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Société - Prisonniers

Grâce au coronavirus, la justice numérique commence à balbutier

Les demandes de mise en liberté peuvent désormais se faire par voie électronique.


Des avocats volontaires, munis de masques, travaillent d’arrache-pied dans la chambre d’opérations. Photo DR

Dans un contexte sanitaire où la distanciation sociale est indispensable pour endiguer la propagation du coronavirus, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth ont mis en place il y a quelques jours une chambre d’opérations pour permettre la présentation par voie électronique des demandes de libération de détenus. Cette démarche des deux organismes fait suite à une demande formulée en ce sens le 16 mars par la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, à l’adresse du CSM et du procureur général près la cour de Cassation, Ghassan Oueiddate. Dans un souci d’éviter la prolongation des arrestations préventives, Mme Najm a également demandé le 20 mars que les interrogatoires soient menés à distance via internet.

Me Issam Khoury fait partie des avocats volontaires qui travaillent d’arrache-pied dans la chambre d’opérations installée au Palais de justice pour créer un lien électronique entre les demandeurs de mises en liberté, les juges qui doivent statuer sur ces demandes et les lieux de détention. « Le bâtonnier Melhem Khalaf a équipé toute une salle en appareils téléphoniques, ordinateurs, imprimantes et fax pour assurer les meilleurs moyens de communication », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour, soulignant que Mme Najm, M. Oueidate et le président du CSM, Souheil Abboud, se sont tour à tour enquis sur place des nouveaux aménagements et des premiers tests effectués.

« Outre les requêtes adressées au centre d’appel (04-548395) et dont profitent ceux qui n’ont pas d’avocats et font uniquement l’objet d’une action publique, les avocats d’autres détenus peuvent introduire les demandes de mise en liberté sur le site mis à leur disposition par la chambre d’opérations à l’adresse suivante : https://bitrix24public.com/bba.bitrix24.com/form/5/fmf7ud/ », précise Me Khoury. Le système semble bien réussir puisque, jusqu’à hier, des centaines de demandes de libération et de décisions de juges (positives ou non) étaient parvenues à la chambre d’opérations. « En un simple clic, une page de formulaire s’ouvre pour permettre au requérant de fournir des informations sur son dossier. Une fois que sa demande nous parvient, nous l’imprimons, avant de la faire valider par un greffier. Elle est ensuite scannée et expédiée par courrier électronique au juge concerné, lequel prend sa décision, la scanne et nous l’envoie également par e-mail. Cette décision est alors imprimée dans la chambre d’opérations pour être notifiée par fax au lieu de détention », poursuit-il. Issam Khoury décrit comme « une première » cette étape vers l’informatisation de la justice. Il révèle à cet égard que « le conseil de l’ordre étudie les moyens d’étendre le système électronique à d’autres démarches et requêtes, comme par exemple l’échange de conclusions entre avocats et les demandes de réduction des peines ».


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Le bénéfice du coronavirus

Interrogé par L’OLJ pour savoir comment il perçoit la démarche du conseil de l’ordre, le juge d’instruction de Beyrouth, Assaad Bayram, qui a visité deux fois la chambre d’opérations, s’en félicite, relevant toutefois qu’il faut attendre « une semaine pour mesurer les résultats réels ». « Le coronavirus aura produit un seul bénéfice, celui de permettre aux avocats et juges de ne plus se déplacer lorsque cela est possible », observe-t-il, soulignant notamment que « grâce à ce système électronique, des avocats vivant dans des régions éloignées comme Zahlé, Baalbeck ou Nabatiyé peuvent poursuivre leurs formalités à partir de leur lieu de résidence ». Tout en saluant les efforts déployés par le conseil de l’ordre, il souhaite que ce lien électronique puisse un jour être établi « directement » entre le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice. « Dans une justice numérisée, les détenus dans les prisons (lesquelles relèvent du ministère de l’Intérieur) adressent leurs demandes de mise en liberté au ministère de la Justice, qui les défère aux tribunaux compétents. Ceux-ci émettent alors leurs décisions et les envoient aux prisons selon le même procédé. »


(Lire aussi : Un monde fou, fou, fou, l'édito de Issa GORAIEB)



Interrogatoires via internet

Quant à la préconisation par la ministre de la Justice d’interrogatoires via internet, M. Bayram s’en félicite également. Il souligne que le président du CSM a publié hier une circulaire dans laquelle il a annoncé que le département de l’informatique au sein du ministère de la Justice allait aménager dans chaque Palais de justice une salle équipée de Wi-Fi et d’un laptop. « J’ai interrogé aujourd’hui (hier) via Skype un détenu dans la prison de Roumieh, où une salle vient d’être équipée », affirme-t-il, déplorant toutefois que le second interrogatoire qu’il devait mener a été reporté à mardi en raison de l’interruption d’internet dans la prison. Pour lui, l’interrogatoire à distance, bien qu’à ses premiers balbutiements, constitue « un pas, même timide, vers une justice numérique ».

Mais selon une juge qui a requis l’anonymat, le passage au numérique semble être encore « bien loin ». « Le Wi-Fi n’est pas mis à la disposition des magistrats dans les palais de justice », indique-t-elle. « Même si les magistrats confinés à la maison peuvent utiliser leur propre abonnement et mener les interrogatoires à partir de leurs téléphones ou ordinateurs, encore faut-il que les postes de police où se trouvent la plupart des personnes en détention préventive soient eux aussi dotés de ces moyens », note-t-elle, sceptique.

La juge d’instruction du Liban-Nord, Jocelyne Matta, a pour sa part expérimenté lundi des interrogatoires à travers un appel vidéo sur l’application WatsApp en utilisant son propre Wi-Fi. « J’ai interrogé quatre personnes détenues au poste de Wadi Khaled, ainsi qu’un mineur qui se trouvait au poste d’Amioun en présence de son avocat », indique-t-elle, saluant les agents de l’ordre dans les postes de police qui, eux aussi, ont offert leur propre connexion. À chaque fois, la juge demandait au fonctionnaire présent dans son bureau de filmer le déroulement de l’interrogatoire pour constituer des preuves. Hier soir, elle s’entraînait sur Zoom, une application qui permet de mettre en communication plus d’une personne et d’enregistrer le son et l’image sur le laptop, ce qui, dit-elle, permet de conserver les preuves. Elle souhaite toutefois que soit appliquée rapidement la décision du ministère de la Justice d’installer les équipements dans les palais de justice et les gendarmeries.


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NAUFAL SORAYA

07 h 58, le 28 mars 2020

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  • Bravo!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 58, le 28 mars 2020

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