La vidéo datant de 2018 du milliardaire américain Bill Gates, qui enjoignait à Donald Trump de préparer les États-Unis face au risque de pandémie, circule à nouveau depuis quelques semaines sur les réseaux sociaux. « Il est étrange que le monde ne fasse pas plus pour contrer ce risque », déplorait-il alors. L’épidémie de coronavirus a, jusqu’à présent, fait plus de 38 400 morts dans le monde et plus de 3,6 milliards de personnes, soit 46,5 % de la population mondiale, qui sont appelées ou contraintes par leurs autorités à rester chez elles. Les États s’étaient-ils préparés à l’éventualité d’un tel scénario ? L’anticipation du risque de pandémie semble avoir été une constante dans le domaine de la recherche stratégique depuis de nombreuses années. Des spécialistes des maladies infectieuses et d’autres têtes pensantes ont alarmé pendant des années sur les risques d’une épidémie qui pourrait rapidement se transformer en pandémie en quelques mois seulement. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris, dont le dernier ouvrage Le Choc démographique est paru le mois dernier aux éditions Odile Jacob, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Le risque de pandémie avait-il été anticipé dans la recherche stratégique ? Et dans l’affirmative, était-il élevé ?
Bien sûr. Tous les grands exercices de prospective stratégique évoquaient ce risque notamment depuis le SRAS. Le rapport du Conseil national du renseignement américain de 2004 évoquait spécifiquement ce risque et ses conséquences possibles pour la mondialisation. Et quatre ans plus tard, il évoquait même le scénario actuel : un virus venu de Chine, affectant les voies respiratoires, se répandant à l’échelle mondiale et causant des dizaines de millions de victimes aux États-Unis. Pourquoi la Chine ? Du fait de la coexistence traditionnelle entre les animaux et les hommes dans une population importante et dense, et de l’appétence asiatique pour la consommation de certains animaux sauvages, de surcroît commercialisés dans des conditions d’hygiène déplorables. En France, le Livre blanc sur la sécurité nationale de 2008, à la rédaction duquel j’avais participé, évoquait le risque de pandémie comme étant de « probabilité moyenne » et « d’ampleur moyenne à sévère ». Nous avions même décrit un scénario précis de « pandémie massive à forte létalité ». Même chose dans le Livre blanc de 2013, où nous avions également évoqué ce risque. Par ailleurs, de nombreux exercices de gestion d’une pandémie massive ont eu lieu aux États-Unis, notamment depuis la crise de l’anthrax de 2001-2002. Le dernier avait impliqué des responsables de l’administration Trump, qui ont démissionné depuis.
Quelles dispositions étaient recommandées pour y faire face ?
En France, le plan pandémie date de 2004 et il a été régulièrement mis à jour depuis. Il a été appliqué. Quant à savoir si ses différentes phases et mesures ont été prises à temps et de manière appropriée, je ne suis pas compétent pour en juger.
(Lire aussi : Les immunités meurtrières, l'éditorial de Issa GORAIEB)
Comment expliquer que les gouvernements semblent aujourd’hui naviguer à vue ?
Tout gouvernement placé face à une crise brutale, massive et inédite navigue à vue. Ayons un peu d’indulgence pour les dirigeants – de tous les pays – qui n’ont pas été préparés à cela, et un peu d’humilité dans nos jugements parfois à l’emporte-pièce sur les mesures qu’il faudrait ou qu’il aurait fallu prendre. Je dirais tout de même que si la Chine avait réagi dans la transparence, sans déni, sans suppression ou manipulation de l’information, le reste de la communauté internationale aurait sans doute gagné une, deux ou trois semaines. Un temps précieux. De quoi, peut-être, interdire plus tôt certains grands rassemblements religieux ou sportifs.
Est-ce que les risques étaient mal anticipés ou est-ce que les stratégies n’ont pas été suivies ?
En France, avant la crise, il n’était pas considéré comme urgent de constituer sur le sol national des stocks massifs de masques : le consensus, au tournant des années 2010, était que la production mondiale suffirait. Plus globalement, on peut dire que les textes et les catalogues de mesures à prendre étaient là. Quant au moment et à la manière de les prendre, c’est une question d’interprétation et de jugement politique.
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Un virus venu de Chine, affectant les voies respiratoires, se répandant à l’échelle mondiale et causant des dizaines de millions de victimes aux États-Unis??? on dirait vraiment un mauvais poisson d 'avril.
18 h 29, le 01 avril 2020