Le Premier ministre, Hassane Diab, au cours de sa conférence de presse. Photo Dalati et Nohra
Dans son discours aux envolées lyriques, défendant le bilan des cent premiers jours de son gouvernement, le Premier ministre Hassane Diab a affirmé hier que le Liban était un bateau qui coulait rapidement lorsque son équipe a pris les rênes du pays pour le sauver. Et il s’est même targué d’avoir rempli à 97 pour cent les engagements pris dans la déclaration ministérielle. Mais ces affirmations sont loin de faire l’unanimité : si le gouvernement, même de l’avis de ses détracteurs, a assuré une bonne gestion de la crise du coronavirus, le bilan de ses réalisations dans les autres domaines reste maigre.
Il est vrai que le gouvernement a été formé alors que le pays se débattait dans la crise économique et financière la plus grave de son existence, et que plusieurs ministres se montrent assidus à la tâche et compétents. Mais sur le plan des décisions politiques, des nominations, de la lutte contre la corruption ou de la restauration de la confiance de la communauté internationale, le cabinet de Hassane Diab n’a pas encore fait ses preuves, selon de nombreux observateurs.
Plusieurs d’entre eux relèvent que le Premier ministre, n’ayant aucune assise politique, a voulu se donner l’image d’un chef de gouvernement volontaire, neutre et indépendant, mais qu’il reste tributaire du bon vouloir des forces politiques qui ont formé son gouvernement. Il s’est ainsi lancé à plusieurs reprises dans des batailles dont il est sorti perdant et a dû se rétracter, comme son dernier bras de fer avec le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, à qui il a tenté de faire porter la responsabilité de la crise financière, alimentant les spéculations sur son éventuel remplacement. Après avoir entamé les négociations en ordre dispersé la semaine dernière avec le Fonds monétaire international (FMI), les délégations du gouvernement et la Banque centrale présentant des positions, et même des chiffres, différents, selon une source politique, M. Diab a dû faire marche arrière et a reçu hier M. Salamé au Grand Sérail pour trouver un modus vivendi.
Quant aux nominations, la désignation d’un nouveau mohafez de Beyrouth pour remplacer Ziad
Chbib, dont le mandat a expiré, a donné lieu à un affrontement entre le Premier ministre et la communauté grecque-orthodoxe, pourtant généralement conciliante, avant que M. Diab ne se rétracte et retire de la course sa conseillère qu’il voulait nommer à ce poste. Et les nominations judiciaires, celles des quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban et celle d’une Autorité de régulation pour l’électricité semblent renvoyées aux calendes grecques, le gouvernement ayant fait là aussi étalage d’impuissance.
En outre, le cabinet, bien qu’il ait été formé par un même camp politique, est fragilisé par les divergences en son sein- même, comme l’a illustré la récente montée au créneau de l’ancien ministre Sleimane Frangié, qui s’est opposé à ce que ses partisans, même accusés de corruption dans l’affaire du fuel frelaté, soient poursuivis en justice.
Enfin sur le plan des relations internationales, le gouvernement de M. Diab ne semble jouir que de peu d’appuis, les États-Unis notamment multipliant les déclarations musclées à l’égard de ce cabinet qu’ils considèrent comme inféodé au Hezbollah. Et si M. Diab avait laissé entendre, lorsqu’il avait été nommé, qu’il se préparait à une tournée dans le Golfe, l’Arabie saoudite multiplie les signes montrant qu’elle ne cautionnera pas son gouvernement, son ambassadeur à Beyrouth s’absentant notamment des réunions auxquelles sont conviés les amis du Liban au Grand Sérail.
« Aucun pouvoir »
« Ce gouvernement n’a aucun pouvoir, aucune indépendance, aucune liberté », affirme à L’Orient-Le Jour Pierre Issa, secrétaire général du Bloc national. « Ils n’arrivent à prendre aucune décision », ajoute-t-il, citant par exemple la loi sur le contrôle des capitaux que le gouvernement avait fait fuiter, avant de retirer son projet devant la levée de boucliers qu’il a soulevée.
