Ce calme incommensurable ! Cette tranquillité à nulle autre pareille ! Faut-il désormais attendre qu’un fléau viral se pointe, pour goûter au plaisir divin de voir les chefs politiques fermer leur clapet ?
Il est quand même intéressant, sur le strict plan de l’anthropologie, de constater l’extraordinaire longévité de nos pointures locales. Nos aïeux commencent par voter pour un neuneu en tétine tout juste tombé de l’arbre généalogique, et les enfants de nos petits-fils se retrouvent encore en train de l’applaudir alors qu’il a viré vieux kroumir quasi édenté. Pourquoi ces vénérables débris vivent-ils si longtemps ? Gagné! Bien avant le coronavirus, les chercheurs avaient déjà trouvé : c’est l’absence de soucis. Rien, nada, balpeau! Le Covid-19 ne les touchera jamais, vu qu’il y trouvera son antidote: le Co-vide-intersidéral! On aura beau chercher dans les recoins les plus reculés de leurs neurones intermittents, pas le moindre frémissement! Encéphalogramme plat ! Il est de ce fait incontestable qu’au Liban, l’immunité parlementaire, ministérielle ou présidentielle a muté pour devenir organique et… terriblement efficace. Pas de risque de contagion non plus, puisque chez nous les dirigeants manient plus facilement l’insulte que le serrage des mains.
En revanche, quelle réactivité, quelle fulgurance face au parfum du fric ! Pas moins de quatre comptes bancaires en moins de 24 heures pour mendier l’aide des citoyens et de la diaspora, après avoir entièrement siphonné les caisses de l’État et envoyé l’argent ronfler dans des paradis fiscaux bloqués à l’étranger. Quatre comptes qui fonctionnent nickel puisque c’est dans l’autre sens, sans les tracasseries habituelles des banquiers ni les plafonds ridicules de 150 dollars par semaine imposés aux gueux. Rien que du « fresh money », comme disent les économistes libanais francophones. À l’heure où les gouvernements du monde cassent leur tirelire ou s’endettent pour aider leurs populations, les nôtres ont préféré tendre la main pour réactiver la machine à pomper.
Ça doit certainement les ramener aux temps heureux, quand les angelots occidentaux et arabes balançaient directement le pognon aux pouvoirs publics, qui s’empressaient de l’aspirer avant d’en refiler le reliquat à des entrepreneurs véreux, puis les poussières à la piétaille. Mais ces bonnes affaires avaient fini par rencontrer à l’étranger de mauvaises lois et prendre le label d’escroquerie.
Sacrée classe politique, va! Entre les magouilleurs, les combinards et les quelques bibelots honnêtes, nous sommes largement comblés. La nouvelle mendicité a au moins l’avantage de démontrer que nos chefs ont une idée derrière la tête. Très loin derrière, presque toujours.
gabynasr@lorientlejour.com
A deux mois près ils auraient pu attribuer tous nos malheurs à ce coronavirus, mais là pas de chance, la crise bancaire est arrivée avant. C'est le seul reproche qu'ils pourront faire à Riad S. "shou wallaooh tu n'a pas vu venir la chose de la Chine et procrastiner un peu le déclenchement de la crise"
22 h 08, le 20 mars 2020