Suite à la réunion du gouvernement hier matin au Sérail, le syndicat des agents de change a annoncé que la Banque du Liban (BDL) va injecter des dollars sur le marché pour réguler le taux dollar/livre, qui a piqué du nez depuis la fin de la semaine passée, certaines rumeurs circulant sur les réseaux sociaux faisant état d’un taux de 6 000, voire 7 000 livres pour un dollar sur le marché noir, dans un contexte de grave crise économique et financière que traverse le Liban depuis plusieurs mois. Toutefois, aucun montant n’a été communiqué.
Cette annonce a été confirmée par la déclaration du président de la République, Michel Aoun, à l’issue de la seconde réunion qui a eu lieu hier après-midi au palais présidentiel de Baabda, promettant l’intervention de la Banque centrale sur le marché à « partir de lundi ». L’objectif affiché est de passer « en dessous de la barre des 4 000 livres » pour un dollar afin d’atteindre par la suite « 3 200 livres » contre un dollar selon le président du Parlement Nabih Berry, s’alignant ainsi avec la circulaire n° 553, publiée le 28 avril par la Banque centrale, qui avait alors tenté de plafonner le taux de change sur le marché secondaire à 3 200 livres, sans grand succès.
Cette promesse d’intervention se manifeste au lendemain d’une nuit agitée par le mouvement de contestation, débuté le 17 octobre 2019, et qui a repris de plus belle jeudi soir en raison de la dépréciation continue de la livre. Ces manifestations, qui ont continué hier avec la fermeture de certains axes routiers, ont poussé le Premier ministre Hassane Diab à convoquer hier en urgence deux Conseils des ministres, le premier au Grand Sérail, le second au palais présidentiel de Baabda, consacrés tous deux à la crise de la monnaie nationale. Des rumeurs concernant la possibilité d’un remplacement du gouverneur de la BDL, Riad Salamé, en poste depuis 27 ans, ont circulé hier matin dans la presse et les réseaux sociaux, contredites par la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, lors de son élocution télévisée hier : « Le cabinet n’a pas discuté d’une éventuelle destitution du gouverneur de la BDL et ne le fera pas (voir page 2). »
« Cellule de crise »
Également, la ministre a annoncé la création d’ « une cellule de crise » présidée par le ministre des Finances, Ghazi Wazni, et constituée notamment du ministre de l’Économie et du Commerce, Raoul Nehmé, du président de l’Association des banques au Liban (ABL), du président du syndicat des agents de change et du gouverneur de la Banque centrale, dans le but de « suivre l’évolution des situations financière et monétaire ». Ce dernier devra présenter les résultats au Premier ministre à la suite de chacune des deux réunions hebdomadaires.
Une autre annonce concerne les personnes qui « manipulent » le taux de change qui se verront déférer devant la justice. Ce n’est pas la première tentative d’arrestation entamée par le gouvernment. En effet, à la suite de la publication de la circulaire n° 533 de la BDL plafonnant le taux secondaire à 3 200 livres pour un dollar, les autorités ont arrêté, interrogé et relâché plusieurs dizaines de changeurs (dont les numéros 1 et 2 du syndicat), un cadre de la BDL et un banquier. En grève, la profession a fini par rouvrir ses portes le 3 juin avec l’intention affichée de faire progressivement baisser le taux pour qu’il se retrouve aligné sur la limite fixée par la Banque centrale. Mais cette initiative s’est rapidement révélée infructueuse.
Le syndicat des agents de change puis la BDL ont annoncé au début du mois toute une série de mesures destinées à limiter et tracer les transactions en devises effectuées en dehors du secteur bancaire. Mardi, la Banque centrale s’est adressée aux agents de catégorie A (ceux qui peuvent importer et exporter des devises) pour leur indiquer qu’ils devaient lui adresser leurs demandes d’achat de dollars en appliquant les taux fixés par leur syndicat, soit 3 890 livres le dollar acheté par l’agent contre 3 940 livres pour le taux à la vente, une fourchette mise à jour quotidiennement mais qui n’a plus bougé depuis samedi dernier. Ils devront également justifier leurs demandes et « préciser les noms des bénéficiaires ». La Banque centrale a ensuite précisé que les montants demandés et approuvés leur seront transférés dans les 48 heures sur leurs comptes enregistrés dans les banques dont ils ont fourni les références, selon les procédures en vigueur. La ministre de l’Information a rappelé la mise en place de cette procédure qui permettra d’injecter de la liquidité. Autre mesure annoncée précédemment : le lancement prochain de l’application « Sayrafa » par la Banque centrale sur laquelle seront enregistrées les transactions effectuées par les changeurs et qui diffusera les variations du taux dollar/livre, qui évolue en fonction du marché.
