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Petit rappel à Hassane Diab

«Ô temps ! Ô mœurs! » Ce cri du cœur attribué à Cicéron, qu’il aurait lancé pour dénoncer les comportements de certains hommes politiques de son époque, résume de façon éloquente – en le transposant à la situation actuelle qui sévit au Liban – les pratiques du pouvoir en place. Il reflète aujourd’hui une réalité amère dans laquelle se débattent les Libanais et que le ministre sortant des Affaires étrangères Nassif Hitti a relevée avec amertume.

Dans sa lettre de démission, Nassif Hitti souligne qu’il a toujours eu foi dans un Liban fondé sur « la liberté, la pensée, la connaissance et la culture, un Liban-phare, un Liban-message, point de rencontre entre l’Orient et l’Occident ». « Le Liban, aujourd’hui, n’est pas le Liban-phare que nous avons aimé et voulu », a-t-il déploré, appelant le gouvernement « et ceux qui gèrent les affaires de l’État à réviser nombre de politiques et de comportements afin d’accorder la priorité au citoyen et au pays ».

Ce diagnostic, établi dans un langage diplomatique, est sans appel. Oui, le Liban que d’aucuns tentent actuellement de façonner à leur mesure – ou plutôt à la mesure d’une puissance régionale hégémonique – n’est pas à l’image de cette entité aujourd’hui centenaire qui s’est historiquement distinguée par son ouverture sur le monde extérieur, sa vocation de neutralité et de trait d’union entre l’Orient et l’Occident, son pluralisme religieux et culturel, son attachement aux libertés publiques et individuelles ainsi qu’à son économie libre, sa mission de centre de dialogue et d’échanges entre les religions et les civilisations… À cet ensemble de fondamentaux qui ont tracé l’histoire du Liban, les porte-étendards du projet théocratique transnational opposent une stratégie de blocage des institutions – et donc des réformes requises – parallèlement au sabotage systématique des amitiés traditionnelles du Liban, dans le but d’essayer d’ancrer le pays à un prétendu « marché de l’Est ». C’est dans un tel contexte que sont intervenus les propos totalement déplacés et peu courtois tenus il y a quelques jours par le Premier ministre à l’égard du chef du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian, à la suite de sa récente visite officielle à Beyrouth. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que ces propos aient été l’une des causes de la démission du chef de la diplomatie. Et pour cause… La France, convient-il de rappeler au locataire du Grand Sérail, est peut-être le seul pays de la planète qui continue encore, contre vents et marées, à manifester un intérêt certain et soutenu pour le Liban et à réaffirmer, à chaque fois que l’occasion se présente, qu’il reste disposé à venir en aide aux Libanais afin de préserver la stabilité, l’équilibre interne et, surtout, l’indépendance et la souveraineté du pays. À l’aune de ces relations (véritablement) privilégiées, les critiques insensées et irresponsables lancées par le Premier ministre à l’adresse du ministre français des AE ne peuvent avoir que l’une ou l’autre des deux explications suivantes : soit Hassane Diab est coupable d’amateurisme primaire et intégral en matière politique et de gestion des affaires publiques, ce qui serait désespérant et grave pour un Premier ministre ; soit, et ce serait encore plus grave, il a agi en ayant été télécommandé dans cette affaire par son principal parrain qui l’a parachuté au pouvoir.

Cette seconde hypothèse expliquerait-elle la petite phrase de Nassif Hitti qui a appelé à « réviser des politiques et des comportements » pratiqués par le gouvernement Diab ? Sans vouloir verser dans la théorie du complot, force est quand même de relever que la coïncidence dans ce cas est troublante : le Premier ministre tient des propos désobligeants à l’égard du principal pays occidental qui entretient depuis des siècles des rapports étroits avec le Liban, alors que dans le même temps le Hezbollah n’épargne aucun effort et fait preuve d’ingéniosité pour tenter d’isoler le pays, de manière pernicieuse, du monde arabe et occidental.

