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Société - Focus

Coronavirus et déchets infectieux : l’autre aspect de la crise

On a tendance à les oublier, mais les déchets résultant des soins et des équipements de protection (gants, combinaisons, masques...), potentiellement infectés, peuvent être des agents de contamination et doivent faire l’objet d’un traitement séparé. Où en est-on au Liban ?

Un tas de gants en plastique et de masques jetés près de ce distributeur de billets par des usagers inconscients du danger que cela représente pour la santé et l’environnement. Photo Philippe Hage Boutros

À travers le Liban, devant les distributeurs automatiques de billets comme devant les supermarchés et épiceries, le sol est trop souvent jonché de gants en plastique et de masques jetables… Visiblement nombreux sont ceux qui, quand ils estiment ne plus avoir besoin de ces gants et masques, s’en débarrassent n’importe où, faisait montre d’un irrespect total pour l’environnement et les personnes qui viendront nettoyer derrière eux, mais également d’une inconscience quant aux dangers que ces déchets représentent. La question du traitement de ces déchets, comme de ceux résultant des soins administrés aux malades du coronavirus et des nombreux tests effectués chaque jour en laboratoire, est un enjeu incontournable de la crise sanitaire actuelle, que ce soit à l’hôpital, dans les labos, aux domiciles des personnes atteintes...

Naji Kodeih, expert environnemental en chimie toxicologique et en pollution, explique que les déchets résultant des soins des cas de coronavirus sont classés dans la catégorie des déchets infectieux, qu’ils soient produits en milieu hospitalier, à domicile ou dans les hôtels réquisitionnés pour la quarantaine. « Pour se débarrasser de ces déchets infectieux de manière appropriée, il faut établir un système qui les intègre dans un circuit séparé, permettant d’éviter tout mélange avec les autres, explique-t-il. Ce système existe déjà dans les hôpitaux, où le tri est effectué en plusieurs sacs. »

Près de 85 % des hôpitaux gouvernementaux et privés, ainsi que d’autres institutions sanitaires, ont un contrat de traitement avec l’ONG Arcenciel. Mario Goraïeb, directeur du programme d’environnement à Arcenciel, précise à L’Orient-Le Jour que son organisation traite près de 13 tonnes de ce type de déchets par jour. « Notre technique de traitement des déchets infectieux est celle de la décontamination par autoclave et, plus récemment, par une technique moderne de rayonnement par micro-ondes, à plus de 140 degrés, dit-il. Dans ce contexte, les déchets contaminés par le coronavirus ne sont pas traités différemment des autres déchets infectieux, mais la différence, c’est que ce virus a une capacité de propagation bien plus rapide. De plus, il est encore mal connu, même des spécialistes. » Avec la crise du coronavirus, Arcenciel, la principale organisation qui collecte et traite ces déchets hospitaliers dangereux, a adapté certaines de ces pratiques. « Nous prenons des précautions particulières, équipant nos ouvriers de combinaisons protectrices afin de minimiser le risque de contamination par les déchets, suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, répond Mario Goraïeb. Nous avons choisi de supporter le coût supplémentaire, qui est de l’ordre de 25 à 30 millions de livres libanaises par mois, que nous n’ajoutons pas à la facture des hôpitaux parce que notre priorité est la santé et l’environnement. »

Autre précaution prise par l’ONG : la distribution, par le biais du syndicat des hôpitaux, d’une circulaire expliquant aux établissements la procédure qui consiste à isoler et stériliser les déchets résultant des soins du coronavirus en stérilisant les deux sacs dans lesquels ils sont placés (l’un dans l’autre). « Les hôpitaux s’y sont conformés à 100 % parce que cela les rassure, affirme Mario Goraïeb. De notre côté, nous avons consacré un de nos centres aux déchets résultant du traitement du coronavirus pour limiter le risque au maximum. »


(Lire aussi : Le secteur hospitalier privé aux urgences)


Quelques précautions à la maison

Le défi que pose la crise actuelle, c’est que le risque ne se limite pas aux hôpitaux, puisque certaines personnes sont en quarantaine à la maison, qu’elles soient malades ou dans l’attente des résultats de tests. « Il faut que les ministères de la Santé, de l’Intérieur et de l’Environnement mettent en place un système national unifié afin de sensibiliser le grand public au traitement sain de ces déchets, en conformité avec le décret sur le traitement des déchets hospitaliers, souligne Naji Kodeih. Tout ce qu’utilise un patient contaminé, qu’il s’agisse des vêtements, objets divers, serviettes, mouchoirs jetables… doit être isolé dans des sacs jaunes de préférence afin que les municipalités les transfèrent directement à la destination adéquate. Un tel système aurait déjà dû être mis en place, mais le pays souffre d’une mauvaise gestion notoire des déchets. »

