Au milieu des débris de la rue Gouraud, de ses vieilles maisons éventrées, de ses balcons effondrés, le président français Emmanuel Macron s’est rendu au chevet des habitants endeuillés du quartier beyrouthin sinistré de Gemmayzé, de ses commerçants désespérés, de sa jeunesse révoltée, encore choqués par la double déflagration qui a soufflé mardi dernier une grande partie de la capitale libanaise. Le chef de l’État français est arrivé sur place, accompagné de l’ambassadeur de France Bruno Foucher, au cœur d’une importante délégation. Il venait tout droit des lieux de l’explosion au port de Beyrouth et envisageait de se rendre au siège de la Croix-Rouge libanaise de Gemmayzé, où l’attendaient les secouristes de l’institution humanitaire, avant de prendre le chemin de Baabda pour des réunions avec la classe politique puis la société civile.
Bain de foule pour Emmanuel Macron
Mais la population en colère en a décidé autrement. Alertée en matinée par la présence de chiens renifleurs et de membres de la garde républicaine, elle n’a pas tardé à se poster aux façades meurtries, à envahir l’étroite ruelle, dès l’arrivée du convoi blindé toutes sirènes hurlantes, aussitôt grossie par un nombre important de contestataires du 17 octobre 2019 et des milliers de jeunes bénévoles, mobilisés pour prendre part aux travaux de déblaiement. La visite n’était pas annoncée. Crachant son dégoût de la classe politique qui a détruit des vies humaines et défiguré la ville de Beyrouth en entreposant des matières hautement explosives dans un quartier résidentiel, criant sa souffrance et son désespoir, elle n’a pas hésité à insulter le président de la République Michel Aoun, et à l’appeler une nouvelle fois « à dégager ». Au point de supplier la France de « ne pas soutenir ce pouvoir corrompu », de demander l’aide de Paris « pour évincer la classe au pouvoir », toutes parties confondues, Hezbollah inclus. Car « l’usage exclusif de la force doit être entre les mains de l’armée libanaise ».
Faisant fi des craintes d’effondrement de nombre de bâtiments, de l’impressionnant cordon sécuritaire et des risques liés au coronavirus, Emmanuel Macron n’a pas hésité. Il est rapidement descendu de voiture et s’est offert un véritable bain de foule, inspectant derrière son masque les dégâts colossaux subis par les vieilles demeures de ce quartier classé, écoutant le ras-le-bol des habitants, serrant des mains, distribuant saluts et sourires, présentant sa sympathie à la population en deuil, jusqu’à enlacer une jeune femme en pleurs pour la consoler.
« Nous sommes épuisés, s’époumonait une dame, criant sa rage au président français, depuis son balcon. Regardez l’ampleur des destructions ! Allez voir nos morts et nos blessés ! Nous n’avons jamais vécu de pires moments. Nous n’en pouvons plus de cette classe au pouvoir. Que Dieu les punisse ! » À mesure que le président avançait à la rencontre des manifestants, la foule grossissait et la colère s’amplifiait. Au grand dam des membres de la garde républicaine qui ont bousculé les manifestants sans ménagement. « Terroriste, terroriste, Michel Aoun est un terroriste », scandaient les manifestants survoltés, appelant à la « révolution ». Ils n’ont de cesse d’appeler au « départ de la classe politique corrompue », « tous sans exception », mais aussi du « système politique » qui a gangrené l’État et provoqué la faillite généralisée du pays. Les chants révolutionnaires se sont invités, ponctués de l’incontournable « héla héla ho » à l’égard du président Aoun et de son gendre Gebran Bassil, ancien ministre des Affaires étrangères, devenu pour les contestataires le symbole du népotisme. « Monsieur le Président, ramenez-nous la guillotine », lançait aussi un contestataire à Emmanuel Macron.
L’aide n’ira pas à la corruption
Alors dans ses mots bien à lui, le président français a reconnu « la colère saine » de la population et appelé les manifestants, qui hurlaient leur détermination à faire tomber le système politique, à l’« écouter ». S’il s’est voulu rassurant quant à « la présence de la France aux côtés du Liban, quoi qu’il arrive », il a surtout promis qu’il « proposerait un pacte politique aux dirigeants libanais et leur demanderait de modifier le système, de mettre fin aux divisions, de lutter contre la corruption ». Et si la classe dirigeante ne tient pas ses engagements, il a annoncé, à un citoyen qui l’interpellait, son « retour le 1er septembre ». « Je prendrai mes responsabilités envers vous », a-t-il affirmé. Et de « garantir » à la foule qui lui demandait de ne pas distribuer les aides humanitaires par le biais des institutions publiques, que « l’aide envoyée aux Libanais n’irait pas dans les mains de la corruption ».
Les applaudissements de la foule ont aussitôt fusé. « Vive la France! » ont lancé les manifestants, qui se sont sentis écoutés. « Merci la France! » répétait en chœur un groupe de jeunes femmes, écriteau à l’appui. Parmi la foule qui se pressait autour de lui, quelques voix dissonantes ont certes tenté de se faire entendre, suscitant des critiques acerbes de la part de leurs compatriotes conquis. « Libérez Georges Abdallah », ont crié une poignée de militants de gauche, en référence au plus vieux prisonnier politique d’Europe, pour sa participation à un attentat terroriste en France, notamment.
D’un côté comme de l’autre, le message est parvenu. Celui de la solidarité de la France et du président Macron envers la population libanaise. Celui de la colère des Libanais face à une classe politique corrompue, incapable de diriger le pays. Alors que la foule continuait à crier sa rage vis-à-vis des autorités, le convoi transportant Emmanuel Macron a pris le chemin de Baabda, laissant sur le carreau sa visite aux secouristes de la Croix-Rouge, pour le moins déçus.
Désolée pour l’erreur dans mon commentaire. M. Le Drian étant le ministre des affaires étrangères de la France. C’est l’émotion. Mes excuses auprès du premier ministre M. Castex
18 h 21, le 07 août 2020