Le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé a répondu hier, au cours d’une conférence de presse très attendue, aux graves accusations d’opacité qui lui avaient été adressées publiquement par le Premier ministre, Hassane Diab, jeudi dernier, en Conseil des ministres où la volonté de le démettre de ses fonctions était apparue évidente. Comme certaines sources le prévoyaient déjà en début de semaine, le gouverneur de la BDL n’a pas procédé à une escalade, se contentant d’un discours basé sur les dispositions de la loi, reconnaissant certaines de ses erreurs d’appréciation, mais insistant sur le fait qu’il n’a fait que financer l’État, et notamment des dépenses engagées en l’absence de budget, mais toutes approuvées par le Parlement.
De la défense, par Riad Salamé, de son exercice, un certain nombre de points ressortent plus clairement. On reproche à la Banque centrale d’avoir financé l’État, mais la loi l’oblige à le faire. Cette fonction n’est pas facultative, a-t-il dit en substance. Et de souligner, dans une allusion tacite à la Cour des comptes, que « la Banque centrale a certes financé l’État, mais ce n’est pas elle qui a dépensé l’argent. Reste donc à savoir qui l’a dépensé, et il existe des institutions constitutionnelles et administratives dont c’est la tâche de surveiller les dépenses (de l’État) ».
Renvoyant la balle à l’État, le gouverneur, auquel on a reproché d’avoir bercé les déposants d’illusions, sans les avertir du danger que couraient leurs épargnes et leurs dépôts, a rappelé qu’il avait tiré la sonnette d’alarme dès 2012, sous le gouvernement de Nagib Mikati, insistant sur la nécessité absolue d’une réforme de l’État. M. Salamé a rappelé qu’il l’a dit et redit implicitement à plusieurs reprises : à l’occasion de la conférence CEDRE à Paris (avril 2018) ; quand la grille des salaires dans la fonction publique avait été adoptée contre son avis (août 2018) ; quand en 2016 il avait procédé à une ingénierie financière, se faisant pourvoir en dollars par les banques à de forts taux d’intérêt, tout cela « pour gagner du temps » et dans l’attente de réformes qui ne sont jamais venues.
Médiation de Abbas Ibrahim
Le gouverneur a, en outre, clairement défendu l’autonomie dont jouit la BDL en évoquant les circulaires publiées, au cours des deux derniers mois, pour tenter de freiner le plongeon de la livre et de stabiliser le cours du dollar sur le marché parallèle. « Rien dans la loi n’exige que chacune de nos circulaires soit approuvée au préalable par le gouvernement », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Nous coopérerons avec le gouvernement et son chef comme nous l’avons fait par le passé. Mais la Banque centrale conservera son indépendance de décision. » M. Salamé a quand même admis que sa circulaire enjoignant aux agences de transfert de payer leurs clients en livres à un taux proche du marché fixé par la BDL, à charge que les devises envoyées aillent à la Banque centrale, avait raté sa cible.
Un point général ressort clairement du discours tenu par Riad Salamé, sa volonté de dépouiller son discours de toute attaque politique ou de régler des comptes personnels. À quoi cela pourrait-il être dû? Riad Salamé aurait tenu compte de la médiation engagée, après l’orageux Conseil des ministres de jeudi dernier, par le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, derrière lequel se profilerait le tandem chiite, qui trouverait en ce moment son intérêt dans la stabilité politique, sans pour autant exonérer le gouverneur de la BDL de sa responsabilité personnelle dans l’effondrement monétaire, comme la clairement affirmé lundi Naïm Kassem, le numéro deux du Hezbollah. En tout état de cause, c’est grâce à cette médiation, et pour ne pas envenimer encore plus les choses, que le gouverneur ne s’est pas livré à des attaques personnelles, a-t-on avancé de source informée, Naïm Kassem s’étant clairement prononcé pour un débat sur la BDL en Conseil des ministres, mais non sur les places publiques.
L’un des éléments de cette médiation consistait d’ailleurs en une rencontre de franche explication entre le gouverneur et le Premier ministre. Toutefois, selon notre correspondante Hoda Chedid, le gouverneur a souhaité que cette rencontre se tienne après son plaidoyer d’hier. Elle est donc toujours sur l’agenda des jours à venir. De la même façon, sollicité hier de réagir à la défense de M. Salamé, M. Diab a souhaité « un délai de réflexion avant de le faire ».
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Certaines parties veulent provoquer la sédition, accuse Diab
Le Premier ministre Hassane Diab a accusé, lors du Conseil des ministres qu’il a présidé hier au Grand Sérail, certaines parties qu’il n’a pas identifiées de chercher à provoquer la sédition, évoquant « un plan sournois » visant à déstabiliser le pays.
« Le soulèvement des gens contre la corruption et les corrompus qui ont mené le pays à l’effondrement est naturel, mais les émeutes qui ont eu lieu, et les tentatives d’opposer les gens à l’armée, sont les indicateurs d’un plan sournois », a estimé le Premier ministre. « Il est normal que les Libanais qui ont découvert les politiques financières des gouvernements précédents descendent dans la rue, mais ce qui est anormal, c’est qu’une ou plusieurs parties essaient de surfer sur cette vague et de détourner les mouvements populaires pour incendier le pays », a-t-il ajouté, sans nommer ces parties. « Ce qui se passe n’est pas innocent, il y a une destruction programmée des institutions. Certains cherchent la sédition entre l’armée et le peuple. Certains volent la voix des gens honnêtes. Certains brûlent et détruisent intentionnellement les rues. Certains veulent le chaos car ce chaos les protège », a en outre accusé Hassane Diab.
Il a affirmé détenir « des rapports complets sur les parties qui incitent aux émeutes », ajoutant que « les services de sécurité ont les noms de toutes les personnes qui brûlent des établissements et détruisent des propriétés publiques et privées, et ces personnes seront traduites en justice ».
Le Premier ministre a par ailleurs salué la « sagesse et la discipline » dont a fait preuve la troupe face aux manifestants. « Au final, ces gens (les manifestants) sont nos familles et nos enfants », a rappelé le Premier ministre.
commentaires (9)
Il ne faut pas négliger son pourcentage dands cette affaire
DALAL MANSOUR
23 h 43, le 30 avril 2020