Par sa diatribe contre le Premier ministre Hassane Diab à laquelle il s’était livré vendredi dernier, le leader du courant du Futur Saad Hariri avait inauguré un nouveau round de la guerre l’opposant à son successeur ainsi qu’aux parrains de ce dernier. Toutefois, hier, cette confrontation a pris une toute nouvelle dimension et s’est transformée en un véritable front sunnite contre Hassane Diab, mais aussi et surtout contre le sexennat de Michel Aoun et le Hezbollah, à la faveur d’une réunion qui a rassemblé à la Maison du Centre les anciens Premiers ministres Nagib Mikati, Fouad Siniora et Tammam Salam autour de Saad Hariri.
À l’issue de la réunion, M. Siniora a donné lecture d’un communiqué particulièrement virulent contre le pouvoir en place à qui les anciens chefs de gouvernement ont fait assumer la responsabilité de la crise actuelle.
Mettant en garde contre « une crise sans fin » vers laquelle le pays pourrait être conduit, le texte invite « le pouvoir et son gouvernement à changer de politique sans tarder, et à respecter la Constitution et les lois en vigueur conformément aux intérêts des Libanais ». « Le gouvernement actuel, choisi par le pouvoir et ses alliés, s’est malheureusement transformé en un instrument de règlement de comptes politique à travers des comportements vindicatifs », déplore le texte, avant de tancer l’équipe ministérielle « devenue une barricade protégeant les auteurs des comportements vexatoires et des calculs présidentiels prématurés, faisant fi de la Constitution et des lois en vigueur ». Des propos qui sonnent comme une flèche décochée en direction de Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre et gendre du chef de l’État. Il est accusé par plusieurs protagonistes, notamment ceux de l’opposition, d’œuvrer pour assurer à son profit la succession de son beau-père.
Dans le cadre de leur farouche opposition à la ligne politique actuelle du gouvernement, les ex-Premiers ministres n’ont pas manqué de renvoyer ouvertement la balle dans le camp du gouvernement, mais surtout celui de la présidence de la République. Ils ont ainsi invité les deux pôles de l’exécutif à conclure un accord avec le Fonds monétaire international afin de sortir le pays de sa crise économique grave et à adopter les réformes nécessaires au lieu de « provoquer des batailles politiques qui ne serviront qu’à attiser les tensions ».
Un peu plus tard, M. Diab indiquait, à l’issue d’un Conseil des ministres lors duquel a été adopté un plan visant à relancer l’économie, que le Liban allait demander une aide du FMI (voir par ailleurs).
MM. Hariri, Siniora, Salam et Mikati ont également exhorté le pouvoir à respecter l’accord de Taëf et préserver les libertés et le vivre-ensemble, et à se conformer à la politique de distanciation du Liban par rapport aux conflits de la région.
En ce qui concerne le président de la République, les quatre ex-chefs de gouvernement l’ont invité à mettre un terme à ses tentatives de « transformer le régime démocratique parlementaire en un régime présidentiel ». Ils l’ont également incité à « arrêter de porter atteinte aux prérogatives de la présidence du Conseil, au lieu de la transformer en bouc émissaire au service des convoitises des uns et des autres ». Et d’inviter enfin M. Aoun à respecter le principe de séparation des pouvoirs.
« Que Gebran Bassil rêve »
À son tour, Saad Hariri n’a pas mâché ses mots, mais en ciblant seulement le chef du CPL. « Le problème actuel du pays réside dans les agissements de Gebran Bassil », a tonné M. Hariri, estimant que celui-ci « n’existe que parce qu’il bénéficie de la protection du Hezbollah ».
Le chef du courant du Futur, qui s’est gardé de critiquer directement le président, a déploré le fait que son courant politique soit la cible de certaines attaques qui lui font assumer la responsabilité de la situation du pays pendant plus de trente ans. « Mais si Gebran Bassil pense qu’il peut jeter tout le monde en prison, je peux vous dire que ce sera dans ses rêves », a lancé Saad Hariri.
Définissant son positionnement dans la prochaine phase, Saad Hariri s’est voulu très clair : « Nous poursuivrons notre opposition et nous coordonnons avec (le chef du Parti socialiste progressiste) Walid Joumblatt et les autres protagonistes, non pour former un front d’opposition unifié, mais dans l’intérêt des gens, point à la ligne. »
S’en prenant à Hassane Diab, Saad Hariri a stigmatisé le fait que le Premier ministre s’emploie à faire assumer au courant du Futur la responsabilité de la crise en « reprenant les mêmes termes que Michel Aoun et Gebran Bassil ». « Si le cabinet échoue, il faut qu’il tombe avec fracas », a-t-il encore dit, assurant qu’il n’est pas prêt à diriger une équipe ministérielle avec M. Bassil.
Cette double escalade verbale face au mandat Aoun et au cabinet Diab intervient quelques jours après une attaque en règle de Nouhad Machnouk, député de Beyrouth et ancien faucon du Futur, contre le pouvoir. S’exprimant samedi à Dar el-Fatwa, il a évoqué une « guerre contre le sunnisme politique ». C’est donc au vu de son timing que cette double escalade verbale est à aborder.
Sans vouloir trancher sur ce point, Fouad Siniora reconnaît dans une déclaration à L’Orient-Le Jour que « le problème existe », faisant état d’un sentiment de « marginalisation » éprouvé par la communauté sunnite. Mais pour le moment, il préfère rester loin des spéculations portant sur une guerre contre le sunnisme politique. « Ce qui nous importe le plus, c’est que le chef de l’État agisse en tant que président, tout en respectant la Constitution et l’accord de Taëf », ajoute-t-il, estimant « bénéfique pour le pays de revenir à l’équilibre entre loyalistes et opposants ».
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Le prochain Président sera HN
Eleni Caridopoulou
17 h 57, le 03 mai 2020