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Politique - Décryptage

L’opposition de Saad Hariri et « le malaise sunnite »...

Après avoir été le symbole et le théâtre privilégié du mouvement de protestation du 17 octobre dans sa première version, Tripoli est le lieu où ce mouvement est en train de glisser vers la violence. Depuis la relance du mouvement, les places de Tripoli sont devenues des lieux d’affrontements entre les forces de l’ordre et les protestataires. Au point que dans son bilan des émeutes, l’armée a fait état de 81 blessés, dont 50 à Tripoli seulement.

De plus, au cours des derniers jours, à peine les manifestations et les attaques contre les banques et autres symboles de la crise financière et économique commençaient-elles à Tripoli que la contagion s’étendait rapidement à Saïda, comme si, dans ces deux grandes villes dont les habitants sont majoritairement sunnites, la colère était la même et les procédés identiques. En effet, les manifestants de Tripoli ont utilisé des cocktails Molotov contre un véhicule de l’armée et les manifestants de Saïda ont fait de même. Lorsque les protestataires de Saïda ont lancé des grenades contre les forces de l’ordre, ceux de Tripoli ont suivi cet exemple et ainsi de suite.

Même si la colère des révoltés est tout à fait justifiée et compréhensible au vu de la situation économique et financière actuelle, certains milieux politiques estiment que ce regain du mouvement populaire à Tripoli et Saïda en particulier et avec une telle régularité n’est pas fortuit. Si certains ont commencé à insinuer que le Hezbollah n’y serait pas étranger, d’autres leur ont répondu que si l’on pouvait croire, à la limite, à un rôle du Hezbollah à Saïda, à travers les « Unités de la résistance » (un groupe de sunnites proches de la formation chiite), le parti n’a, en revanche, aucune présence directe ou indirecte à Tripoli. C’est pourquoi la tendance générale est de croire que les protestations dans ces deux grandes villes seraient plutôt le reflet d’un véritable malaise au sein de la communauté sunnite. D’ailleurs, le député et ancien ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk a parlé il y a deux jours d’un « plan vicieux » pour frapper la communauté sunnite. Le « club des anciens Premiers ministres », réuni hier, s’est aussi fait l’écho d’un sentiment de frustration de la communauté suite aux décisions du gouvernement et il a appelé à « changer les politiques qui ont abouti à l’effondrement actuel », comme si le gouvernement en place depuis 75 jours pouvait être considéré comme responsable de la crise. Mais cette rationalisation du problème ne touche pas la rue sunnite qui exprime sa colère de Tripoli à Saïda, en passant par Beyrouth et même la Békaa.

S’il faut en croire ce que disent les manifestants, le principal reproche adressé au président du Conseil Hassane Diab est qu’il serait faible face « au président fort » et au président de la Chambre qui a son propre mouvement en plus de bénéficier de l’appui du Hezbollah. Dans cette approche confessionnelle de ce qu’on appelait dans les années 90 « la troïka du pouvoir », le président du Conseil serait donc le maillon le plus faible, n’ayant pas de légitimité populaire pour appuyer ses positions. Pourtant, Hassane Diab faisait partie des personnalités agréées par Saad Hariri pour lui succéder au Sérail et il n’aurait jamais été accepté par les deux formations chiites s’il n’avait pas auparavant obtenu l’aval de l’ancien Premier ministre dans le cadre d’une rencontre entre ce dernier et les « deux Khalil », Ali Hassan Khalil, représentant Amal, et Hussein Khalil, le Hezbollah. D’ailleurs, le chef du courant du Futur s’était abstenu de nommer une autre personnalité sunnite, comme l’ancien ambassadeur Nawaf Salam, lors des consultations parlementaires obligatoires à Baabda pour désigner un nouveau Premier ministre, tout comme il avait contribué à assurer le quorum requis pour la tenue de la séance parlementaire consacrée au vote de confiance pour le gouvernement Diab.

