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Et pour parasol... la culture !

Nécessité fait loi. Comme on sait, le redoutable coronavirus a imposé à l’humanité un nouveau code de vie comportant tout un train de mesures de protection barrière. Voici, dès lors, que pour légiférer (n’est-ce pas précisément là leur raison d’être ?), les députés fuient la hasardeuse promiscuité des travées parlementaires pour s’en aller accomplir leur noble mission dans le spacieux amphithéâtre du palais de l’Unesco.


Construit en 1948, l’édifice a connu de grandes heures et abrité nombre de prestigieuses conventions internationales. Dédiée au rapprochement des peuples et au respect universel de la justice et des libertés fondamentales, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture n’a d’ailleurs jamais manqué d’égards pour un pays à l’héritage civilisationnel aussi foisonnant que le Liban. Cinq de nos sites les plus emblématiques sont inclus dans le patrimoine mondial et neuf autres figurent sur une liste indicative. Il reste que nous n’avons pas toujours payé de retour tant de délicates attentions. Plutôt que de récupérer nos trésors archéologiques dormant sous la mer, c’est cette dernière que nous nous obstinons à polluer en lui déversant nos ordures ménagères et déjections d’égouts. Et c’est aux stèles parfois millénaires de Nahr el-Kalb que l’on fait insulte cette fois, en ornant ce théâtre d’une prétentieuse construction appelée à loger, en toute mégalomanie, les stratèges du parti présidentiel…


Éducation, science, culture…


Qu’au palais de l’Unesco l’air soit plus respirable que sous la coupole de la place de l’Étoile, on ne peut que s’en féliciter pour la précieuse santé de nos parlementaires. Il y a pourtant, dans ce marathon législatif de trois jours, quelque chose d’incongru, et même de cocasse, malgré la solennité de l’heure. Non point certes que l’Assemblée nationale soit un ramassis de rustres mal dégrossis, d’ignares, d’illettrés ; oh non, on y trouve même maints individus de qualité. Pris dans son ensemble toutefois, c’est d’un genre de culture très précis, de culture politique, que manque paradoxalement le Parlement : celle-là dont découlent une saine conception de la démocratie, le respect de la Constitution et des règles relatives au système, le sens des responsabilités, la fidélité aux vœux et aspirations des électeurs. Déjà bien vieille est cette impardonnable tare, mais le malheur est qu’elle ne cesse de s’aggraver. En témoigne l’actuelle législature, produit d’une loi électorale bâtarde qui, entre autres aberrations, a voté, par pure démagogie, une hausse insensée des salaires sans s’embarrasser du moindre souci budgétaire.


Éducation, science, culture…


C’est un assortiment de 66 lois et projets de loi que vont devoir liquider, au pas de charge, nos dignes congressistes, sous l’allègre cravache de l’inamovible président de l’Assemblée qui totalise près d’un quart de siècle de règne sur le troupeau. De ce torrent de textes, bien peu répondent avec suffisamment de sérieux à l’urgence de la crise socio-économique ; ils satisferont encore moins les exigences de la révolution du 17 octobre, laquelle manifestait massivement sur quatre roues hier pour se rappeler au souvenir des responsables. Tel est bien le cas de cette timide mise sur rails de la lutte contre la corruption votée au premier jour des débats, et qui ne cible pas plus haut que les fonctionnaires véreux, à l’exclusion de leurs puissants protecteurs et parrains. C’est dire qu’on est encore loin de la récupération des dizaines de milliards de dollars détournés par des dirigeants indignes, même si plus d’un bloc politique a bruyamment fait mine de se rallier à cette revendication majeure des rebelles : l’ironie voulant que les plus braillards soient souvent aussi les plus suspects de vénalité…


Au final, oubliez un moment l’éducation et la science. Si la prestigieuse ombrelle de l’Unesco a pu inspirer quelque peu les législateurs, c’est seulement en matière de culture : celle clairement, expressément, du haschisch, légalisée à des fins strictement pharmaceutiques. Mais au royaume de toutes les fraudes, quels esprits embrumés se donneraient-ils donc la peine d’aller vérifier ?


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Nécessité fait loi. Comme on sait, le redoutable coronavirus a imposé à l’humanité un nouveau code de vie comportant tout un train de mesures de protection barrière. Voici, dès lors, que pour légiférer (n’est-ce pas précisément là leur raison d’être ?), les députés fuient la hasardeuse promiscuité des travées parlementaires pour s’en aller accomplir leur noble mission...