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Politique - Parlement

Un décor de théâtre pour une première journée parlementaire fructueuse

À part quelques flèches acérées qui font partie du rituel des échanges politiques au Liban, les débats suscités autour de chaque projet n’étaient pas vraiment violents ou insultants.

Au palais de l’Unesco, ministres et députés ont respecté la distanciation sociale. Photo ANI

Le député Farid Boustany a dit tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas lorsqu’il a lancé : « De quoi sommes-nous donc en train de discuter, alors que les préoccupations des Libanais sont ailleurs ? » Ce qui lui a valu une riposte immédiate du président du Parlement qui a déclaré qu’au contraire c’est dans l’intérêt du Liban et des Libanais que le Parlement fasse son travail. « Et si certains projets de loi paraissent décalés par rapport à la situation actuelle, c’est bien parce que cette séance devait avoir lieu il y a plusieurs mois et que tout le monde sait pourquoi elle a été reportée. »

Ce petit échange a été suivi d’une intervention du président de la commission des Finances Ibrahim Kanaan qui a déclaré : « Je viens de recevoir un message. Pendant que nous discutons ainsi, le dollar a largement dépassé les 3 000 LL pour arriver jusqu’à 3 300 et 3 400 ! Cela devrait être notre priorité ! » Là aussi Nabih Berry est intervenu pour demander au gouvernement et à son président ce qu’ils font pour lutter contre les changeurs qui ne respectent pas les directives du gouvernement et de la Banque du Liban. Toujours calme et posé, Hassane Diab a affirmé que des changeurs sans licence ont été suspendus et déférés devant la justice et d’autres, qui vendent le dollar à des prix très élevés, ont été sanctionnés...

Ces deux séquences donnent une idée de l’atmosphère dans laquelle s’est déroulée la séance parlementaire plénière décidée par le président de la Chambre, qui a sciemment voulu la convoquer avant le début du mois de jeûne de ramadan, pour alléger les projets de loi en suspens depuis des mois.


(Lire aussi : Le Parlement légalise la culture du cannabis à des fins médicales, malgré l'opposition du Hezbollah)


Seize projets de loi adoptés

Sur les 16 projets de loi adoptés hier, au cours de la première séance qui s’est déroulée de 11h à 15h30, certains sont de la plus haute importance, alors que d’autres (comme le changement de nom de deux localités) semblent relever du vaudeville. Du côté des projets importants, il y a par exemple la loi sur la création de la Commission nationale pour la lutte contre la corruption, mais aussi la loi levant l’immunité des fonctionnaires, sans autorisation préalable du ministre concerné qui a un délai de 12 jours pour donner son aval, sinon son accord est tacite. Il y a aussi la construction d’un tunnel reliant Beyrouth à la Békaa, dans le cadre d’un BOT et du partenariat entre le secteur privé et le secteur public. Il faut aussi noter l’acceptation d’un crédit de la Banque mondiale pour améliorer le secteur de la santé au Liban, qui a été voté à l’unanimité...

En dépit des longueurs dans les débats et du décor inhabituel, on ne peut donc pas dire que la séance parlementaire était improductive. Mais depuis le début, tout était étrange dans cette séance. D’abord, le lieu : l’Unesco, qui a été aménagé à la hâte pour pouvoir accueillir tout ce monde. L’endroit avait été choisi d’abord parce qu’il comporte une salle de 700 places avec des balcons, où il sera possible d’installer les représentants des médias ainsi que les techniciens et les collaborateurs des ministres et des députés. D’ailleurs, les sièges avaient été soigneusement comptés pour laisser un espace suffisant entre les députés, ceux-ci s’étant rassemblés selon leurs groupes et selon la configuration de l’hémicycle.

En face d’eux, la scène était entièrement occupée par les bureaux du président de l’Assemblée et des membres du bureau de la Chambre. Derrière eux, les lourdes tentures de velours bordeaux du théâtre donnaient à la salle une solennité un peu irréelle, comme venue d’une autre époque, surtout avec les lumières tamisées de cette salle de spectacle. Entre la scène et les fauteuils de velours destinés généralement aux spectateurs, des tables et des chaises ont été installées pour le chef du gouvernement et les ministres, qui sont d’ailleurs restés discrets tout au long de cette séance. À part deux ou trois interventions du Premier ministre, un peu plus de la part de la ministre de la Justice et une petite intervention du ministre de l’Agriculture et une autre du ministre de la Santé, les autres ministres se sont contentés d’observer la scène en silence.

