Iman Shankiti à « L’Orient-Le Jour » : « La réaction du Liban à l’épidémie est proactive, dans le sens où le ministère de la Santé n’attend pas que les cas viennent à lui. Il remonte la piste de chaque cas de contamination. » Photo D.R.
Principal partenaire du ministère de la Santé publique, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a accompagné le Liban dans sa lutte contre l’épidémie de Covid-19 dès la déclaration du premier cas le 21 février. La représentante de l’agence onusienne au Liban, Iman Shankiti, brosse à « L’Orient-Le Jour » un tableau de la situation.
Comment évaluez-vous la gestion libanaise de l’épidémie ?
La situation continue à être bien contrôlée. Les chiffres au Liban sont toujours faibles en comparaison avec d’autres pays de la région. Plusieurs facteurs ont contribué à ces résultats notamment les mesures strictes prises par le gouvernement dans le cadre de la mobilisation générale et la fermeture des frontières, bien que des infractions continuent à être observées. Cela a permis de limiter la transmission du virus. Avec l’augmentation du nombre de tests de dépistage PCR à près de 2 000 par jour, nous aurons les prochaines semaines une vision plus globale de la situation. La stratégie suivie par le ministère de la Santé publique et le gouvernement est très scientifique et les décisions sont prises à la suite de discussions approfondies. Le Liban est sur la bonne voie et j’espère que nous pourrons continuer à maîtriser l’épidémie.
Comment les infractions aux mesures de confinement observées au quotidien peuvent-elles perturber les résultats obtenus à ce jour ?
Cela peut favoriser la transmission du virus alors que l’objectif de la mobilisation générale est justement de freiner la chaîne de transmission. Le ramadan débutera bientôt. Si la distanciation sociale n’est pas respectée tout au long de ce mois, on peut redouter une augmentation des cas de contamination, au risque de ne plus pouvoir contrôler la situation.
Vous êtes donc favorable à un nouveau prolongement de la durée de mobilisation générale ?
Oui. D’ailleurs, avant qu’un pays ne pense à alléger ses mesures de confinement, plusieurs critères doivent être remplis. D’abord, il faudrait que la transmission du virus soit contrôlée, ce que nous ne pouvons pas encore confirmer à ce jour au Liban. Nous contrôlons ce que nous voyons, mais nous ignorons si nous avons un tableau complet de l’épidémie. Il faudrait aussi établir un système de surveillance pour améliorer l’identification et la gestion des cas. De leur côté, les écoles et les lieux de travail doivent prendre des mesures préventives, sinon nous risquons une nouvelle flambée de cas puisque les gens vont reprendre leurs anciennes habitudes. Par ailleurs, les contaminations détectées parmi les membres des corps médical et soignant est l’un des facteurs qui soulignent que le Liban n’est pas encore prêt à alléger ses mesures de confinement. Enfin, l’aéroport devrait rester fermé pour une plus longue période parce que nous ne voulons pas importer des cas au Liban.
À chaque pays sa spécificité, mais nous pensons que le Liban n’est pas encore prêt à alléger les mesures de confinement. Évidemment, il faut faire la balance entre la situation sanitaire et la situation économique, d’autant que de nombreuses personnes n’ont pas de quoi nourrir leur famille. Les autorités essaient de penser à une formule pour permettre à certains secteurs de rouvrir. C’est une décision difficile à prendre.
Le rapatriement des Libanais bloqués à l’étranger ne représente-t-il pas un risque d’importation de cas de Covid-19 ?
La manière dont les Libanais ont été rapatriés est très professionnelle. Un nombre restreint de rapatriés a été testé positif au Covid-19 (34 sur 2 490 personnes rapatriées, NDLR), sachant que les personnes asymptomatiques ont un PCR négatif.
Les chiffres obtenus reflètent-ils la réalité de la situation ou n’est-ce que la partie émergée de l’iceberg ?
Le Liban n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie. Comme dans 80 % des cas, les symptômes de la maladie sont légers, nombreux ceux qui auraient pu être affectés, sans le savoir. Les cas recensés sont essentiellement ceux qui sont sévères et nécessitent une admission dans les unités de soins intensifs, ou ont besoin de ventilation assistée ou d’un soutien médical. Cela est observé d’ailleurs dans tous les pays du monde, et pas seulement au Liban.
Il se peut que tous les cas ne soient pas rapportés, mais la réaction du Liban à l’épidémie est différente de celle observée dans les autres pays du monde. Elle est proactive, dans le sens où le ministère de la Santé n’attend pas que les cas viennent à lui. Il remonte la piste de chaque cas de contamination.
Quand le Liban atteindra-il le pic de l’épidémie ?
J’espère qu’il ne le fera pas, mais tout dépendra de la manière dont la population se comportera au cours des trois prochaines semaines et des mesures qui seront prises. Si le confinement est allégé, il se peut que nous l’atteignions rapidement. Si les mesures restent strictes et que la population y adhère, nous pouvons ne pas l’atteindre ou même le retarder jusqu’à la fin du mois de mai.
À quoi faut-il s’attendre donc au Liban ?
Les chiffres qui circulent sont des estimations basées sur ceux d’autres pays. Nous estimons que le Liban aura besoin, tout au long de l’épidémie, de 2 000 à 2 700 lits en unités de soins intensifs avec ventilation. Ce nombre est assuré entre les hôpitaux privés et publics. Encore une fois, j’espère que nous n’en aurons pas besoin.
Comment se traduit l’intervention de l’OMS au Liban ?
L’OMS est un partenaire principal du ministère de la Santé. Nous l’avons aidé à développer la stratégie de réponse au Covid-19. Mais notre principal souci était de permettre au système hospitalier de répondre à l’épidémie. Donc, dès la déclaration du premier cas le 21 février dernier, l’OMS a soutenu l’hôpital universitaire Rafic Hariri en fournissant plus de 10 000 tests de PCR au laboratoire, en assurant les équipements de protection personnelle aux équipes soignantes et en faisant don de ventilateurs. Nous avons été l’un des principaux contributeurs aux opérations effectuées dans cet hôpital. Le bureau de l’OMS a également joué un rôle de coordination entre les différentes agences onusiennes pour que nous travaillions tous sur la même longueur d’onde.
Quid des camps des réfugiés ?
L’Unrwa et le HCR travaillent beaucoup dans les camps. Un accord a été passé avec plusieurs hôpitaux gouvernementaux pour qu’ils puissent répondre aux besoins des réfugiés syriens et palestiniens lorsque cela s’avère nécessaire. De même, des endroits ont été localisés, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, pour servir de centres d’isolement.
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commentaires (8)
Le pic sera après le Ramadan dans les pays musulmans , en Europe les musulmans doivent suivre les consignes des gouvernements , tout fermer comme à Pacque
Eleni Caridopoulou
17 h 35, le 26 avril 2020