« La responsabilité de ce qui se passe au niveau financier incombe à trois parties : le gouvernement, la BDL et les banques. Les pertes doivent donc être assumées par ces trois parties, et non pas par les déposants. » C’est la première critique frontale adressée par le président Michel Aoun au gouvernement de Hassane Diab depuis sa mise sur pied en janvier dernier. M. Aoun s’est également interrogé sur « la spontanéité » des manifestations violentes, émeutes et actes de vandalisme qui ont marqué la nuit de jeudi à vendredi, et qui se sont répétées dans la nuit d’hier. Le fait de faire assumer au gouvernement une part de responsabilité dans la crise financière aiguë a été interprété, dans certains milieux, comme l’expression d’une volonté soit de remanier, soit de changer le gouvernement. Une interprétation rendue crédible par des rumeurs qui ont circulé la semaine dernière sur un éventuel remaniement ministériel, le rendement de certains membres de l’équipe de Hassane Diab faisant l’objet de critiques.
Ces rumeurs étaient associées, parallèlement, à des informations relatives à des contacts menés loin des feux de la rampe entre la banlieue sud, Aïn el-Tiné, Clemenceau et la Maison du Centre dans la perspective d’un éventuel retour de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, pour diriger un gouvernement de politiques, mais non partisans. Toutefois, selon des sources bien informées, le chef du courant du Futur aurait posé comme condition à une telle option que le Hezbollah et le CPL n’y soient pas représentés afin qu’il puisse engager avec la communauté internationale les pourparlers nécessaires pour drainer des fonds de soutien et des investissements au Liban. Mais aussi bien dans les milieux de M. Hariri que dans ceux du Hezbollah, on a écarté cette éventualité, estimant que le gouvernement Diab est là jusqu’à la fin du mandat de Michel Aoun, pour la seule raison que personne ne peut aujourd’hui se permettre le luxe de prendre le temps nécessaire pour le remplacer par une nouvelle équipe ministérielle. De sources proches de la Maison du Centre, on reconnaît qu’il y a eu des contacts multidirectionnels la semaine dernière, mais que quel que soit le gouvernement qui pourrait être mis en place, si jamais celui de Hassane Diab rend le tablier, il devra composer avec le chef du CPL, Gebran Bassil, l’homme de l’ombre, à travers la présidence de la République. Et cela, Saad Hariri n’est plus disposé à le faire, affirme-t-on de mêmes sources.
Berry et Raï à la rescousse
Dans ce contexte de crise, il est donc clair que le Hezbollah et Amal ne sont pas favorables à un changement ministériel. Dans les milieux du Hezbollah, on assure ainsi que l’équipe Diab est appelée à rester jusqu’à la fin du mandat Aoun ou l’élection d’un nouveau Parlement. Les deux échéances sont prévues en 2022.Ceci dit, réagissant à la crise économique et aux émeutes qui la marquent, deux Conseils des ministres se sont tenus hier, l’un au grand Sérail, l’autre à Baabda. À l’issue de cette dernière réunion, une cellule de crise chargée du suivi du cours du dollar sur le marché libre a été formée (voir aussi page 8). Cette cellule sera présidée par le ministre des Finances, Ghazi Wazni, et composée des ministres de l’Économie, de l’Environnement et du Développement administratif, et de l’Information, du gouverneur de la Banque centrale, du président de l’Association des banques, du président du syndicat des agents de change et du directeur général de la Sûreté générale. Elle tiendra sa première réunion lundi, selon une source ministérielle citée par notre correspondante à Baabda, Hoda Chedid.
Auparavant, des mots très durs avaient été adressés au gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, qui avait assisté au Conseil des ministres du Grand Sérail. La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a même rappelé au gouverneur qu’un manquement aux devoirs de sa fonction l’expose à des poursuites pénales.
C’est le président de la Chambre qui, en fin de compte, a statué sur le sort de M. Salamé et dissipé le doute à son sujet. Dans une courte déclaration à l’issue d’une rencontre au sommet avec le président Aoun et le Premier ministre Diab, précédant le second Conseil des ministres de la journée, M. Berry s’est déclaré opposé à une destitution du gouverneur de la BDL, particulièrement ciblé par certains contestataires dans la nuit de jeudi à vendredi. « Nous avons besoin de tout le monde. Nous ne pouvons nous passer de personne », a déclaré M. Berry.
De son côté, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, accouru tout alarmé à Baabda, a lancé un appel au calme et à la responsabilité des Libanais, tout en volant à son tour au secours du gouverneur de la BDL, l’un des trois postes les plus élevés de la première catégorie dévolu à la communauté maronite, avec la présidence de la République et le commandement de l’armée. « Nous respectons les décisions du pouvoir, et ce pouvoir doit assumer ses responsabilités envers le peuple, a affirmé Mgr Raï, appelant à « ne pas faire assumer toute la responsabilité à une seule personne », en allusion au gouverneur Riad Salamé.
Par ailleurs, le chef de l’État et le Premier ministre se sont interrogés sur la spontanéité des événements de la veille. Le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a confirmé leurs doutes à ce sujet, affirmant que les émeutes de la nuit passée « ne sont pas innocentes et que le climat de surexcitation est artificiellement entretenu par certains réseaux sociaux, qui feront l’objet d’enquêtes ».
Par ailleurs, face au risque que les dollars qui seront injectés à partir de lundi sur le marché des changes prennent la direction de la Syrie, privant le Liban des devises nécessaires à l’importation des denrées essentielles, de carburant et de produits pharmaceutiques essentiels, la porte-parole du gouvernement, la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, a répondu : « Nous sommes conscients que l’injection de devises est en soi insuffisante en cas de situation incontrôlée et au cas où les devises iraient illégalement à d’autres destinations. Nous injecterons des dollars, mais en même temps, nous en contrôlerons les circuits illégaux pour empêcher que l’argent des Libanais soit pillé. Nous savons aussi que certains, au Liban, commettent sciemment des infractions pour déstabiliser la situation monétaire. C’est un crime passible du code pénal. »
Renforcement des mesures
Notons que le gouvernement a demandé aux forces de sécurité de renforcer leurs mesures contre les personnes qui « manipulent » le taux de la livre libanaise. Celles-ci devraient être immédiatement déférées devant la justice, qui aura le droit de demander une saisie des devises mises en cause dans d’éventuelles opérations suspectes. La ministre de la Justice a en outre été chargée de demander au procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, de définir les sanctions à imposer en cas de diffusion de rumeurs mensongères qui « portent atteinte à la confiance dans la monnaie nationale ». Hier, la Sûreté générale annonçait que cinq changeurs ont été arrêtés, dont l’un de nationalité éthiopienne, alors que la ministre de l’Information promettait, au nom du cabinet, un renforcement graduel de la répression.
commentaires (15)
Le Hezbollah veut mettre un de ses hommes ( Ali Baba ) pour donner de l'argent aux ayatollahs parce qu'ils sont aux abois
Eleni Caridopoulou
13 h 43, le 14 juin 2020