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Société - Reportage

Dans Beyrouth à l’ère du coronavirus, la révolution se réinvente... en roulant

Contre l’amnistie générale, la corruption, le vol des deniers publics, la hausse du dollar et du prix des denrées, les manifestants dénoncent « un pouvoir qui n’a accompli aucune réforme ».

La manifestation mobile dans le périmètre de l'Unesco (Joao Sousa)

La place des Martyrs n’avait pas connu une telle effervescence depuis plusieurs semaines, coronavirus oblige. Mais hier matin, c’est par centaines que les nostalgiques de la révolution du 17 octobre, bravant l’ordre de confinement, se sont retrouvés devant la mosquée al-Amine au cœur de Beyrouth contre le Parlement réuni au palais de l’Unesco, pour protester pêle-mêle contre la loi d’amnistie, la dépréciation de la livre libanaise, la politisation de la justice, l’absence de réformes et le manque de réactivité des autorités face à la double crise sanitaire et financière. Pour dire surtout, à grand bruit et dans une joyeuse cacophonie, que la révolution n’est pas morte, qu’elle reprend vie et se poursuit contre la faim, la corruption, le vol des deniers publics, coronavirus ou pas.

La manifestation devait initialement prendre l’allure d’un convoi de voitures, avec à bord de chacune deux personnes masquées et gantées, qui sillonnerait les rues de la capitale en passant par l’Unesco. Car l’interaction est fortement déconseillée entre les protestataires tenus de respecter les mesures sanitaires de distanciation et les consignes criées par porte-voix. Mais nombre d’entre eux n’en font qu’à leur tête avant le départ du convoi, se donnent l’accolade, s’enlacent pour exprimer leur joie de se retrouver, ou s’assoient carrément par terre en groupe, histoire de bloquer la circulation. Tout autant survoltés, à deux sur des mobylettes, de jeunes Beyrouthins, sans masque ni casque, crachent leurs slogans contre « l’inertie et la corruption du pouvoir », ponctués d’appels à la révolution. « Thawra, thawra », scandent-ils en chœur, entonnant le chant des contestataires contre certaines figures politiques, « Héla ho… ».


(Lire aussi : La révolution semble de retour malgré le Covid-19)


Un dollar à 3 300 LL !

« Nous reprenons aujourd’hui possession de la rue à bord de nos voitures, dans le respect des mesures de distanciation », explique Haytham Hakim, qui se présente comme l’un des organisateurs du mouvement. Parce que le gouvernement s’est révélé « incapable d’œuvrer à l’indépendance de la justice ». Parce que « nous voulons bâtir une nation ». « Parce qu’en quelques mois, le dollar a atteint 3 300 LL, la monnaie nationale a perdu plus de 55 % de sa valeur, sans que le cabinet n’ait proposé de solution pour protéger la population. »

Les critiques à l’égard des autorités sont légion. Le Covid-19 est une raison de plus pour crier sa colère, bien plus fort que les assourdissants chants patriotiques. « Le coronavirus nous tue. Et si ça continue, nous allons mourir de faim. Manger est devenu hors de prix. Alors, nous devons maintenir la pression sur les autorités », lance Hassan, un jeune manifestant de Baalbeck, qui accuse le pouvoir « d’affamer la population », « d’amnistier les terroristes » et de « privilégier le clientélisme » lors des distributions d’aides alimentaires. Une juriste, qui préfère ne pas révéler son identité, se demande « pourquoi rien n’a été fait jusque-là », concernant notamment les réformes tant attendues, les nominations judiciaires, la crise économico-sociale. À tel point qu’elle dit « douter de l’intégrité des personnes au pouvoir ».

Ne craignent-ils pas la contagion, en se regroupant ainsi dans la rue ? « Les conséquences du coronavirus sont moins dangereuses que la classe politique qui a mis à sac notre nation », répond Nabil Tabbara, membre du groupe des Révolutionnaires de Beyrouth. De son côté, Jamal Halawani, un militant de gauche, affirme ne plus supporter la situation actuelle. « Nous devons apprendre à vivre avec le virus. Nous refusons tout haircut ou contrôle des capitaux et exigeons que les petits déposants soient protégés », martèle-t-il, se demandant ce qu’il est advenu des promesses de restitution des fonds publics volés ou dilapidés.


(Lire aussi : Et pour parasol... la culture !, l'éditorial de Issa GORAIEB)


La même humiliation depuis 30 ans

Sur son scooter, Diala Yafi attend sagement que le convoi s’ébranle. Elle vient de distribuer une quarantaine de masques « aux jeunes gens de Tarik Jdidé, qui n’ont pas de quoi se protéger ». « Il est important de préserver la bonne réputation de la révolution », précise-t-elle. Armée de son casque et d’un masque noir, elle déclare avoir fait le déplacement pour que ses enfants aient un avenir meilleur. « Le peuple a le devoir de réagir face à la hausse du dollar », insiste-t-elle.

Aux côtés du drapeau national, chaque véhicule affiche un slogan, une revendication. On évoque le vol des deniers publics. On rejette la loi d’amnistie. On rappelle que la monnaie locale ne vaut plus rien… Calfeutrée dans sa voiture avec une passagère, Chantal Agobian assure que le coronavirus ne l’arrêtera pas. « Nous vivons la même humiliation depuis 30 ans, cela suffit », gronde-t-elle.

Aux premières lignes, les militaires retraités dénoncent avec force les entourloupes des autorités pour prononcer l’amnistie générale. Ils craignent fort que les responsables d’actes criminels contre l’armée libanaise ne bénéficient d’une telle mesure, malgré les exceptions que comporte la proposition de loi. « Nous sommes fermement opposés à l’amnistie générale, car nous n’avons pas confiance dans ces autorités », martèle le général Joseph Asmar, qui appelle en revanche « à une justice équitable pour tous ».

Le convoi s’ébranle enfin, portant tout haut les couleurs nationales. Les klaxons retentissent au cœur de Beyrouth. Comme pour rappeler qu’en temps de coronavirus, la révolution entend bien se réinventer.


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