Critiques littéraires Roman

Il sème le mal, mais on ne le voit jamais

Il sème le mal, mais on ne le voit jamais

D.R.

La Couronne du diable d’Alexandre Najjar, Plon/L’Orient des Livres, 2020, 136 p.

Auteur quasi-compulsif et l’un des plus précoces de sa génération avec un premier roman écrit à l’âge de 9 ans et plus de quarante récits, essais et pièces de théâtre à son actif, sans compter ses ouvrages juridiques ; décoré d’une trentaine de distinctions dont, récemment, la Médaille d'or 2020 de la Renaissance française pour l'ensemble de son œuvre, Alexandre Najjar, avocat côté cour, est un généreux conteur côté jardin. Que faisiez-vous durant le confinement ? Tandis que vous lisiez, sans doute, Najjar, lui, écrivait naturellement. Il compulsait informations et récits pour garder une trace de cet arrêt, inédit dans l’histoire, de presque toute activité humaine. Dire la peur, le désarroi, les théories du complot qui émergent de l’inconnu et les conclusions qui s’imposent face à une tragédie qui ne fait de différence ni entre les hémisphères de cette Terre, ni entre grandes puissances et petits pays, s’imposait comme un devoir de mémoire pour l’avenir. Et Najjar est bien placé, en tant que libanais, pour constater les dégâts que peut produire un passé mal relu ou résolu.

Le titre n’est peut-être pas nouveau, La Couronne du diable étant déjà le nom d’une série télévisée sur les rois maudits de l’Angleterre médiévale d’après un roman de Keith Miles. Mais comment résister à l’emprunt tant, comme l’exprime Najjar par la voix d’un de ses héros, un père jésuite de Beyrouth : « Le coronavirus est comme le diable, on sent qu’il existe, il sème le mal, mais on ne le voit jamais. » Sous ce titre idéalement détourné, l’auteur livre donc un roman choral, mettant en parallèle des protagonistes de plusieurs pays différents, la Chine, le Japon, la France, l’Italie, le Liban, l’Iran, l’Espagne et les États-Unis, tous frappés par la pandémie mais réagissant chacun selon sa culture et ses problèmes endémiques auxquels le virus vient se greffer.

Dans cet ouvrage dédié « à toutes les victimes du coronavirus », Gaudens, écrivain confiné, écrit à un certain Marc, alors que la pandémie chamboule la vie de l’humanité entière. Par empathie, il se téléporte pour imaginer, faits et témoignages à l’appui, les épreuves et les réflexions de huit personnages inspirés du réel, parmi lesquels les lecteurs libanais reconnaîtront sans doute le père Gabriel de l’église Saint-Joseph d’Achrafieh, révolutionnaire à plus d’un titre. Entre le lanceur d’alerte chinois, le passager britannique prisonnier avec sa jeune épouse du Diamond Princess, navire de croisière infesté et maudit, l’enseignante parisienne dont la maman est en danger dans un Ehpad, le cinéaste milanais qui renonce à fuir sa ville pour ne pas « trahir », le médecin iranien à qui il est demandé de falsifier des actes de décès et qui se réclame du Coran pour ne pas agir contre sa propre conscience, le médecin éditeur de Madrid ou le journaliste américain qui bride ses obsessions complotistes dans les colonnes du Washington Post, Gaudens se fait témoin de cette crise singulière en s’immisçant dans la peau de chaque protagoniste, parlant même des bribes de la langue de chacun, exprimant la solitude et la peur qui sont les mêmes où que l’on se trouve, dénonçant, dans chaque pays, les failles mises à jour par le séisme de la pandémie. Le nom même de ce narrateur, dont l’origine latine « gaudere » signifie se réjouir, souligne la faille creusée par le virus entre un avant presque innocent et un présent brutal qui relève de la science-fiction ou plutôt, comme le dit Gaudens, de « Jules Verne, Barjavel ou Orwell ».

L’un des premiers livres publiés sur la pandémie, La Couronne du diable est surtout un livre humaniste qui embrasse cultures, langues, mentalités et juridictions, et tente de montrer au cœur de la crise (du grec « choix » ou du chinois « changement »), la possibilité d’un monde meilleur.

La Couronne du diable d’Alexandre Najjar, Plon/L’Orient des Livres, 2020, 136 p.Auteur quasi-compulsif et l’un des plus précoces de sa génération avec un premier roman écrit à l’âge de 9 ans et plus de quarante récits, essais et pièces de théâtre à son actif, sans compter ses ouvrages juridiques ; décoré d’une trentaine de distinctions dont, récemment, la Médaille d'or...

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