Pour Pierre Issa, le plus grave est que ce gouvernement se présente comme étant un cabinet d’indépendants, « du côté de la révolution alors qu’ils font exactement le contraire et couvrent les agissements de la caste politique, des mafieux et même des criminels qui sont au pouvoir depuis trente ans ».
Il cite les multiples échecs du gouvernement, qu’il s’agisse des nominations, de la lutte contre la corruption, ou encore de la distribution des aides humanitaires aux familles les plus démunies, qu’il qualifie de « cafouillage énorme », les autorités ayant chargé « les municipalités et les moukhtars qui dans leur immense majorité dépendent des partis communautaires » et sont accusés de favoriser le clientélisme, de distribuer cette aide.
« Ils disent vouloir contrôler les frontières, or jamais les frontières n’ont été aussi poreuses. Ils n’ont rien fait sur le dossier de l’électricité qui nous a coûté des milliards de dollars et laissent les mains libres au Courant patriotique libre », alors que la réforme de ce secteur est une des conditions des donateurs pour venir en aide au Liban, ajoute-t-il.
Et « alors que le gouvernement prétend vouloir réduire le déficit budgétaire, ils remettent sur le tapis cette aberration du barrage de Bisri », malgré l’opposition du mouvement de contestation à ce barrage, poursuit le secrétaire général du BN.
Pour la directrice des politiques publiques à l’organisation Kulluna Irada, Sybille Rizk, « le gouvernement a principalement à son actif d’avoir posé le bon diagnostic de la situation financière du pays, mais son action est très en-deçà de ce qui est attendu pour sortir de la crise ».
« Jusqu’à présent, à part pour gérer la crise du coronavirus, il a adopté très peu de mesures, alors que le pays est en état de choc à tous les niveaux de l’économie et de la société », ajoute-t-elle. « Le gouvernement n’a pas été en mesure à ce jour d’adopter une loi sur les contrôles de capitaux, alors qu’il s’agit de la première étape indispensable, à l’instar d’un garrot qu’un médecin mettrait à un patient avant de commencer à le traiter. L’inertie, voire l’impuissance du gouvernement sur la question des nominations qui continue d’être abordée avec le prisme confessionnel, en violation de l’article 95 de la Constitution, est tout aussi symptomatique. »
Sybille Rizk estime elle aussi qu’en réalité, « ce gouvernement n’a pas les mains libres. Il agit comme l’intermédiaire du système de pouvoir qui est en place depuis la fin de la guerre du Liban. Celui-ci est certes ébranlé, mais encore aux commandes ». « L’élaboration d’un plan de sortie de crise est certes une première étape, mais le plus important est la crédibilité quant à la capacité à mettre en œuvre les réformes structurelles sans lesquelles rien ne sera possible, en partant de la restructuration du système financier, jusqu’à la remise à plat de la fiscalité, des politiques publiques et sectorielles », poursuit-elle.
« Même pour convaincre les bailleurs internationaux d’accorder des crédits au Liban, la partie est loin d’être gagnée. La gestion du dossier de l’électricité par exemple montre à quel point il n’y a pas vraiment de changement de modus operandi », ajoute-t-elle.
Tant M. Issa que Mme Rizk estiment que, contrairement à ce qu’a affirmé Hassane Diab dans son discours, le gouvernement n’a pas regagné la confiance de la population. Et le secrétaire général du BN assure qu’avec la fin de la pandémie du coronavirus, « le mouvement révolutionnaire va reprendre de plus belle ».
Dans son discours aux envolées lyriques, défendant le bilan des cent premiers jours de son gouvernement, le Premier ministre Hassane Diab a affirmé hier que le Liban était un bateau qui coulait rapidement lorsque son équipe a pris les rênes du pays pour le sauver. Et il s’est même targué d’avoir rempli à 97 pour cent les engagements pris dans la déclaration ministérielle. Mais ces...
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Rien de rien
Jack Gardner
21 h 00, le 22 mai 2020