Raréfaction du dollar sur le marché
La monnaie nationale se négociait hier dans une fourchette située entre 5 000 à l’achat et 5 300 livres à la vente pour un dollar, selon le site lebaneselira.org. À la Békaa, le taux de 5 000 livres le matin est tombé à 4 800 livres après l’annonce de l’intention de la BDL d’intervenir , selon notre correspondante dans la région, Sarah Abdallah. Ce taux est supérieur d’environ 1 000 livres à celui qui était pratiqué lorsque les agents de change ont rouvert leurs portes le 3 juin après un mois de grève. Il a en outre marqué un bond d’environ 300 livres par rapport à la fourchette moyenne appliquée jeudi soir et qui avait déjà creusé un écart considérable avec celle imposée par le syndicat des changeurs agréés.
Certains experts attribuent la volatilité du taux dollar/livre chez les agents de change à des comportements spéculatifs encouragés par la raréfaction du dollar sur le marché – la BDL et les banques n’injectant presque plus de dollars sur le marché, et la fermeture de frontières du pays en raison de lutte contre le coronavirus ayant littéralement coupé toute possible entrée de devises via les touristes – et certaines décisions de la BDL, dont celle concernant les sociétés de transfert d’argent (voir encadré).
D’autres facteurs, comme le fait que la demande de dollar est très importante, voire presque incompressible, dans un pays qui dépend des importations et dont beaucoup de familles envoient leurs enfants étudier à l’étranger rendent difficile toute intervention sur le marché sans injection de liquidités – ce que la BDL faisait depuis 1997 pour maintenir la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar. L’existence d’une demande issue de ressortissants syriens, dont le pays est lourdement sanctionné par les États-Unis, est également à prendre en compte dans l’équation. Le taux de change dollar/livre syrienne était également flou hier, une source de L’Orient-Le Jour indiquant un taux de 2 500 livres pour un dollar, alors que d’autres faisaient état d’un taux plus élevé, atteignant même les 5 000 livres, le taux de change officiel s’établissant toujours à 493 livres syriennes pour un dollar. L’entrée en vigueur le 17 juin aux États-Unis de la loi César visant à sanctionner tout gouvernement, toute entité ou toute personne qui aiderait le régime syrien aurait aggravé la situation.
Interrogée sur la sortie des devises vers la Syrie de manière illégale, Manal Abdel Samad est restée évasive sur la réponse apportée par le gouvernement, répétant que les autorités vont prendre les mesures nécessaires.
La BDL augmente le taux de change imposé aux sociétés de transfert d’argent
La Banque du Liban a augmenté hier le taux de change dollar/livre imposé aux sociétés de transfert d’argent, à 3 840 livres pour un dollar contre 3 200 livres depuis plusieurs semaines. Ces entreprises sont obligées depuis avril de convertir dans la monnaie nationale les montants transférés à leurs clients au taux fixé par la Banque centrale et de lui revendre les devises reçues à ce même taux.
La BDL a également annoncé que les agents de change de catégorie A, qui peuvent importer et exporter des devises, pourraient accéder aux dollars commandés à la BDL via ces sociétés de transfert d’argent dans les 48 heures, alors que cette transaction se fait généralement via les comptes de ces sociétés à l’étranger, selon la procédure habituellement en vigueur. Le taux a également été fixé à 3 840 livres pour ces opérations. Selon une source bancaire, les principaux acteurs de la filière déploraient une baisse de leur volume de transactions en raison de la différence entre le taux dollar/livre leur étant imposé et celui du marché noir, qui a sérieusement dévissé cette semaine.
commentaires (10)
Cessez VOS manigances,BDL et agissez sur le fond,rendez l argent des libanais et stabiliser la LL au taux officiel ,comme avant.
Marie Claude
09 h 30, le 16 juin 2020