Plusieurs sources bancaires anonymes ont indiqué lundi à L’Orient-Le Jour que la quasi-totalité des banques continuaient de laisser les titulaires de comptes approvisionnés en « argent frais » retirer des dollars en espèces, avec des plafonds différents d’un établissement à l’autre – et qui peuvent atteindre plusieurs centaines de dollars par jour. Elles ont également confirmé que les retraits à partir de comptes normaux (par opposition aux comptes spéciaux alimentés en dollars frais) avaient, en revanche, été progressivement suspendus depuis le début de l’état d’urgence sanitaire décrété le 15 mars par le gouvernement pour contenir l’épidémie de coronavirus qui a également touché le pays du Cèdre, comme l’a rapporté l’AFP, citant une source à l’Association des banques du Liban (ABL). Une situation qui devrait durer jusqu’à la réouverture de l’aéroport, fermé au moins jusqu’au 12 avril, dans le cadre des mesures de confinement prises par l’exécutif.
Prétexte ?
« Les banques ne peuvent plus rapatrier leurs devises placées à l’étranger pour pouvoir répondre à la demande sur le marché local. Elles ont donc décidé d’arrêter les retraits après les avoirs encore plus restreints lors des premiers jours de l’état d’urgence et cette situation devrait durer au moins jusqu’à ce que la réouverture de l’aéroport international de Beyrouth soit annoncée », a expliqué une des sources interrogées à L’Orient-Le Jour. La semaine dernière, les autorités ont prolongé l’état d’urgence sanitaire de deux semaines supplémentaires, jusqu’au 12 avril.
Il reste que des exceptions à la fermeture de l’AIB sont prévues notamment pour les membres des missions diplomatiques, des organisations internationales et les avions de fret, ce qui laisse planer le doute sur la véracité du prétexte avancé par les banques pour justifier les restrictions. « Le fret aérien est principalement limité au matériel médical et aux produits alimentaires de première nécessité », rétorque une autre source interrogée.
Les expressions « dollars frais » ou « fonds frais » désignent les dépôts en devises effectués dans des banques libanaises sur des comptes spéciaux créés après le 17 novembre 2019, date à laquelle l’ABL a officiellement entériné pour la première fois les restrictions sur les opérations bancaires mises en place par le secteur quelques mois plus tôt sur fond de crise économique et financière. Ces restrictions, qui sont illégales, visent principalement les retraits en devises et les transferts à l’étranger à partir de comptes sur lesquels des fonds ont été déposés dans les banques avant la date de la décision de l’ABL. Le gouvernement planche actuellement sur un projet de loi qui doit légaliser ces restrictions.
La dernière version du texte brièvement évoquée par le Conseil des ministres, la semaine passée, avait toutefois repoussé jusqu’au 11 février la date-pivot permettant de distinguer l’argent frais des autres fonds. Rien n’indique cependant que cette disposition sera maintenue dans la version définitive, même si son inclusion suscite des motifs légitimes d’inquiétude chez certains experts consultés pendant l’élaboration du projet et qui se sont confiés à L’Orient-Le Jour ces dernières semaines.
Ce nouveau resserrement de la circulation du dollar ne devrait en tout cas pas permettre de stabiliser son taux par rapport à la livre chez les changeurs, où il s’est littéralement envolé depuis que les premiers signes de la crise ont commencé à apparaître en août. Selon le site Lebaneselira.org, qui suit l’évolution du taux de change depuis cette période, le dollar se négociait entre 2 725 livres (à l’achat) et 2 790 livres (à la vente) – tandis que la parité officielle toujours en vigueur pour les transactions bancaires est de 1 507,5 livres pour un dollar, 1 515/1 518 en comptant les marges autorisées.
Si le syndicat des changeurs a assuré à plusieurs reprises que la filière respectait le plafond imposé par la Banque du Liban, via la circulaire n° 546 du 6 mars qui fixe un prix d’achat maximum 30 % plus élevé que la parité officielle, aucun témoignage n’a permis de confirmer que cela était appliqué sur le terrain.
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commentaires (8)
Juste pour mettre les choses en perspective, les 6 millions de dollars (fresh?) si généreusement donnés par les banques pour aider à lutter contre le coronavirus, correspondent à 0.03% (oui, zéro virgule zéro trois pour cent) des bénéfices générés par ces mêmes banques ces dernières années. C'est comme si tu avais 10'000$ en poche et que tu en donne 3 à un mendiant...
Gros Gnon
10 h 54, le 31 mars 2020