Une fois tout ce monde installé, après avoir été soigneusement aspergé à l’entrée par un produit aseptisant par mesure de précaution, Nabih Berry a ouvert la séance en annonçant qu’il n’y aura pas de discours préliminaires pour pouvoir entamer immédiatement l’ordre du jour de 66 projets de lois. La députée Paula Yacoubian a protesté, affirmant que c’est une atteinte aux droits des députés, et Nabih Berry lui a répondu avec sa vivacité habituelle : « Vous êtes la dernière à pouvoir dire cela, car avec le nombre de propositions de lois que vous avez présentées, vous allez pratiquement intervenir tout le temps ! »

De fait, Mme Yacoubian prendra la parole à plusieurs reprises, proposant des amendements ou faisant des suggestions. Elle a même dénoncé la façon dont un projet a été rendu au Parlement par le chef de l’État, qualifiant les tournures utilisées d’ « inacceptables et manquant de respect » à l’égard de cette institution. Nabih Berry s’est alors empressé de tuer dans l’œuf cette polémique naissante en déclarant : « Ce n’est pas pour défendre le chef de l’État, mais en général c’est le fait des conseillers. Je vais d’ailleurs effacer du procès-verbal les formules incriminées. »


(Lire aussi : Et pour parasol... la culture !, l'éditorial de Issa GORAIEB)


Des « éléments armés » autour de l’Unesco

De leur côté, Samy et Nadim Gemayel s’en sont pris au président de la Chambre en affirmant avoir croisé autour du siège provisoire du Parlement des éléments armés « non officiels » qui leur ont rappelé l’époque des milices. Nabih Berry a affirmé à deux reprises qu’il s’agissait d’agents de sécurité officiels, mais les deux députés n’ont pas paru convaincus.

À part donc quelques flèches acérées qui font désormais partie du rituel des échanges politiques au Liban, les débats suscités autour de chaque projet figurant à l’ordre du jour n’étaient pas vraiment violents ou insultants. Il est vrai que les députés ne pouvaient pas intervenir quand ils le voulaient, ayant besoin du micro baladeur pour faire entendre leur voix. Souvent, les journalistes, installés sur le balcon le plus élevé, ont eu l’impression que certains députés discutaient juste parce qu’il fallait le faire, d’autant que les sujets étaient parfois secondaires. Le principe général était toutefois qu’il fallait contester tout nouvel emprunt, surtout dans l’état actuel des finances publiques.

Un prêt de la Banque mondiale d’un montant de 45 millions de dollars, destiné à la santé et en particulier à l’équipement des hôpitaux, a été ainsi voté après une discussion qui a nécessité l’intervention du ministre de la Santé Hamad Hassan, dont tout le monde a salué le dynamisme et le savoir-faire. Mais cet hommage unanime n’a pas empêché le président Berry de lui faire remarquer qu’il faut prendre la parole en étant debout face aux députés, avant d’ajouter : « Vous allez vous habituer à tout cela... »

Le projet de loi sur la suspension des délais a été renvoyé auprès d’une commission spéciale à laquelle doit participer la ministre de la Justice, le débat ayant essentiellement porté sur la nécessité d’énumérer ou non tous les délais suspendus.

Par contre le projet de loi autorisant les municipalités à accepter des dons pour lutter contre le coronavirus a été voté.

De même, le projet de loi visant à exempter de la TVA les dons pour la lutte contre le coronavirus a été amendé pour s’étendre à toutes les taxes. Il faut préciser que le député FL Georges Okaïs et le député du Hezbollah Hassan Fadlallah étaient d’accord sur ce point, ainsi que sur la nécessité de mettre des limites et des garde-fous. La loi accordant deux échelons aux nouveaux magistrats qui avaient été oubliés a été votée, après l’explication de la ministre de la Justice, qui a précisé qu’il s’agit de réparer un oubli, non d’accorder de nouveaux privilèges.

Le projet organisant la lutte contre la corruption et prévoyant la création de la commission nationale pour la lutte contre ce fléau a été longuement discuté, notamment le point portant sur la nécessité pour les membres de la commission de ne pas avoir eu une carrière politique ou partisane. Il a finalement été convenu de mentionner qu’ils ne doivent avoir aucune activité partisane au cours des 5 dernières années pour justifier de leur indépendance, selon la suggestion de Michel Moawad. Paula Yacoubian a aussi proposé qu’ils soient élus. Ce qui a été accepté.

Le projet de construire un tunnel entre Beyrouth et la Békaa dans le cadre d’un partenariat entre les secteurs privé et public et par le biais d’un BOT a été adopté. Mais auparavant, presque tous les députés de la Békaa se sont exprimés sur le sujet.

Un autre crédit de la Banque mondiale a été longuement discuté avant que le Premier ministre déclare que la BM l’a elle-même retiré. Il a été aussi décidé de créer deux réserves naturelles, une sur la côte de Abbassiyé et une autre à Nmeiriyé (caza de Nabatiyé), mais la troisième prévue dans le caza de Jezzine a été ajournée.


