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Les immunités meurtrières

Entre autres et épouvantables ravages, le coronavirus a révélé la fragilité insoupçonnée, la stupéfiante vulnérabilité des sociétés, même celles qui comptent parmi les plus évoluées, les mieux organisées de la planète. Par son ampleur, la pandémie a commencé par démentir cruellement les délirantes prédictions des futurologues les plus respectés qui, citant les phénoménaux progrès de la technologie, annonçaient pour bientôt le règne de l’intelligence artificielle : cette robotique qui, à la faveur des consultations et services à distance, sonnerait le glas de diverses professions libérales. Dont, ironiquement, celles de médecin et de soignant, ces héros incontestés de l’époque qu’ovationnent sous toutes les latitudes, du haut de leurs balcons, les humanités en détresse.


En revanche, le virus a jeté une lumière crue sur la stupéfiante imprévoyance des gouvernants qui n’ont pas mesuré à temps la gravité du péril et agi en conséquence, malgré les formidables moyens dont disposaient souvent leurs pays : colosses aux talons d’argile se débattant aujourd’hui entre urgences sanitaires, impératifs économiques et pressions des opinions publiques. Mais qu’en serait-il alors de ces infortunés pays dont le dramatique déficit immunitaire ne se limite pas aux seuls talons ; de ces États aux institutions rongées de la tête aux pieds par la corruption, minées par les luttes d’influence et les rivalités sectaires, invariablement sourdes à toutes les urgences ?


Le virus à la rescousse de la pourriture ? On a de la peine à le reconnaître, et encore plus d’amertume à le faire noir sur blanc : en chassant des rues et des places les foules de manifestants, le Covid-19 a accordé un répit inespéré à un establishment politique libanais démystifié, encerclé, assiégé par la révolution du 17 octobre. Poussées dans leurs derniers retranchements, les parties au pouvoir se résignaient, il y a peu, à évacuer le devant de la scène. Mais c’était seulement pour sacrifier, avant l’heure, à la vogue du télétravail, imposée par le coronavirus. C’était alors l’avènement d’un gouvernement Diab se déclinant non partisan, incluant certes des compétences reconnues, mais étroitement contrôlé à distance. Pire encore, retenu en otage par l’un ou l’autre de ses propres parrains, quand il y va de ses intérêts spécifiques.


C’est la menace d’un début de sabordage du gouvernement, d’une amorce de crise ministérielle venant s’ajouter à toutes les autres, qu’a ainsi brandie le président de l’Assemblée et chef du mouvement Amal pour hâter l’adoption, hier, d’un plan de rapatriement des Libanais immobilisés à l’étranger. C’est en république autonome jusque sur le terrain sanitaire que se pose le principal élément du tandem chiite, le Hezbollah, en présentant aux médias son infrastructure hospitalière. Alors que le temps presse car le pays s’appauvrit de jour en jour, l’exécutif n’arrive pas encore à définir ses options, qu’il s’agisse de la négociation avec le Fonds monétaire international ou du contrôle des capitaux bancaires. Juchés sur les malheurs du peuple comme coqs sur tas de fumier, les puissants trouvent le temps d’aiguiser leurs couteaux en prélude à des règlements de comptes, ou à des foires d’empoigne tournant autour de la nomination de hauts fonctionnaires…


Honte à une classe dirigeante dont les insatiables ambitions prennent le pas sur le sauvetage du pays. Honte à un pays où le débat sur les portions de pouvoir arrive encore à couvrir les clameurs de ces citoyens aux abois que l’on voit braver la trop laxiste consigne de confinement pour chercher à nourrir leurs familles.


Pousseraient-ils carrément au suicide, que ceux qui ont funestement charge d’âmes n’agiraient pas autrement.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Entre autres et épouvantables ravages, le coronavirus a révélé la fragilité insoupçonnée, la stupéfiante vulnérabilité des sociétés, même celles qui comptent parmi les plus évoluées, les mieux organisées de la planète. Par son ampleur, la pandémie a commencé par démentir cruellement les délirantes prédictions des futurologues les plus respectés qui, citant les phénoménaux...