Que s’est-il donc passé pour que la position de Saad Hariri passe d’une sorte de neutralité critique vers une opposition farouche ? Les sources proches du courant du Futur évoquent « la domination exercée par le chef du CPL » sur le président du Conseil et son gouvernement. Mais une personnalité politique à Tripoli estime que les causes sont beaucoup plus profondes et qu’elles sont dues à l’absence d’un leadership sunnite véritable au Liban. Selon cette personnalité, Saad Hariri se serait lui-même affaibli en concluant le fameux compromis présidentiel avec Michel Aoun et, en arrière-plan, avec le Hezbollah. Il a ainsi perdu l’appui traditionnel de l’Arabie saoudite ainsi que celui des Américains, sans obtenir une couverture qui lui permettrait de conserver son emprise sur la rue sunnite.

Toujours selon cette personnalité tripolitaine, l’ancien Premier ministre reste la figure sunnite la plus populaire, mais il doit désormais faire face à d’autres personnalités émergentes grâce notamment à l’influence grandissante de la Turquie et du Qatar sur les sunnites du Liban, face au repli des Saoudiens et des Émiratis. Selon cette même personnalité, cette transformation serait visible à Tripoli et dans le Nord en général, d’autant que dans cette région, les déplacés syriens sont nombreux et bien intégrés au sein de la population. À Saïda, il y a certes moins de déplacés syriens, mais il y a les réfugiés palestiniens, et là aussi, la Turquie et le Qatar sont devenus plus influents que les autres États du Golfe.

Enfin, Saad Hariri doit aussi faire face à une certaine démobilisation de ses partisans au sein du courant du Futur, d’abord à cause de ses absences répétées, ensuite à cause de la diminution de ses moyens. Ainsi, l’ancien ministre de l’Intérieur proche de Rafic Hariri, Nouhad Machnouk, fait désormais cavalier seul. Plus grave encore, Saad Hariri doit faire face à l’apparition de plus en plus précise de son frère aîné Baha’ sur la scène sunnite libanaise. Ce dernier n’a certes pas ouvertement déclaré ses intentions ni dévoilé d’éventuelles ambitions politiques, mais à Tripoli, de nombreux manifestants lui font allégeance.

Dans ce contexte compliqué, Saad Hariri a donc choisi de resserrer les rangs internes et de se lancer dans une opposition farouche au gouvernement pour améliorer sa propre position. En cette période de crise, les thèmes utilisés peuvent être porteurs, mais les conséquences pourraient être graves pour un pays aussi fragilisé.

Après avoir été le symbole et le théâtre privilégié du mouvement de protestation du 17 octobre dans sa première version, Tripoli est le lieu où ce mouvement est en train de glisser vers la violence. Depuis la relance du mouvement, les places de Tripoli sont devenues des lieux d’affrontements entre les forces de l’ordre et les protestataires. Au point que dans son bilan des émeutes,...

commentaires (3)

Y a-t-il une institution au Liban qui s'appelle le club des anciens premiers ministres?

nadim souraty

00 h 23, le 04 mai 2020

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Commentaires (3)

  • Y a-t-il une institution au Liban qui s'appelle le club des anciens premiers ministres?

    nadim souraty

    00 h 23, le 04 mai 2020

  • Le malaise sunnite exprimé de plus en plus par les manifestants de Tripoli et d'ailleurs s'est en grande partie dirigé contre les leaders sunnites bien connus. On entend de plus en plus des manifestants fustiger Mikati, Hariri et ces milliardaires sunnites qui ont , en 1er lieu , été ceux qui ont abandonné leurs ouailles, les poussant au chômage et au désoeuvrement . Ces leaders sunnites ont fait plus de chômeurs sunnites et d'autres bien sûr à travers les licenciements dû aux faillites de leurs entreprises.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 25, le 01 mai 2020

  • Parler en langue française , entre copains, c’est une chose. L’écrire, c’en est une autre. Des tournures ou expressions verbales du quotidien ne passent pas , lors de l’écrit dans un quotidien. Je me comprends ?? bonne journée et amitiés.

    LE FRANCOPHONE

    03 h 08, le 01 mai 2020

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