espoir de retrouver des personnes vivantes s'amenuise".
Sur le plan de l'enquête, le directeur général de la Sécurité de l'Etat, le général Tony Saliba, a été entendu lundi matin pendant plusieurs heures par l'avocat général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Khoury. L'Agence nationale d'information (Ani, officielle) souligne que le général Saliba devra toutefois rester à la disposition de la justice pour la poursuite des auditions. Plusieurs responsables ont déjà été placés en détention provisoire, notamment le directeur des douanes, Badri Daher, son prédécesseur Chafic Merhi et le directeur général du port de Beyrouth, Hassan Koraytem.
En début de soirée, le navire Vessel Electra, transportant 400 conteneurs, est entré dans le terminal à conteneurs du port de Beyrouth. Il s'agit du premier bateau à entrer dans le port depuis mardi, notamment après la nomination de Bassem al-Qayssi à la direction générale du port à la place de Hassan Koraytem.
Le mohafez de Beyrouth, Marwan Abboud, a par ailleurs chargé la police de Beyrouth de faire évacuer les bâtiments qui menacent de s'effondrer ou qui constituent un danger pour la sécurité publique dans les quartiers de Rmeil, de Saïfi et de Medawar. La circulation sera interdite dans ces zones.
"S'abstenir de politiser l'explosion"
Le président français Emmanuel Macron s'est rendu jeudi dans les rues dévastées de Beyrouth, deux jours après l'explosion chimique dans le port, alors que les foules demandaient la fin de décennies de corruption au sein du système politique libanais. Dimanche, sous l'impulsion du président Macron et de l'ONU, la communauté internationale a débloqué 253 millions d’euros aux Libanais à titre d’aide urgente, à l'issue d'une visioconférence. Le président français a indiqué lors de cette conférence que les donateurs seraient attentifs à la manière dont l'aide apportée au pays serait dépensée. Et lundi, M. Macron s'est entretenu par téléphone avec son homologue libanais pour discuter des résultats de la conférence, et les deux hommes sont convenus de poursuivre leurs concertations dans le suivi de l'application des décisions prises.
L'ambassadeur de France au Liban, Bruno Foucher, s'est de son côté rendu lundi, en compagnie du procureur général libanais Ghassan Oueidate, sur le site de la double explosion. "La police scientifique française, en appui de l’enquête judiciaire en cours, visite le Ground 0 avec le procureur général G. Oueidat - un cratère de plus de 100 mètres de diamètre sur le quai 9 - la salle de pilotage des silos...22 policiers à l’œuvre", a écrit l'ambassadeur de France sur Twitter, accompagnant son message de plusieurs photos sur place.
La police scientifique française en appui de l’enquête judiciaire en cours - visite de Ground 0 avec le procureur general G. Oueidat - un cratère de plus de 100 mètres de diamètre sur le quai 9 - la salle de pilotage des silos...22 policiers ?? à l’œuvre . #liban #libanon #beirut pic.twitter.com/waTcytDAvi
— Bruno Foucher (@B_Foucher) August 10, 2020
L'Iran a pour sa part déclaré lundi que les Etats devraient s'abstenir de politiser l'explosion qui a eu lieu à Beyrouth, et que les Etats-Unis devraient lever les sanctions contre le Liban. "L'origine de l'explosion doit faire l'objet d'une enquête minutieuse", a dit le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Abbas Mousavi. Il a ajouté que "si les Etats-Unis sont honnêtes dans leur démarche d'aide envers le Liban, ils devraient lever les sanctions". L'Iran soutient le Hezbollah, groupe armé musulman chiite très puissant au Liban, que Washington considère comme un groupe terroriste et pénalise par des sanctions.
Enfin, une délégation officielle palestinienne s'est entretenue avec le président et le chef du Législatif afin d'exprimer, au nom du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, leur soutien avec le Liban. "La blessure du Liban est celle de la Palestine", a déclaré Azzam el-Ahmad (Fateh), présidant la délégation.
commentaires (14)
Il ne manquerait plus que celui là. Denier paumé avant la fermeture.
Sissi zayyat
18 h 02, le 10 août 2020