Légalisée en soirée, la culture du cannabis ne fait pas l’unanimité


Durant la séance nocturne, le Parlement a approuvé la proposition de loi du président de la Chambre Nabih Berry, prévoyant une légalisation du cannabis à des fins médicinales. Le Hezbollah, le groupe des députés arméniens, les députés Ziad Assouad et Samir el-Jisr s’y sont toutefois opposés.

Le député Hussein Hajj Hassan a justifié l’opposition du Hezbollah par « l’absence d’une étude de faisabilité sur base de laquelle il est possible de régulariser la culture » du Sativa indica, utilisé à des fins thérapeutiques. Selon lui, cette culture « ne va pas profiter aux agriculteurs de la Békaa », compte tenu des restrictions qui l’entourent.

Le député Ziad Assouad a souligné pour sa part le danger de cette démarche « sur les jeunes, compte tenu de la faiblesse de l’État dont la justice est laxiste et dont les services de sécurité sont complices », tandis que l’ancien ministre Raëd Khoury relevait sur son compte Twitter que l’approbation de ce texte de loi « est conforme aux recommandations du plan McKinsey pour la diversification sectorielle de l’économie libanaise et le développement des secteurs productifs ». Elle représente, selon lui, le début d’exécution des recommandations du consultant international.

Le groupe parlementaire du Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt a de son côté approuvé ce texte, estimant que la loi adoptée permettra « d’assurer des rentrées financières à l’État et de mettre un terme au fléau (du narcotrafic) et à ses répercussions sociales et sécuritaires ».


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commentaires (7)

En temps de crise extrême, tel que définie par l'UNESCO, il faut faire confiance aux conseils du président fort: Immigratioooon! Merci pour le conseil et je cours me planter aux portes des ambassades...let me outa heeaa...

Wlek Sanferlou

14 h 16, le 22 avril 2020

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Commentaires (7)

  • En temps de crise extrême, tel que définie par l'UNESCO, il faut faire confiance aux conseils du président fort: Immigratioooon! Merci pour le conseil et je cours me planter aux portes des ambassades...let me outa heeaa...

    Wlek Sanferlou

    14 h 16, le 22 avril 2020

  • Je me demande si ces ministres et députés se prennent vraiment au sérieux? Seraient ils réellement persuadés qu’ils représentent encore quelque chose? Une république bananière munie d’une monnaie de singe qui dégringole de jour en jour avec une administration totalement incompétente dans tous ses services. Alors réunissez vous autant que vous voulez à l’Unesco ou même à l’ONU si ça vous enchante, mais comprenez que, au mieux, vous ne représentez que vous même

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 46, le 22 avril 2020

  • Le cadre dénote avec les participants. Des racailles dans un décor prestigieux qui rappelle la splendeur d’un pays abandonné à des trafiquants de Tout genre genre habillés en hommes respectables pour cacher leurs misères culturelle et patriotique. Une tragédie jouée en coulisse derrière des rideaux rouges pour nous rappeler la couleur du sang libanais versé pour rien en fin de compte puisque les mêmes comparses jouent leurs rôles et seront applaudis par des écervelés qui continuent à croire en leurs talents. Les rôles sont distribués ainsi que le scénario à l’avance. Circuler il n’y a plus rien à voir.

    Sissi zayyat

    11 h 45, le 22 avril 2020

  • la Commission nationale pour la lutte contre la corruption et tout le reste : c est vrai nous somme ds un théatre comique

    youssef barada

    10 h 40, le 22 avril 2020

  • "...la création de la commission nationale pour la lutte contre ce fléau...". Vous voulez etouffer un projet? Enterrez le dans des commissions! Quel gachis...

    Fadi Chami

    08 h 00, le 22 avril 2020

  • LES POLICHINELLES COMME TOUJOURS SE SONT REPRODUITS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 04, le 22 avril 2020

  • Sympa tout ça. Berri qui déclare qu'il n'y aura pas de déclarations préliminaires sûrement pour gagner du temps, suivit par "Un autre crédit de la Banque mondiale a été longuement discuté avant que le Premier ministre déclare que la BM l’a elle-même retiré."... héhé, Diab qui gaspille les minutes précieuses de Berri...une bonne excuse de retarder le tunnel vers la Bekaa même que le BOT semble assuré... Dans le cadre de l'UNESCO l'assemblée de beaucoup de nos députés contraste probablement avec l'esprit de cette organisation...et ça nous fait mal au fin fond de notre être!

    Wlek Sanferlou

    00 h 36, le 22 avril 2020

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