« Vous êtes votre partenaire sexuel le plus sûr. » Cette phrase fait partie d’une liste de recommandations publiée par l’État de New York pour « profiter de la sexualité sans propager le Covid-19 », alors que la métropole américaine frappée de plein fouet par l’épidémie vit confinée, comme plus de la moitié de la planète. Comment faire, en effet, pour entretenir sa sexualité lorsque chaque personne est appelée à vivre à 1,5 mètre de distance minimum des autres, le visage couvert d’un masque ? Les consignes de distanciation sociale, qui devraient rester en vigueur même après le déconfinement en attendant la mise sur le marché d’un vaccin ou d’un traitement, ne risquent-elles pas d’impacter, à long terme, les rencontres et la sexualité ? L’Orient-Le Jour a posé ces questions au psychiatre et sexologue clinicien libanais Chady Ibrahim ainsi qu’au sociologue belge Jacques Marquet.
La sexualité confinée
Les scientifiques s’accordent, jusqu’à présent, sur le fait que le coronavirus n’est pas transmissible sexuellement. En revanche, la maladie se transmet par les gouttelettes émises par la bouche quand l’on tousse ou éternue, et ce notamment en situation de contact étroit entre deux personnes. Or pendant l’acte sexuel, rappelle le Dr Chady Ibrahim, « beaucoup de gouttelettes se propagent à travers les baisers, le toucher ou encore le sexe oral ».
« On imagine assez mal le port du masque pendant les relations sexuelles, d’autant que derrière la sexualité, il y a le sens, autant symbolique que pragmatique, de la mise à nu. Le masque apparaîtrait alors comme une forme de barrière, comme c’était le cas avec le préservatif dont l’usage n’était pas évident dans les années 80-90, lors de l’apparition du VIH », affirme Jacques Marquet, professeur à l’Université catholique de Louvain. Quant au lavage des mains, il serait insuffisant face à la production continue de gouttelettes sur d’autres parties du corps.
Face à ce casse-tête, les autorités sanitaires de la plupart des pays recommandent donc de ne pas s’engager, en cette période de quarantaine mondiale, dans des activités sexuelles avec d’autres personnes, à l’exception de partenaires qui vivent déjà sous le même toit, s’ils ne souffrent pas de symptômes du coronavirus.
Mais même pour les couples en cohabitation, l’épidémie peut impacter la sexualité. « Avec le stress, il est normal de ressentir une baisse du désir sexuel », souligne le Dr Chady Ibrahim qui indique que, lors des premières semaines du confinement, il a reçu de nombreux appels de patients « rencontrant des problèmes comme des troubles érectiles ou des éjaculations précoces en aggravation ou du vaginisme (contraction musculaire prolongée ou récurrente des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin, NDLR) ». « La situation du confinement peut poser problème à certains couples en cohabitation, s’ils ne peuvent pas disposer de l’intimité nécessaire, notamment en cas d’espaces de vie réduits et de famille nombreuse », ajoute Jacques Marquet.
Et a fortiori, « cette situation est évidemment plus difficile à vivre pour les partenaires qui sont sexuellement actifs mais ne vivent pas ensemble et ne peuvent pas se voir ainsi que pour les minorités sexuelles qui, comme au Liban où la société est encore pleine de tabous et d’interdits, doivent se cacher, en plus d’être confinés », souligne le médecin.
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Et après, « traumatisme collectif » ou retour à la normale ?
Au-delà des contingences du confinement actuel, la pandémie de Covid-19, qui selon les derniers bilans a fait près de 165 000 morts dans le monde, risque, selon le psychiatre et sexologue, de représenter un « traumatisme collectif qui aura un impact sur la santé mentale et donc sur la vie sexuelle » en général. « Certains risquent de développer des phobies, des obsessions de la contagion », estime le Dr Chady Ibrahim. Historiquement, ce n’est pas la première fois qu’une épidémie impacte la vie sexuelle, ajoute-t-il, évoquant notamment les épidémies grippales du XXe siècle (SARS, MERS), « après lesquelles il y a eu plus de dépressions, d’anxiété par rapport à la santé ». « Malheureusement, l’impact du coronavirus risque d’être énorme » à ce niveau. Pour le sexologue clinicien, les conséquences de la pandémie sont à penser sur le long terme : « Les règles de distanciation sociale ne vont pas être levées du jour au lendemain, cela risque de changer fortement notre comportement non verbal. Au-delà de la sexualité, ce sont toutes les relations interhumaines qui vont être chamboulées. »
Jacques Marquet, spécialiste des questions relatives à la famille et à la sexualité, n’est pas du même avis. « Dans les cas de relations existantes, si les partenaires sont déjà proches, la question des relations sexuelles sera probablement liée à la confiance qu’ils ont l’un envers l’autre. » En ce qui concerne les nouvelles relations, le sociologue de l’UCL entrevoit l’hypothèse d’une étape qui se développerait en amont de nouveaux rapports sexuels, les deux partenaires se soumettant à des tests de dépistage du coronavirus, une pratique qui existait déjà face au sida avec les tests VIH. « Mais cela dépendra de la susceptibilité de chaque personne à la peur de la contagion », précise-t-il. Il exprime dans ce cadre de plus fortes craintes pour les jeunes. « Ils sont statistiquement plus susceptibles de connaître de nouvelles relations mais ont tendance à se penser invulnérables », ce qui les expose à plus de risques.
