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Société - Santé

Le secteur hospitalier privé aux urgences

« Nous sommes les premiers à décider de fermer nos portes, mais nous ne serons pas les derniers », avertit l’hôpital Notre-Dame du Liban.


L’hôpital Notre-Dame du Liban, à Jounieh : premier signe de la catastrophe annoncée. Photo d’archives

Fragilisé à l’extrême par la crise économique et financière, le secteur hospitalier privé au Liban (environ 10 000 lits, quelque 85 % de l’offre hospitalière totale) est aux urgences. Pour le sortir du trou, un plan d’échelonnement des paiements dus par l’État sera examiné aujourd’hui par le syndicat des propriétaires d’hôpitaux privés avec le ministre des Finances, Ghazi Wazni, en présence du président de la commission des Finances et du Budget, Ibrahim Kanaan. Une réunion préparatoire à cette séance élargie a réuni hier le ministre et M. Kanaan. En cas d’accord, le projet serait avalisé demain jeudi en Conseil des ministres. M. Kanaan avait mis en garde, au cours des derniers jours, contre « une catastrophe » dans le secteur hospitalier. Une sombre perspective dont l’un des premiers signes est la décision de l’hôpital Notre-Dame du Liban, à Jounieh, de fermer ses portes à la fin du mois.

C’est que la dette de l’État vis-à-vis de ce secteur a atteint des proportions énormes. Selon le président du syndicat des hôpitaux, Sleiman Haroun, l’État doit plus de 2 000 milliards de livres au secteur hospitalier privé, soit l’équivalent de 1,35 milliard de dollars (au taux officiel dollar/livre libanaise), alors que l’inflation des prix combinée à la dévaluation de la monnaie (le dollar se vendait hier à plus de 3 000 L.L. sur le marché noir de change) a provoqué une hausse de 35 % du coût de fonctionnement des hôpitaux.

« Au taux actuel de la livre, cette dette a perdu la moitié de sa valeur, alors que tous nos fournisseurs exigent d’être payés en devises, déplore en outre M. Haroun. De ce fait, l’écart entre nos rentrées et nos dépenses s’est élargi démesurément. » « Certains hôpitaux n’en peuvent plus », poursuit M. Haroun, qui est lui-même propriétaire d’hôpital. Ce dernier préconise le paiement de deux montants de 300 milliards de livres chacun, en avril et en mai, et un échelonnement de 90 milliards de livres/mois, à partir de l’année prochaine, pour assécher cette dette.

« L’État traîne les pieds dans le paiement de ses dettes depuis 2012, déplore M. Haroun. Mais depuis l’été, la crise de ce secteur s’est accentuée avec la limitation des liquidités sur le marché, qui a paralysé les importations de matériel médical, déjà ralenties par les difficultés de trésorerie des hôpitaux. Par ailleurs, depuis fin février et la détection du premier cas de coronavirus au Liban, les hôpitaux privés doivent assumer les coûts supplémentaires des équipements devant leur permettre de faire face à l’épidémie, à commencer par les plus élémentaires, comme les masques, les combinaisons de protection et les désinfectants. La boîte de 50 masques, qui se vendait à 10 000 livres en pharmacie, se vend aujourd’hui à 80 000 LL, et le reste à l’avenant. »


(Lire aussi : Coronavirus et déchets infectieux : l’autre aspect de la crise)


Premier signe

Premier signe de la catastrophe annoncée, l’hôpital Notre-Dame du Liban, à Jounieh (130 lits, 400 employés), a décidé de fermer ses portes à la fin du mois d’avril. « Les préavis ont été adressés au personnel et le ministère du Travail en a été informé », explique son propriétaire, Christian Adaïmi, qui promet toutefois que le centre de dialyse de l’hôpital restera ouvert. « Personne ne nous croit, on pense que nous manœuvrons, alors que c’est la triste réalité », insiste-t-il, avant d’ajouter : « Nous sommes les premiers à décider de fermer nos portes, mais nous ne serons pas les derniers. » Et de relever que son établissement ne reçoit aucune aide, ni de l’État, ni d’un parti, ni d’un ordre religieux, et que les quelques réserves dont il disposait ont été épuisées au cours des derniers six mois. « Je n’ai plus les moyens de continuer, lâche-t-il. Depuis octobre, les banques ne nous financent plus. Tant que j’étais en mesure de respecter mes engagements salariaux, j’ai continué, mais je n’ai pas l’intention de recourir à des moyens suspects ou à des promesses fallacieuses pour assurer la permanence de mon offre de soins. »

Sans se prononcer sur une éventuelle révision de sa décision au cas où l’État se décidait à honorer sa dette de plus de 10 milliards de livres libanaises, M. Adaïmi prévoit que « les grands hôpitaux vont tenir ; ils sont tous déficitaires, mais leurs pertes seront couvertes par des fonds venus d’autres sources ».