Comme il ressort de la lettre de démission de Nassif Hitti, ce sont aujourd’hui l’image et la vocation du pays du Cèdre qui sont plus que jamais en jeu. Les fondamentaux sur lesquels repose le Liban depuis des siècles sont la cible d’une entreprise systématique de sape et de grignotage qui se fait à petites doses, de façon continue et progressive, afin de la rendre imperceptible. Il est déplorable dans un tel contexte que certains membres de ce cabinet Diab, connus pour leur vaste culture francophone et leur sensibilité à l’égard des valeurs humanistes du Liban-message, acceptent encore de se faire les complices d’un projet politique aux antipodes de la posture intellectuelle qu’ils affichent entre quatre murs. C’est d’ailleurs sur ce point capital que repose précisément l’argumentation avancée par Nassif Hitti pour expliquer son refus de continuer à jouer le rôle de faux témoin dans un gouvernement qui se laisse télécommander par un parti dont les impératifs dépassent largement l’échiquier libanais.

«Ô temps ! Ô mœurs! » Ce cri du cœur attribué à Cicéron, qu’il aurait lancé pour dénoncer les comportements de certains hommes politiques de son époque, résume de façon éloquente – en le transposant à la situation actuelle qui sévit au Liban – les pratiques du pouvoir en place. Il reflète aujourd’hui une réalité amère dans laquelle se débattent les Libanais et...

commentaires (5)

aujourd'hui, nous avons un cœur qui saigne pour notre cher Liban: victime, martyr deux fois: pour la mauvaise politique et pour la terrible explosion, peut-être la conséquence de la première. J'ai lu dans les journaux italiens que le site de L'Orient-le jour était également touché. J'espère qu'il n'y a pas de victimes parmi ses vaillants journalistes. Beaucoup de solidarité d'un ami et abonné italien

paolo girola

16 h 24, le 05 août 2020

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Commentaires (5)

  • aujourd'hui, nous avons un cœur qui saigne pour notre cher Liban: victime, martyr deux fois: pour la mauvaise politique et pour la terrible explosion, peut-être la conséquence de la première. J'ai lu dans les journaux italiens que le site de L'Orient-le jour était également touché. J'espère qu'il n'y a pas de victimes parmi ses vaillants journalistes. Beaucoup de solidarité d'un ami et abonné italien

    paolo girola

    16 h 24, le 05 août 2020

  • En bref, le pays est tellement corrompu, tellement vendu et tellement pourri que seule une guerre avec un vainqueur et un vaincu finira par trancher! Malheureusement plus rien ne peut changer la donne actuelle et nous y courrons directement la tete baissée! Le compte a rebours qui a commencé en 2005 s’emballe. La situation actuelle est identique a celle de 1975. A l’époque les Palestiniens se comportaient exactement comme le Hezbollah le fait aujourd'hui ce qui a conduit a l'explosion. Le pouvoir joue avec le feu et il est a présent certain qu'il va se brûler les doigts!

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 01, le 04 août 2020

  • Excellente remise en question et description d'une situation des plus ubuesques. Même le grand Machiavel s'y perdrait.

    Tabet Karim

    11 h 50, le 04 août 2020

  • QUEL MEGA BORDEL... QUEL AUTRE QUALIFICATIF Y DONNER... EST DEVENU LE PAYS. SANS CHANGEMENT DE PATRONNE ET DES CATINS QUI Y CIRCULENT LA CATASTROPHE EST CERTAINE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 03, le 04 août 2020

  • AJOUTER A CELA QU'IL A BIEN SOUS ENTENDU QUE TOUTES LES NOMINATIONS DANS SON PROPRE MINISTERE N'ETAIENT PAS FAITES PAR LUI ( donc par Bassil ) CAD BASSIL GERE CE MINISTERE LUI MEME SANS TENIR COMPTE DE LA PERSONNE QU'IL A PLACE AU POSTE PENSANT QUE CE SERA UNE MARRIONETTE COMME TOUS LES AUTRES QUI RESTENT ENCORE A LEUR POSTE PARMIS CES 20 MINISTRES IL N'Y A DONC PAS 7 QUI ONT LE COURAGE DE Mr HITTI? LES 19 AUTRES FONT DONC PARTIE DE "TOUS CAD TOUS" AUJOURDH'UI VU LE FAIT DE LEUR INCAPACITE TOTAL A SORTIR LE PAYS DE LA NASSE OU LE PAYS SE TROUVE A CAUSE CERTAINEMENT DE HEZBALALH ET DE BASSIL ET A UNE MOINDRE MESURE DU V.... QUI EST A BAABDAH

    LA VERITE

    03 h 00, le 04 août 2020

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