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Économie - Crise

Plan de redressement : que propose l’alternative de Ziad Hayek et Gérard Charvet

L’ex-secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation et un ancien dirigeant de banque appellent à la création d’une société de désendettement.

Ziad Hayek, l’ex-secrétaire général du Haut-Conseil pour la privatisation. Photo DR

Il ne se passe plus un jour sans que le projet de plan de redressement du pays préparé par l’exécutif libanais n’alimente le débat public. Un plan, qui circule depuis une grosse semaine, sur lequel le gouvernement doit obtenir un consensus définitif au sein de la classe politique et de la société avant de négocier avec ses créanciers une restructuration de sa dette qui n’hypothèque pas les chances du pays de résoudre la grave crise économique et financière qu’il traverse. La stratégie défendue par le Premier ministre Hassane Diab inquiète – à juste titre – Les Libanais à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de la capacité de l’État à le mettre réellement en œuvre, ou encore de l’ampleur de l’effort qui sera imposé aux déposants dans le secteur bancaire libanais.

Ces enjeux ont incité certains acteurs à suggérer des pistes alternatives. C’est notamment le cas de Ziad Hayek, ex-secrétaire général du Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats, et Gérard Charvet, ancien dirigeant de banque qui a exercé des années au Liban. Les deux hommes ont exposé la semaine dernière une stratégie qui privilégie une approche sensiblement différente de celle du gouvernement. « Nous avons déjà eu des échanges, lors de l’élaboration du plan, avec plusieurs responsables des sphères politiques et économiques », assure Gérard Charvet.


Lancement possible en six mois

Leur plan ambitionne de ramener le ratio dette/PIB de près de 180 % actuellement à 90 % en 2021, pour un service de la dette inférieur à 3 % (contre 10 % actuellement) ; de traiter la crise des liquidités ; et d’aborder le déséquilibre entre les échéances des créances et les dettes des banques (mismatching) et de la Banque centrale, qui affiche des pertes colossales. Pour résumer, les deux hommes proposent de démarrer dans un laps de temps assez court – six mois – un processus durable de désendettement, qui donne en même temps assez de voilure pour permettre au pays de réformer en profondeur son économie exsangue, vers un modèle à même de réduire ses besoins de financements externes. Le plan ambitionne également de limiter le plus possible, sans pour autant lui fermer la porte, l’intervention d’une aide internationale qui serait accordée avec des conditions pouvant se révéler asphyxiantes pour l’économie.

La mise en œuvre de cette alternative suppose au préalable que l’exécutif parvienne à négocier un délai de grâce de cinq ans avec ses créanciers pour le remboursement de sa dette.

Il devra également, en parallèle, laisser flotter sa monnaie (à un taux de départ démarrant à 3 200 LL pour un dollar) pendant un certain temps, tout en mettant en place un contrôle strict des prix, un ajustement du salaire minimum tenant compte du coût de la vie et des mesures de soutien pour les emprunteurs endettés en dollars, entre autres mesures devant être lancées dans le cadre du plan. « Il s’agit de débloquer la situation sur le plan financier pour pouvoir ensuite aller plus loin dans les réformes », commente Ziad Hayek.

Les auteurs rappellent que le diagnostic de la crise au Liban est aggravé par le fait qu’une partie de sa dette publique ainsi qu’une importante partie des dépôts bancaires (à plus de 70 %) sont souscrits en dollars, tandis que l’État et la BDL accumulent des dizaines de milliards de dollars de pertes nettes. La BDL, qui détient également de nombreuses obligations d’État, souffre enfin d’un manque de liquidités.

« Il faut traiter l’ensemble de ces problèmes de façon simultanée. On ne peut pas solutionner le problème de la dette sans relancer la confiance et convaincre les investisseurs de revenir dans le pays. Pas plus qu’on ne peut régler le problème des restrictions bancaires sans résoudre celui des banques et de la BDL, qui gère la situation dans l’urgence, sans plan directeur et avec une touche de clientélisme », commente Gérard Charvet.


(Lire aussi : Et les réformes, ça vient ?, l’édito de Michel TOUMA)


Société de désendettement

Pour y parvenir, les deux experts prévoient, comme d’autres avant eux, d’utiliser les actifs de l’État pour rembourser une partie de sa dette, mais en passant par la création, via une loi, d’une « société de désendettement » dans laquelle seront transférées plusieurs infrastructures et entreprises appartenant directement ou indirectement à l’État : réseaux fixes et mobiles, la compagnie aérienne nationale Middle East Airlines (MEA) et ses filiales, Électricité du Liban, etc.

Cette société devra restructurer, valoriser puis privatiser ces actifs dans une période allant de cinq à dix ans afin de générer des revenus qui permettront de rembourser la dette, une partie du surplus pouvant alors revenir dans le giron de l’État. Sa direction serait assumée par des experts soumis à un comité de surveillance composé de membres de la société civile, de dirigeants de banque et des institutions financières internationales, soit les trois parties prenantes mises à contribution pour redresser le pays.

