Tirant les conséquences de l’échec annoncé du Conseil des ministres à nommer quatre nouveaux vice-gouverneurs de la Banque du Liban ainsi que les membres des commissions de contrôle des banques et des marchés financiers, le Premier ministre Hassane Diab avait retiré, juste avant la réunion gouvernementale prévue hier à Baabda sous la présidence de Michel Aoun, ce point de l’ordre du jour. L’étude de ce dossier, plombé par la politique politicienne, est reporté sine die.
Dans une tentative de justifier sa décision et d’adresser un message positif à la communauté internationale, le chef du gouvernement a insisté sur l’importance de respecter les seuls critères du mérite et de la compétence dans le traitement de ces nominations. Mais il reste que la décision de reporter ces nominations financières est à interpréter sous un angle éminemment politique, lié à la logique délétère de partage du gâteau qu’adoptent plusieurs parties au pouvoir, alors que le pays traverse l’une de ses plus graves crises.
La décision de M. Diab traduit en effet l’échec de la médiation menée il y a quelques jours par le Hezbollah pour mettre un terme au bras de fer opposant ses deux alliés traditionnels, à savoir le chef du CPL Gebran Bassil et le leader des Marada Sleiman Frangié.
Déterminé à faire face à ce qu’il perçoit comme « une tentative de monopoliser la représentation chrétienne » de la part du courant aouniste, le leader zghortiote avait menacé de claquer la porte du cabinet Diab, s’il n’obtenait pas deux des six postes réservés aux chrétiens en matière de nominations financières.
Dans certains milieux politiques, on estimait hier que l’échec de la médiation du Hezbollah va bien au-delà des rapports gelés entre les Marada et le CPL. Il indique que le parti de Hassan Nasrallah n’est plus capable d’exercer son hégémonie sur le camp du 8 Mars comme ce fut le cas par le passé. Cet échec prouve aussi que le leader des Marada tente de s’affirmer comme une personnalité de poids sur la scène chrétienne. Il s’agirait là probablement de calculs présidentiels – quoique prématurés – dans la perspective de l’échéance de 2022.
Interrogée par L’Orient-Le Jour, une source proche de M. Frangié réfute les accusations lancées récemment contre les Marada selon lesquelles ce parti mènerait le pays vers une bataille inopportune, au risque de fragiliser le gouvernement. Les Marada étant présents au sein du cabinet, ils peuvent légitimement demander leur propre quote-part dans le cadre des nominations et comptent bien le faire, assure une source autorisée, confiant que dans le cadre de sa médiation, le Hezbollah a insisté sur l’importance de ne pas torpiller l’équipe Diab à cause d’un partage du gâteau, le pays ne pouvant pas tolérer un vide gouvernemental à l’heure actuelle. Et de préciser que pour éviter ce genre de querelles politiques, le gouvernement devait mettre sur pied un mécanisme de nominations axé sur la compétence et le mérite. Mais il a préféré opter pour le partage du gâteau et Sleiman Frangié n’a fait qu’adopter cette même logique pour lutter contre le monopole de la représentation chrétienne, poursuit la source. Si les Marada n’ont toujours pas démissionné du gouvernement, leurs deux ministres, Michel Najjar (Travaux publics) et Lamia Yammine Doueihy (Travail), ont boycotté la réunion gouvernementale d’hier, manifestant ainsi leur mécontentement quant à l’issue des contacts autour des nominations financières. « Nous avons voulu exprimer notre opposition à la manière dont sont nommés les candidats », explique Mme Doueihy à L’OLJ, rappelant que le gouvernement examinait la mise en place d’un mécanisme clair avant de revenir à une répartition des parts. « Nous voulons que des personnes compétentes soient désignées pour redresser le pays. Et c’est ce point de vue que le leader des Marada a exprimé », souligne-t-elle avant d’ajouter : « Lorsque nous avons constaté que notre position n’était pas prise en considération, nous avons préféré ne pas prendre part au Conseil des ministres. Mais nous serons présents aux prochaines séances », assure-t-elle.
(Lire aussi : Les nominations sous le feu de l’opposition)
Diab hausse le ton
Prenant la parole lors de la séance, Hassane Diab a exprimé sa colère quant au fait que la question des nominations n’obéisse qu’à la logique de la politique politicienne. « Les nominations devaient être basées sur les seuls critères de la compétence et de l’expérience, loin des calculs politiques liés au partage du gâteau », a-t-il martelé, rappelant que son équipe, qui se veut de spécialistes indépendants, devait lancer un nouveau mode d’action, tant dans ses décisions que dans ses nominations, dans la mesure où la conjoncture actuelle du pays ne tolère aucun faux pas. « Ce qui s’est passé (en matière de nominations) va à l’encontre de mes convictions. Les nominations, de par la façon avec laquelle elles sont abordées, ne nous ressemblent pas, en tant que cabinet de technocrates », a déploré le Premier ministre. « Cela est injuste, tant envers nous qu’envers les candidats et les citoyens convaincus que nous voulons changer la manière de fonctionner du pouvoir exécutif au Liban », a-t-il encore grondé, appelant à une révision du mécanisme de nominations actuellement en vigueur au moyen d’un projet de loi ou d’une décision gouvernementale. Il a en outre tancé ceux qui veulent mettre le gouvernement en échec assurant « que cela ne ferait que mettre en lumière les lacunes des politiques adoptées par le passé », dans une claire allusion au leader du courant du Futur Saad Hariri, dont le parti a multiplié récemment les critiques à l’adresse du cabinet.
En formulant cette demande, le Premier ministre répondait favorablement à plusieurs membres de son équipe, dont Zeina Acar Adra (vice-présidente du Conseil et ministre de la Défense) et Ghada Chreim (Déplacés) pour que soit mise en place une nouvelle procédure de nominations. Elles rejoignaient ainsi plusieurs figures de l’opposition qui étaient montées au créneau hier pour stigmatiser la distribution des parts qui a entravé le train des nominations financières.
L’irritation de Hassane Diab fait dire à un proche de la présidence de la République que les nominations sont reportées sine die. Un point de vue que ne partagent naturellement pas les milieux du Sérail, où l’on affirme que les nominations verront le jour une fois le nouveau mécanisme prêt. Entre-temps, le gouvernement a chargé le ministre des Finances, Ghazi Wazni, de discuter avec le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, d’une possible réduction des salaires des quatre vice-gouverneurs et des membres des commissions de contrôle des banques et des marchés financiers.
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commentaires (12)
Quelqu’un les a avertis qu’il ne reste plus rien à voler au Liban et que ça ne sert plus à rien de se disputer ces "nominations"?
Gros Gnon
20 h 11, le 03 avril 2020