Le bras de fer opposant le gouvernement de Hassane Diab à certains de ses propres parrains, mais aussi à ses plus grands adversaires, se durcit de plus en plus. La querelle articulée autour des nominations des vice-gouverneurs de la Banque centrale et des membres de la commission de contrôle des banques et des marchés financiers en est une preuve éclatante.
À la veille d’une séance ministérielle particulièrement attendue, durant laquelle le cabinet devrait pourvoir à ces postes vacants, plusieurs composantes de l’opposition s’en sont prises à l’équipe Diab, critiquant la logique de partage du gâteau adoptée en matière de nominations. Et pour cause : une entente entre les composantes du gouvernement aurait été conclue autour des futurs vice-gouverneurs et des membres des commissions de contrôle des banques et des marchés financiers, et devrait être avalisée en Conseil des ministres.
Sauf que ce train de nominations bute encore sur l’insistance du leader des Marada, Sleimane Frangié, à obtenir deux des six postes vacants réservés aux chrétiens. Selon notre correspondante Hoda Chédid, une médiation menée par le Hezbollah entre M. Frangié et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil aurait échoué. Rappelons que le chef des Marada avait menacé de claquer la porte du gouvernement s’il n’obtenait pas le tiers des postes chrétiens.
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« Cherchez le sinistre trio »
Il est vrai que le durcissement de ton de la part de Sleimane Frangié prouve que le camp du 8 Mars est malmené par ses propres composantes. Mais pour les opposants, cette mésentente montre que le gouvernement Diab est loin d’être une équipe de spécialistes indépendants. Il s’agit d’un cabinet qui adopte la logique obsolète de la distribution des quotes-parts, faisant fi de toutes les demandes du mouvement de contestation. Dans une série de tweets hier, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a rappelé que le gouvernement devrait adopter les réformes attendues depuis des mois et stigmatisé le fait que « le premier signe de non-réforme émanant du cabinet réside dans les fuites médiatiques portant sur les nominations des vice-gouverneurs de la BDL et des membres de la commission de contrôle des banques et des marchés financiers ». Celles-ci sont « loin de tout esprit réformateur et du critère du mérite », a ajouté le leader des FL. « Cherchez le sinistre trio (Amal, le Hezbollah et le Courant patriotique libre). Tant qu’il est au pouvoir, rien de positif n’est à attendre », a-t-il poursuivi, réitérant la détermination de son parti à « expliquer les faits à l’opinion publique, pour que s’opère le changement à la première occasion ».
Expliquant la prise de position de M. Geagea, un responsable FL s’indigne du fait qu’en dépit de l’ampleur du mouvement de contestation, le gouvernement continue de s’attacher à la logique de partage entre les protagonistes en présence, comme si rien n’avait changé depuis le 17 octobre. « Cela prouve que l’équipe Diab n’est aucunement indépendante, comme l’avait promis le Premier ministre », dit-il. Le responsable FL précise toutefois que, pour le moment, il n’y a pas de coordination entre Meerab, Moukhtara et la Maison du Centre pour faire face au gouvernement.
Il n’en demeure pas moins que cette flèche décochée par Samir Geagea en direction de l’équipe ministérielle ne saurait être dissociée du contexte dans lequel elle est intervenue. Elle s’inscrit dans la continuité de la série d’attaques lancées ces derniers jours par le leader des FL contre le tandem chiite et le CPL. Elle fait suite aussi aux récentes diatribes lancées par le courant du Futur contre le cabinet avec, en toile de fond, ce que les haririens appellent » des nominations vindicatives « pour lesquelles opterait le Conseil des ministres pour « mettre la main » sur le secteur financier, à la faveur de la seule logique de la politique politicienne. Il s’agissait d’une façon pour le courant du Futur de dénoncer un éventuel limogeage de Mohammad Baassiri (sunnite) de son poste de vice-gouverneur de la BDL, au profit de Salim Chahine, proche de Hassane Diab.
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« Nous ne resterons pas les bras croisés »
Cette opposition haririenne aux nominations attendues aujourd’hui se serait traduite par une menace de la part du Futur de claquer la porte du Parlement, croyait-on savoir hier dans certains milieux politiques. Une information que des proches de la Maison du Centre ne manquent pas de démentir via L’OLJ, assurant que le parti préfère attendre les décisions du gouvernement pour pouvoir agir dans la prochaine phase. « Mais ce qui est sûr c’est que nous ne resterons pas les bras croisés face à des comportements vindicatifs », assure un proche du chef du Futur, Saad Hariri, soulignant que les contacts entre ce dernier et Nabih Berry sont toujours en cours.
Tout comme le Futur, le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt dénonce ce que Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf, appelle « l’insolent partage du gâteau ». « Nous ne sommes pas concernés par ces nominations et nous stigmatisons le partage des parts dans le cadre d’un gouvernement qui n’en finit pas de glisser sur la pente de l’Iran », s’alarme-t-il, mettant en garde contre une « explosion sociale face au mandat Aoun et au gouvernement dans les semaines à venir, parce que les gens confinés sont à bout de liberté, de souffle et de dignité ».
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commentaires (15)
Il a raison Marwan Hamade qu'il dit que le gouvernement glisse sur la pente de l'Iran
Eleni Caridopoulou
18 h 24, le 02 avril 2020