Les sociétés – celle de désendettement et celles des actifs qu’elle privatisera – pourraient être cotées à la Bourse de Beyrouth et leurs actions seraient alors échangées contre des titres de dette émis, à hauteur de 25 milliards de dollars. Pas moins de 56 % de ce total serait échangé contre des titres de dette (livres et dollars) appartenant à la BDL pour 44 % contre des titres appartenant aux banques, ce qui permettra dans l’immédiat d’alléger leurs bilans respectifs, notamment en dollars. « Les actifs de l’État vaudront davantage s’ils sont efficacement réorganisés et le lancement de ce chantier peut en même temps être un catalyseur pour l’activité économique s’il est bien piloté », juge Ziad Hayek. S’il est difficile de les évaluer avec exactitude, une estimation basée sur les valeurs de sociétés comparables cotées avant l’effondrement boursier permettait d’espérer 18 milliards de dollars, sans prendre en compte la valeur de l’EDL et de l’Office de distribution des eaux à réorganiser avant cession, assurent Gérard Charvet et Ziad Hayek.

Traitement des liquidités et du « mismatching »

La deuxième mesure charnière du lancement de ce plan alternatif consiste à utiliser les réserves d’or pour débloquer un emprunt de 10 milliards de dollars qui servirait à assurer suffisamment de liquidités pour relancer l’économie du pays. « Les réserves d’or sont là pour les cas d’urgence et la crise actuelle rentre dans cette catégorie », considère Ziad Hayek. Cette mesure s’intègre dans un ensemble qui vise à contourner la possibilité – malheureusement crédible compte tenu de l’ampleur des pertes à compenser – de devoir procéder à une ponction sèche de 40 milliards de dollars dans les dépôts bancaires et l’injection de 20 milliards supplémentaires au capital des banques du pays.

En même temps que l’emprunt garanti par l’or (dont la valeur gravite autour de 14 milliards de dollars), Ziad Hayek et Gérard Charvet proposent un bail-in (proposition visant, pour un déposant, à échanger une partie de ses dépôts contre des actions) dont les termes diffèrent de celui proposé par le gouvernement. « L’idée est de convertir 75 milliards de dollars de dépôts en actions et certificats de dépôts qui seront échangeables à la Bourse de Beyrouth, et donc potentiellement liquides. Ce sera aussi l’occasion idéale pour enfin développer le marché des capitaux au Liban. Cette approche est nécessaire pour traiter le mismatching, soit le décalage entre les dépôts à court terme (sur lesquels la banque paye des intérêts, NDLR) et leur emploi (les crédits au secteur privé ou à l’État, NDLR) », expose encore Gérard Charvet. « Le pays a un trou de liquidités en dollars évalué à 89 milliards de dollars, dont 40 provenant des banques et 49 de la BDL. Sans réduire cet écart, nous ne pouvons restaurer la liberté d’utilisation des comptes dollars ni restaurer la liberté de transferts vers l’étranger. En figeant 75 milliards de dollars, il nous manque 14 milliards correspondant à la valeur de l’or qui peut être mobilisé si nécessaire », poursuit-il.

La répartition se ferait sur cette base : 15 milliards de dollars d’actions émises par les banques ; 20 milliards de dollars de certificats de dépôts d’une maturité de cinq ans que les détenteurs pourront échanger en livres au taux du marché ; et enfin 40 milliards de dollars de certificats de dépôts sur dix ans et garantis à hauteur de 62,5 % par la société de désendettement et le droit de préférence dans le cas où leur titulaire souhaiterait les échanger contre des actions soit dans la société de désendettement, soit dans l’un des actifs de l’État qu’elle a récupéré.

Critiques

Ce plan, affiné depuis une brève présentation de ses points principaux il y a une semaine par Ziad Hayek sur la LBCI, fait déjà l’objet de critiques. Dans une série de tweets publiés dimanche, l’expert financier Mike Azar considère que plusieurs de ces propositions sont irréalisables – des objections auxquelles les auteurs du plan ont d’ailleurs répondu point par point. Dans l’une de ses critiques, Mike Azar souligne par exemple le fait que les projections macroéconomiques et budgétaires présentes dans le plan sont « plus optimistes que celles du gouvernement, qui lui-même fait l’impasse sur la perte d’une partie de son manque à gagner ». Il souligne en outre le fait que le plan « prévoit la conversion de 60 milliards de dollars en certificats de dépôts générant des revenus en dollars sans expliquer d’où l’argent servant à la rémunération proviendra ». « Les milliards sont déjà dans les livres des banques. Ils sont simplement transformés en certificats de dépôts à terme et cotés pour redonner une liquidité à ces actifs », ont de leur côté répondu les auteurs, concernant cet argument. Affaire à suivre.


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commentaires (1)

Très bonne solution qui permet de rentrer dans un cercle vertueux où tous les acteurs deviennent favorables aux réformes.

Sam

09 h 20, le 23 avril 2020

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Commentaires (1)

  • Très bonne solution qui permet de rentrer dans un cercle vertueux où tous les acteurs deviennent favorables aux réformes.

    Sam

    09 h 20, le 23 avril 2020

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