Critiques littéraires Bande dessinée

Hors-jeu

La Flamme de Jorje Gonzales, Dupuis, 2020, 280 p.

Argentin, né en 1970 à Buenos Aires mais résident en Espagne, Jorje Gonzales a trouvé depuis 2010 dans la désormais mythique collection « Aire Libre » des éditions Dupuis le nid idéal pour ses albums.

Atypiques, d’une ambition graphique qui balance selon les pages entre maîtrise classique et expérimentations plastiques, ce sont chaque fois des livres imposants, à la pagination généreuse. Lorsqu’il publie Chère Patagonie en 2011, c’est la révélation pour le lectorat francophone d’un dessinateur/peintre, à cheval entre l’art narratif et l’art pictural, jonglant avec les outils, un narrateur audacieux qui n’a pas peur de se frotter à des récits vastes.

D’autres avant lui, Blutch ou Lorenzo Mattotti, avaient su ainsi réconcilier une prétention strictement picturale et les exigences de la narration. Gonzales s’inscrit dans cette veine, porté vers la matière, la texture et le dessin d’atmosphère.

Avec La Flamme, son nouvel opus, il propose aujourd’hui un récit ancré dans son histoire familiale. Dans ce récit de transmission, il s’intéresse tour à tour à son grand-père puis son père, avant de se mettre lui-même en scène, adolescent puis adulte, parent d’un jeune garçon. Cette évocation de la filiation, il la fait à travers le prisme inattendu du rapport qu’entretient tout ce beau monde au football. Chacun d’entre eux, à un moment de sa vie, a effectivement touché le ballon rond, professionnellement, semi-professionnellement ou en amateur, et cette attache aux terrains, quasi-viscérale, s’est vite imposée, pour le meilleur mais souvent pour le pire, comme l’objet principal des relations père/fils sur plusieurs générations.

Chaque père projette sur son enfant les rêves sportifs que la vie ne lui a pas permis de poursuivre, dans un mélange d’encouragements, de jalousie et de pression. Jorje, l’auteur, fait figure, sur l’arbre généalogique, de simple passeur suivant rapidement le chemin de la création artistique au détriment du sport, mais découvrant en fin d’album son fils pris par le virus de la balle. Cette dernière partie de l’ouvrage, imprégnée des questionnements de l’auteur et racontée sans filtres, replace le récit dans une réalité contemporaine.

Au-delà d’un dessin qui se permet toutes sortes de transformations de chapitre en chapitre, l’audace de Jorje Gonzales se situe également dans le parti-pris narratif : chaque chapitre concerne une période de cet enchaînement de générations, mais chacune de ces périodes n’est évoquée qu’à travers un moment unique, furtif. Un exercice de synthèse et d’ellipses dont la réussite ne tient qu’à un fil, tant il est nécessaire de charger chaque scène d’assez de complexité, d’ambiguïté et de non-dits pour qu’elle puisse à elle seule englober tout un pan d’une vie.

Jorje Gonzales s’impose désormais comme un auteur attendu. Entre maîtrise et surprise, classicisme et expérimentation, son travail est à l’image de cette transmission que La Flamme raconte : à la fois héritier des maîtres qui le précèdent et impertinent comme un adolescent face à ses parents.


La Flamme de Jorje Gonzales, Dupuis, 2020, 280 p.Argentin, né en 1970 à Buenos Aires mais résident en Espagne, Jorje Gonzales a trouvé depuis 2010 dans la désormais mythique collection « Aire Libre » des éditions Dupuis le nid idéal pour ses albums.Atypiques, d’une ambition graphique qui balance selon les pages entre maîtrise classique et expérimentations plastiques, ce sont...

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