En attendant un tel système, quels conseils pourrait-on donner aux citoyens chez eux ? Naji Kodeih recommande en premier lieu de toujours isoler tout ce qu’utilise un patient ou toute personne en quarantaine chez elle, qu’il s’agisse d’articles réutilisables devant être lavés et stérilisés, ou de déchets à jeter. « Pour ce qui est des articles réutilisables, ils doivent être lavés seuls. Il faut savoir que le virus, quoique redoutable, ne survit pas à des températures élevées, dit-il. Les déchets à jeter devraient idéalement être placés dans un sac très facilement identifiable par les municipalités pour qu’elles en disposent de manière séparée. »

Pour Mario Goraïeb, « aucun opérateur ne peut envisager de collecter séparément les déchets provenant de patients atteints du coronavirus à leurs domicile ». Il fait remarquer cependant que « d’autres pays ont été très vite conscients des enjeux de ce problème, mettant en place des plans d’action ». « Je retiendrai principalement l’exemple britannique, souligne-t-il. Dans ce pays, on recommande désormais aux ménages de placer les déchets infectieux ou potentiellement infectieux dans un sac séparé, de les stériliser avec de l’eau mélangée à du chlore, de stériliser le sac lui-même puis l’autre sac dans lequel le premier sera placé. Dernière précaution : garder le sac dans un coin de la maison ou sur un balcon par exemple, hors d’atteinte, durant 72 heures, afin de s’assurer que le virus a disparu des surfaces. »


(Lire aussi : Vigilance au Akkar : la situation est sous contrôle... jusqu’à présent)


Les gants et masques, à stériliser soigneusement

Autre problème : la question des déchets infectieux ne se limite pas aux soins portés aux malades. Aujourd’hui, la quasi-totalité de la population utilise des gants et des masques pour se rendre au marché ou pour retirer de l’argent : ces accessoires, conçus pour protéger la personne qui les porte comme pour protéger son entourage, finissent souvent par polluer les voisinages des grands magasins ou des distributeurs automatiques de billets. « C’est bien le drame de l’absence de civisme dans le pays », déplore Naji Kodeih.

Or, ces déchets, tous potentiellement contaminés, « doivent être disposés dans un sac à part, exactement comme les déchets infectieux résultant des soins, et doivent être stérilisés dans les maisons », selon Mario Goraïeb. « Il est préférable de ne pas les envoyer au recyclage mais de les jeter de la manière la plus sûre possible, poursuit-il. Et, surtout, il faut arrêter de les jeter n’importe où, notamment dans la nature ! »

Car ces déchets seraient possiblement contaminés, et l’on n’est pas encore sûr de la durée de l’infectiosité du virus sur les différentes surfaces. « Il existe plusieurs études sur le sujet, souligne André Khoury, spécialiste en toxicologie alimentaire et en génie des microbes, et professeur à l’Université Saint-Joseph. La dernière en date parle de 72 heures sur le plastique et l’acier inoxydable, de 20 à 22 heures sur le papier ordinaire et le bois, et de maximum trois heures dans l’air. Il faut donc désinfecter toutes les surfaces à l’eau de Javel diluée dans l’eau. Par ailleurs, les masques et les gants que l’on jette après une utilisation doivent être stérilisés et mis dans deux sacs (l’un dans l’autre), également désinfectés. » « Le plus important, conclut-il, reste de stériliser correctement et régulièrement les bennes à ordures dans la rue afin d’éviter qu’elles ne deviennent des foyers d’infection. »



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Pourquoi ne pas mettre des poubelles assez grandes avec couvercle basculant, tout simplement...connaissant le j'menfoutisme et l'indiscipline de beaucoup de citoyens quand il s'agit de lieux publics ? Irène Saïd

Irene Said

16 h 04, le 15 avril 2020

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Commentaires (1)

  • Pourquoi ne pas mettre des poubelles assez grandes avec couvercle basculant, tout simplement...connaissant le j'menfoutisme et l'indiscipline de beaucoup de citoyens quand il s'agit de lieux publics ? Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 04, le 15 avril 2020

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