Jacques Marquet relève encore que les changements de pratiques, comme ceux qui ont été observés depuis l’apparition du sida, ne sont jamais immédiats. « Il a par exemple fallu plusieurs années et une répétition importante des messages de prévention pour que l’utilisation du préservatif devienne courante », rappelle-t-il. Dans le cas du coronavirus, la situation est différente, « notamment parce que l’épidémie n’est pas directement liée à la sexualité » et parce que tout changement qui pourrait survenir dans la façon d’aborder les relations sexuelles dépend de la découverte de vaccins ou de traitements, qui pourraient faire revenir la situation à la normale. Dans ce contexte, le sociologue n’imagine pas de « modifications des pratiques qui s’inscriraient dans la durée ».
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Alternatives
Les deux experts s’accordent toutefois sur une chose : le confinement et la distanciation sociale, quel que soit leur impact à long terme, vont engendrer une utilisation plus régulière des nouvelles technologies dans le cadre de la vie sexuelle.
Pour le Dr Chady Ibrahim, « nous sommes des êtres sociaux malgré tout, nous avons besoin d’intimité et de contacts humains et les gens doivent parvenir à garder le contact, même à distance, avec leurs partenaires » réguliers ou pas, pour maintenir le désir sexuel et la relation. Il évoque dans ce contexte un « consensus médical » qui encourage la masturbation et le sexe virtuel. « Avant, illustre-t-il, les gens se disaient par exemple peu intéressés par le “phone sex”. Mais aujourd’hui, avec l’épidémie et le confinement, les gens se tournent de plus en plus vers ces pratiques. » Hormis cette tendance, l’attrait pour le sexe virtuel semble également confirmé par un pic du flux de visiteurs sur les plateformes numériques érotiques et de pornographie ces dernières semaines, selon une enquête du Monde. Un attrait qui pourrait toutefois s’expliquer par les campagnes menées par certains sites qui proposent gratuitement leurs contenus pendant le confinement, est-il précisé.
Le sexologue entrevoit donc pour le futur « un développement des technologies de réalité virtuelle dans le cadre de la vie sexuelle, ainsi qu’un recours plus important à la prostitution en ligne ». « Dans le cadre d’enquêtes sociologiques, il a été effectivement démontré que l’utilisation des nouvelles technologies dans le cadre de la sexualité est déjà très répandue », avec évidemment des réserves concernant la crainte de voir le matériel diffusé à l’insu d’un ou des partenaires, souligne de son côté Jacques Marquet. Mais aujourd’hui, il n’est pas à exclure que ces craintes s’estompent sous le coup de « la nécessité de maintenir le lien avec un partenaire sexuel », selon lui.
Et pour le psychiatre clinicien Chady Ibrahim, ces moyens alternatifs à notre disposition pour entretenir notre vie sexuelle sont essentiels. Non seulement parce que, pour certains, l’acte sexuel en soi et la masturbation « constituent un moyen de gérer le stress, de se sentir vivants, de vaincre la peur de la mort et de la maladie », mais aussi « parce qu’il ne faut pas négliger l’importance de l’intimité et de la santé sexuelle, qui est le point culminant entre la santé physique et la santé mentale ». Et le médecin d’insister : « Il ne faut surtout pas réprimer les pulsions de vie ! »
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Heu..franchement, est ce le principal souci aujourd'hui? même demain. Disons qu'il y aura moins de naissances et donc chômeurs au liban ( si on parle du liban ).A l'époque "sortez protéger" signifiait "préservatif". Aujourd'hui ca signifie " presque tous les orifices à fermer" :) (presque )
19 h 00, le 21 avril 2020