Attendue depuis le début de la semaine dans un contexte très tendu sur les plans politique, économique, monétaire et financier, l’intervention télévisée du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, a finalement pris hier la forme d’un grand oral. Un exercice dans lequel le haut responsable, sous le feu des critiques et qui a été pris à partie la semaine dernière par le Premier ministre, Hassane Diab, a cherché une nouvelle fois à défendre ses choix en matière de politique monétaire tout en appelant l’exécutif à respecter l’autonomie que la loi accorde à l’institution qu’il dirige.
Le gouvernement doit en principe finaliser aujourd’hui un projet de plan de redressement du pays dont la crédibilité définira sa marge de manœuvre face aux créanciers du pays avec qui il doit négocier une restructuration de la dette publique. Or le Premier ministre a reproché la semaine dernière à la BDL de ne pas l’avoir consulté avant d’adopter une série de circulaires publiées depuis le début du mois et qu’il considère en partie responsable du récent décrochage de la livre par rapport au dollar (plus de 4 000 livres en début de semaine).
Si la parité officielle de 1 507,5 livres est toujours appliquée pour les transactions bancaires, le taux du marché noir, qui est suivi par la quasi-totalité des changeurs s’est continuellement déprécié depuis fin août, avant de s’écrouler brutalement depuis le début du mois. Une forte dépréciation, qui en plus de pénaliser un peu plus des Libanais déjà handicapés par les restrictions imposées illégalement par le secteur bancaire du pays, fausse certains paramètres du plan préparé par l’exécutif.
Autonomie financière et administrative
Le gouverneur a commencé par invoquer l’autonomie financière et administrative que confère le Code de la monnaie et du crédit promulgué depuis 1964 à la BDL pour lui permettre de remplir ses principales missions, à savoir garantir la stabilité de la monnaie et de l’économie, réglementer le secteur bancaire ou développer les marchés financiers. Cette autonomie ne donne pas le champ libre au gouverneur, la majorité de ses décisions étant prises par le comité central de la BDL, où siègent également les vice-gouverneurs, a en outre rappelé Riad Salamé, réfutant au passage le manque de transparence régulièrement imputé à l’institution.
Alors que l’exécutif a prévu de mandater trois sociétés internationales pour auditer les comptes de la BDL, le gouverneur a, lui, assuré qu’il avait déjà envoyé toutes les données en sa possession au gouvernement le 9 mars dernier. Il a ajouté que deux autres cabinets internationaux (dont Deloitte) avaient déjà audité les comptes de la BDL pour les exercices 2015, 2016 et 2017, et que le rapport de 2018 serait transmis une fois terminé. Il a de plus assuré que ses bilans provisoires étaient publiés toutes les deux semaines.
Le gouverneur a ensuite défendu son action, en indiquant qu’il avait aidé le gouvernement à réduire autant que possible ses déficits en les finançant à des coûts inférieurs à ceux marché (via notamment des swaps de titres de dette) ou via ses différents plans de relance. Il a en outre souligné que la BDL n’était cependant pas responsable des déficits qui ont contribué à dégrader la situation financière du pays, dont celui de la balance commerciale, alourdi par 56 milliards de dollars de produits importés entre 2015 et 2019 « dont on ne sait pas s’ils étaient tous nécessaires ou tous destinés au marché libanais ». Il a également rappelé que les déficits cumulés de l’État avaient atteint 25 milliards de dollars sur cette même période. Aujourd’hui, « le Liban a besoin de 16,2 milliards de dollars par an », a encore affirmé le gouverneur, soulignant que l’institution s’était efforcée de trouver les montants en devises requis pour pouvoir assurer la « stabilité du pays » et de la livre.
Attaques injustifiées
Il a ensuite estimé que les attaques contre la BDL étaient injustifiées dans la mesure où ce n’était pas lui qui avait fixé les dépenses de l’État, avec ou sans loi de finances, et qu’il avait appelé à plusieurs reprises les autorités à réformer le pays. Il a d’ailleurs souligné que les ingénieries financières lancées à partir de 2016, et critiquées pour leur impact sur les taux d’intérêt et leur coût à long terme pour les finances de la BDL, avaient été lancées pour permettre au Liban de « gagner du temps » jusqu’à l’organisation de la conférence de Paris d’avril 2018 (la CEDRE). Il a de plus regretté que les dirigeants du pays n’aient pas tenu leurs engagements de réformes réclamés par les donateurs pour officialiser le déblocage des 11 milliards de prêts et dons promis.