Problème de cash-flow

C’est ce que confirme Sami Rizk, directeur de l’hôpital Rizk, CHU de la LAU. « Nous souffrons tous d’un problème de cash-flow, et ce sont les acomptes que nous règle la Caisse nationale de Sécurité sociale qui nous dépannent. Par contre depuis quelques mois, les compagnies d’assurances accusent un retard qui peut aller jusqu’à six mois, pour nous régler. Elles affirment que depuis octobre 2019, une partie des polices leur est payée en livres libanaises et leurs règlements aux hôpitaux se font en conséquence. » « Toutefois, reprend M. Rizk, nous sommes privilégiés par rapport aux hôpitaux privés ou de famille : nous bénéficions de la couverture morale, éthique et au besoin financière de grandes universités, ce qui nous permet d’assurer nos soins dans la durée. Du reste, nous avons, aussi, une obligation de continuité vis-à-vis de nos étudiants et résidents. »

Quand on demande à Martine Orio, directrice de l’Hôtel-Dieu de France (405 lits, 1 300 employés), si une fermeture d’un hôpital comme l’Hôtel-Dieu est inimaginable, elle répond : « Rien n’est inimaginable ! » « La situation est compliquée. Ce que je peux vous dire, c’est que les gens se soignent moins depuis quelques mois, sans doute en raison de la situation économique et maintenant du Covid-19. Nous avons moins de recettes, alors que nos charges sont fixes. Le secteur hospitalier privé a certainement besoin aujourd’hui de l’aide des pouvoirs publics pour durer », martèle-t-elle.


(Lire aussi : Comment l’hôpital Rafic Hariri a réussi à faire face au coronavirus)


Les infirmières indignées

Sur la crise du secteur hospitalier se greffe celle du personnel infirmier. Le syndicat des infirmiers et infirmières présidé par Mirna Doumit a déjà déposé des plaintes contre 25 hôpitaux, pour réductions abusives de salaires, modification des horaires ou du rythme de travail, obligation de prendre les congés et toutes sortes de mesures destinées à justifier une réduction des salaires.

« Dans certains hôpitaux, le personnel infirmier n’a plus touché de salaires depuis bientôt cinq mois, déplore Mme Doumit, qui signale par ailleurs qu’une trentaine d’infirmières ont été contaminées par le Covid-19 dans l’exercice de leur profession. Une situation difficile pour celles dont elle dit qu’elles sont « la pierre angulaire du système hospitalier ».


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commentaires (6)

On le sait très bien, le secteur de santé est rarement rentable. Pendant le confinement, seul Amazon fait du fric. Il gagne et on peut dire dans ce cas que le malheur de la planète fait le bonheur des organes de commerce en ligne. Voilà, c'est malheureux, mais comme ça.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

19 h 36, le 15 avril 2020

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Commentaires (6)

  • On le sait très bien, le secteur de santé est rarement rentable. Pendant le confinement, seul Amazon fait du fric. Il gagne et on peut dire dans ce cas que le malheur de la planète fait le bonheur des organes de commerce en ligne. Voilà, c'est malheureux, mais comme ça.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    19 h 36, le 15 avril 2020

  • Dans des conditions exceptionnelles de confinement, c’est la mesure ""ANTI-SOCIALE"" par excellence. Ailleurs Trump a décidé de faire des coupes budgétaires à l’OMS. Plus c’est gros, et mieux ça passe ? Mais les raisons de Trump sont différentes........

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    19 h 30, le 15 avril 2020

  • ...""La boîte de 50 masques, qui se vendait à 10 000 livres en pharmacie, se vend aujourd’hui à 80 000 LL, et le reste à l’avenant."" Faisons un petit compte. En Europe, une boîte de 50 masques chirurgicaux, les jetables, se vend à 75€ en moyenne. Très cher le masque pour le budget d’un père ou mère de famille, si l’on fait le compte de 80 000 livres sur 2000 livres le dollar. Au prorata, 40 dollars presque moitié prix, mais c’est très cher pour les ménages libanais, et à mon avis l’Etat doit intervenir, mais il est où l’Etat… Je trouve très choquant que pendant une période d’épidémie, pendant le confinement, et quand les habitants de ce pays ne sortent que pour applaudir le ""personnel soignant"", on prend de telles décisions. Je sais bien que la médecine c’est du business, plutôt qu’une vocation, qu’il faut payer les produits, le personnel, etc, etc. On ne va retenir à l’avenir qu’au liban, pendant le confinement, on a fermé un hôpital, et on ne sait pas encore pour combien de temps…. Le temps du corona sans aucun doute.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    18 h 54, le 15 avril 2020

  • C'est triste. Merci à toute l'équipe pour avoir tant pris soin de nous pendant toutes ces années. En priant pour qu'un miracle économique puisse encore retourner la situation. :-(

    Gros Gnon

    14 h 01, le 15 avril 2020

  • D O M M A G E !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 56, le 15 avril 2020

  • Je dis et je redis : l’Etat doit être dissous ainsi que toutes ses institutions. C’est un État en faillite qui espère encore s’en sortir en volant les épargnes des libanais. Partez avant que le prochain soulèvement populaire vous balaye d’un seul coup

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 46, le 15 avril 2020

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