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Un monde fou, fou, fou

À coups de prêches télévisés, on nous a amplement instruits des risques trop souvent mortels que comporte le coronavirus. On nous a patiemment appris les moyens de se prémunir, autant que possible, contre le fléau ; mens sana étant indissociable du corpore sano, un cours gratuit de bien-être dans le confinement vient même d’être institué sur le web par l’université de Yale, et est en voie de battre tous les records d’audience*.

En revanche, on a vu le monde médical se scinder en partisans et détracteurs de ce célébrissime spécialiste de Marseille à la crinière de savant original, qui soutient avoir trouvé la potion magique en recourant notamment à la bonne vieille quinine : la polémique se déroulant inévitablement sur fond de théories complotistes, de sombres et scandaleux conflits d’intérêts entre blouses blanches vouées au bien public et firmes pharmaceutiques attendant froidement le moment d’engranger de fabuleux bénéfices.

Il est néanmoins étonnant – et regrettable – que la communauté scientifique, débordée il est vrai, ne se soit pas trop penchée sur les effets désastreux que peut avoir la pression résultant de la pandémie sur le mental des puissants, ces dirigeants qui ont charge de tant d’âmes. Choquant archétype du coronasceptique, obnubilé par la bonne marche de ce sacro-saint business qui a fait sa fortune financière et politique, Donald Trump n’a cessé de minimiser criminellement l’urgence de la situation ; c’est tout juste, d’ailleurs, si cette sommité mondiale de l’immunologie qu’est le Dr Fauci, debout aux côtés du président face aux journalistes, s’est retenu de sourire à l’écoute des inepties débitées par ce dernier. Le tragique résultat en est qu’en l’espace de quelques jours, les États-Unis sont devenus le pays le plus massivement contaminé : le virus s’acharnant particulièrement sur la Grosse Pomme, New York, la métropole qui ne dort jamais mais où les lits d’hôpitaux menacent maintenant de manquer. Non moins pitoyable, au demeurant, est la performance du Britannique (et non moins excentrique  !) Boris Johnson se refusant obstinément à interdire les rassemblements et faire fermer les pubs avant d’être rattrapé par l’épouvantable marée. Elle ne l’a pas épargné lui-même, dans sa résidence cosy du 10 Downing Street ; et c’est sur la personne de son docile ministre de la Santé que l’ironie du sort a fait coup double.

Toujours est-il que c’est encore l’impératif de survie de l’économie mondiale qui a commandé la tenue, jeudi, d’une visioconférence des 20 pays les plus riches de la planète. Cinq mille milliards de dollars, a-t-il été convenu, seront injectés pour ranimer le grand malade . Tout aussi prometteuse est l’amorce de coopération engagée entre les deux colosses américain et chinois qui, tout au long des dernières semaines, se sont vicieusement rejeté la paternité du terrifiant virus. Mais c’est au plan strictement sanitaire que peut décevoir le bilan de ce sommet planétaire présidé par le roi d’Arabie saoudite. Durant la Seconde Guerre mondiale, nombre d’usines d’appareils ménagers en étaient venues, du jour au lendemain, à produire tanks et avions ; or, ne serait-ce que pour contenir l’insidieux ennemi, aucune reconversion-éclair d’industries légères n’a encore été décidée pour la fabrication massive, immédiate, de respirateurs, gadgets de dépistage et masques, appareillage dont manque cruellement, en ce moment, l’humanité. Assez sommaire paraît, en outre, l’appel (le simple, l’angélique appel) lancé au Fonds monétaire international et à l’Organisation mondiale de la santé pour qu’ils volent au secours des pays émergents ou en développement, du moment que ce sont les congressistes du G20 eux-mêmes qui financent ces deux institutions onusiennes.

Émergent  ? En développement  ? Il faudra décidément inventer une troisième et très exclusive catégorie pour le nôtre, de pays. À ses propres citoyens comme à un monde déjà passablement dérangé, il offre le spectacle atterrant d’un peuple souvent rebelle à la règle, pourtant vitale, de confinement . Une aussi incroyable inconscience n’a d’égale cependant que celle des blocs politiques acharnés, malgré la gravité du moment, à se disputer de dérisoires lambeaux d’État. Du coup, c’est le gouvernement, littéralement retenu en otage, qui s’avère incapable de se doter, en temps voulu, d’une politique financière visant à éviter l’effondrement.

Même un Donald Trump ne ferait pas mieux.

* www. coursera.org

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

À coups de prêches télévisés, on nous a amplement instruits des risques trop souvent mortels que comporte le coronavirus. On nous a patiemment appris les moyens de se prémunir, autant que possible, contre le fléau ; mens sana étant indissociable du corpore sano, un cours gratuit de bien-être dans le confinement vient même d’être institué sur le web par l’université de Yale, et...