On prend les mêmes et on recommence ? Une question qui se pose avec acuité au moment où le cabinet Diab a abattu ses cartes, rendant public de manière très solennelle son ambitieux plan de redressement tant attendu. Heureuse initiative, certes, qui a le mérite de dresser un état des lieux exhaustif de la situation économique et financière et de définir les grandes lignes d’une vision d’avenir. Sauf que… le document comporte un aspect totalement inique qui s’illustre par une inqualifiable arnaque, sans compter qu’il soulève maintes interrogations quant à de possibles desseins cachés.
Cette feuille de route vient confirmer que l’État, qui pendant de très nombreuses années a dilapidé sans scrupule et à grande échelle les fonds publics, cherche à tirer cyniquement son épingle du jeu. Il fait assumer en effet toutes les conséquences du déficit qu’il a lui-même créé à ceux-là mêmes à qui il a soutiré au fil des ans leurs fonds (parfois sous la menace et l’intimidation…) afin de couvrir son gaspillage.
On ne le répètera jamais suffisamment : la non-gouvernance, l’affairisme aveugle des fromagistes qui se partageaient le (réel) pouvoir, le déficit du secteur de l’électricité, les fonctionnaires surnuméraires embauchés pour des considérations partisanes, la nouvelle échelle des salaires, le sabotage de l’économie nationale du fait des aventures guerrières, le torpillage des relations arabes et internationales du Liban, la mainmise sur le port, l’aéroport et les frontières avec la Syrie afin de développer la contrebande, l’acheminement illégal de deux millions de litres de fuel par jour en Syrie aux frais du Trésor libanais, le pompage de billets verts sur le marché local pour renflouer les caisses vides du régime syrien… Tout cela c’est l’État et ceux qui le contrôlaient qui en sont directement responsables, et nullement les déposants (qu’ils soient « gros », moyens ou petits) et le secteur bancaire.
Certes, les banques et les déposants, ainsi d’ailleurs que les émigrés et les expatriés, ont longtemps et largement profité des taux d’intérêt élevés et, récemment, des ingénieries financières de la Banque du Liban. Mais c’est vite oublier qu’il s’agissait là des effets et des conséquences d’un mal chronique, celui de l’accroissement continu de la dette provoquée par les dépenses de l’État. Suivant le principe de la continuité du pouvoir, cet État, quel que soit le gouvernement en place, ne peut pas faire table rase des égarements du passé. Il ne peut pas, pour se dérober à ses responsabilités, chercher à résorber les effets sans s’attaquer à la cause qui a abouti à ces effets. Ce serait mettre la charrue devant les bœufs.
En clair, l’enjeu aujourd’hui devrait être de s’attaquer en toute priorité à la racine du mal. Vouloir abolir d’un trait de plume la quasi-totalité du déficit alors que les pratiques politiciennes et clientélistes demeurent inchangées nous ramènerait rapidement à la case départ. De la même façon, cela ne servirait pas à grand-chose à moyen terme de s’attaquer aux « effets » sans adopter, d’abord, concrètement et non pas dans les déclarations d’intention, de premières mesures ponctuelles et rapides de réformes que ne cessent de réclamer, désespérément, les pays donateurs et amis. Au nombre de ces mesures, la nomination d’un nouveau conseil d’administration à Électricité du Liban, la désignation de l’autorité de régulation du secteur de l’électricité, l’indépendance de la justice, la nomination loin des magouilles politiciennes des vice-gouverneurs de la Banque du Liban et de la Commission de contrôle des banques, l’amorce (ne fût-ce que l’amorce) d’une restructuration du secteur public…
Ces quelques premières mesures, rapidement applicables, constitueraient autant de signaux positifs susceptibles de paver la voie à un rétablissement progressif de la confiance dans le pays et son économie, passage obligé à toute entreprise de redressement. Or les recommandations qui frappent les avoirs des déposants et le secteur bancaire sapent à la base ce facteur « confiance ». Mettre la main sur le capital des banques, effacer les certificats de dépôts (l’argent des déposants placé par les banques à la BDL), demander aux actionnaires de couvrir une partie de la dette et opérer une ponction substantielle sur les dépôts de plus de 500 000 dollars constitue rien moins qu’une atteinte caractérisée à l’économie libre et à la propriété privée, consacrées explicitement par la Constitution, ce qui a pour conséquence inéluctable d’inhiber toute relance des investissements.
Ces mesures, si elles venaient à être approuvées, auraient pour résultat de saper les établissements bancaires en place sous prétexte de restructuration du secteur. Une manœuvre d’autant plus suspecte que parallèlement, le plan du gouvernement évoque l’entrée en scène de cinq nouveaux établissements bancaires (ôte-toi de là que je m’y mette?). Une éventualité qui ne peut que susciter de sérieuses appréhensions dans le contexte géopolitique local et régional que nul n’ignore, marqué par le bras de fer entre l’Iran et le Hezbollah d’une part, et les États-Unis et l’Occident de l’autre.
L’acharnement contre les déposants et le secteur bancaire cache-t-il un objectif stratégique inavoué visant à modifier profondément la spécificité du Liban et les fondements du système économique libre ? Aux membres du gouvernement de dissiper les légitimes appréhensions à ce propos. Et d’œuvrer sans délai à rétablir la confiance dans le pays et son avenir.
commentaires (8)
On n'a pas encore saisi ce que veut Diab ou ses parrains. Dans l'expectative, quoiqu'il advienne, l'avenir semble difficile. Une chose qu'on peut ne plus demander dans les réformes, c'est la restructuration du secteur public, car avec la dévaluation installée et pour longtemps, ce secteur tant privilégié, se restructurera de lui-même, car il ne sera plus attrayant pour beaucoup et surtout ceux embauchés pour le gain matériel. Ils chercheront dans l'agriculture ou même dans la culture un moyen plus rentable pour leurs fins de mois.
Esber
14 h 57, le 05 mai 2020