Revenant sur l’impact des différentes crises qu’a connues le Liban ces derniers mois – en comptant les blocages liés aux manifestations qui ont démarré le 17 octobre dernier ou l’épidémie de coronavirus – estimant que la priorité actuelle était que le système bancaire tienne et qu’il attire de nouveaux dépôts. Dans cette optique il a jugé qu’une ponction sur les dépôts, une mesure envisagée par le gouvernement pour restructurer le secteur bancaire, n’était pas souhaitable. Il a par ailleurs répété que les dépôts des Libanais étaient toujours « présents » dans les banques.
Riad Salamé est enfin revenu sur les différentes décisions et circulaires publiées par la BDL depuis le début de la crise concernant le taux de change, la baisse des taux d’intérêt, les prêts à taux 0 pour les entreprises pénalisées par le confinement lié au Covid-19, la garantie de libre dispositions des « fonds frais », le lancement prochain du fonds « Oxygène », ou encore la possibilité de retirer en livres et au taux du marché à partir de dépôts en dollars, entre autres annonces. L’Orient-Le Jour a détaillé l’ensemble de ces dispositifs dans ses précédentes éditions.
Contrôle des capitaux
Si la plupart des arguments de Riad Salamé – notamment ceux visant les errements de l’État – ne sont pas contestés par la majorité des experts, tous n’ont pas été convaincus par le plaidoyer exhaustif du haut responsable, à commencer par l’économiste Jad Chaaban que L’Orient-Le Jour a contacté. Pour lui, le gouverneur a été muet sur plusieurs points fondamentaux. « Il y a notamment le fait que la BDL ait laissé les banques mettre en place des restrictions bancaires de façon unilatérale, sans intervenir alors que la loi lui permettait de le faire, au moins à court terme », déplore-t-il.
Le Code de la monnaie et du crédit autorise en effet la BDL, sous certaines conditions, à mettre en place des mesures temporaires de contrôle des capitaux pour préserver la stabilité économique et financière du pays en temps de crise et en attendant que le Parlement légifère en ce sens – ces restrictions contrevenant aux principes d’économie libérale consacré par la Constitution. Pour Jad Chaaban, la BDL et la commission de contrôle des banques avaient même le devoir de rappeler à l’ordre les établissements qui avaient pris des mesures discriminantes à l’égard de leurs déposants.
L’économiste adresse le même reproche à la BDL concernant la dépréciation de la livre sur le marché secondaire ces dernières semaines dans des proportions jamais vues. Il critique enfin le gouverneur pour avoir laissé l’État accumuler les déficits sans jamais réellement tirer la sonnette d’alarme, une responsabilité aggravée selon lui par le fait que le maintien de ce système pour lequel les Libanais sont obligés aujourd’hui de payer l’addition a permis à des « agents privés » de générer des profits considérables en utilisant les mécanismes mis en place par la Banque centrale pour financer l’État.
Un financier sous couvert d’anonymat regrette pour sa part que le gouverneur de la BDL ait toujours plus « raisonné en financier qu’en économiste » pour arrêter ses décisions en matière de politique monétaire. « Privilégier une politique de taux d’intérêt élevés a certes permis au pays d’avoir un secteur bancaire compétitif, mais cela a en même temps privé le pays de certains leviers pour diversifier son économie. Il n’a pas eu d’autocritique à ce niveau », constate-t-il.
Enfin certains sujets qui semblent pourtant avoir leur importance compte tenu du contexte actuel n’ont que rapidement été évoqués par le gouverneur, notamment les suites de la liquidation de Jammal Trust Bank, la petite banque libanaise sanctionnée l’été dernier par le Trésor américain, ou encore l’avenir immédiat du taux de change livre/dollar pour les transactions bancaires, un sujet qui angoisse beaucoup d’entrepreneurs.
commentaires (6)
Lorsqu’entre 2015 et 2019 les dettes se remontent à 56 milliards, le rôle du gouverneur d’une banque n’était il pas de stopper net les dons à l’état puisque de ça dont il s’agit. Soit on prête et on exige des remboursements ou alors on arrête les frais et on exige des explications. Or ni l’un ni l’autre n’a été fait alors c’est à la commission personnelle que reposaient ces avances infondées non justifiées et illégales? Quelle a été sa mission pour laquelle il touche son salaire l’honorable gouverneur? N’est ce pas de garantir Le bon fonctionnement financier et économique de notre pays? Qu’attendait il pour annoncer publiquement les manquements et les irrégularités de l’état bananier qu’il finançait sans compter aux frais des contribuables. Qu’espérait il enfin? Un miracle, lui le scientifique qui sait que ce genre de chose ne pouvait pas avoir lieu? Tout le monde nous baratine et veut nous faire croire à sa bonne foi alors qu’ils ont tous trempé dans les magouilles en tablant sur la peur des citoyens qu’une guerre ne se déclenche par magie ou par la volonté de certains pour noyer le poisson.
Sissi zayyat
12 h 04, le 02 mai 2020