Dans un discours très attendu, le Premier ministre Hassane Diab a annoncé samedi que le Liban "suspend" le remboursement des eurobonds d'une valeur de 1,2 milliard de dollars arrivant à échéance lundi. Ce qui signifie, de facto, que le Liban fait défaut, une première dans son histoire.
"Nous sommes confrontés aujourd'hui à une échéance considérable de la dette. En 2020, elle s'élève à environ 4,6 milliards de dollars en eurobonds, taux d'intérêt compris, le premier versement étant dû le 9 mars, c'est-à-dire dans deux jours. Face à cet enjeu majeur, nous ne pouvons qu’adopter une position ferme et lucide, dans l'intérêt de notre nation et de notre peuple", a souligné Hassane Diab. "Nos réserves internationales ont atteint un niveau critique et dangereux, poussant la République Libanaise à suspendre le paiement des eurobonds du 9 mars, afin d’assurer les besoins fondamentaux de la population", a-t-il annoncé.
"Cette décision n’a pas été facile. C’est la seule solution pour protéger l’intérêt public, parallèlement au lancement d’un plan de réforme globale. Notre décision provient de notre attachement à l’intérêt des Libanais", a annoncé M. Diab, sur un ton grave, lors d'un discours au Grand sérail retransmis en direct à la télévision, et en présence des membres de son gouvernement.
"Comment pouvons-nous payer nos créanciers étrangers alors que les Libanais ne peuvent pas accéder à leurs fonds à partir de leurs comptes bancaires? Comment pouvons-nous payer nos créanciers alors que les hôpitaux souffrent d'une pénurie de fournitures médicales? Comment pouvons-nous nous permettre de ne pas fournir d'assurance maladie à nos citoyens? Comment pouvons-nous payer nos créanciers alors que de nombreuses personnes sont dans la rue, ne disposant pas des moyens de s’acheter du pain?", s'est interrogé M. Diab. "Le Liban est un pays qui honore ses engagements. Cependant, l'État est actuellement incapable de payer ses dettes à venir".
Restructuration de la dette
Le non remboursement des eurobonds signifie donc que le Liban fait défaut. Ceci signifie qu’il indique à ses créanciers qu’il n’est pas capable de payer tout ou partie de sa dette selon les modalités fixées lorsqu’il l’a souscrite, pour ensuite négocier avec eux les termes d’une restructuration ou de toute autre forme d’aménagement de la dette, qu’il s’agisse de sa portion en livres ou de celle en dollars.
"Le Liban va négocier la restructuration de sa dette conformément à l'intérêt national", a encore déclaré M. Diab. Le gouvernement libanais s’est offert, il y a quelques jours, les services de deux cabinets de conseil internationaux -Lazard sur le volet financier, et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP sur le volet légal –pour l’épauler dans le processus de restructuration de la dette.
"La restructuration des dettes s’inscrit dans le cadre du programme de réformes du gouvernement visant à restaurer la confiance dans notre pays et celui de la mise en oeuvre de notre déclaration ministérielle, notamment les mesures que nous nous sommes engagés à entreprendre au cours de la première période des 100 jours."
"J'ai demandé aux ministres de proposer des réformes visant à rendre notre système fiscal plus équitable. Nous nous engageons à lutter fermement contre l'évasion fiscale, tout en améliorant l'efficacité du recouvrement des impôts. Nous allons également mettre en place un filet de sécurité sociale pour protéger les plus démunis", a-t-il annoncé, avant de rappeler que son gouvernement a entrepris de préparer une stratégie nationale de lutte contre la corruption. À cet égard, un comité spécialisé sera bientôt formé et sera doté des pouvoirs et de l'autonomie nécessaires pour remplir son mandat.
La perspective d’un défaut devrait inévitablement conduire les principales agences de notation, Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, à rapidement dégrader la notation souveraine du pays et de ses banques de la catégorie « C » (très risqué, à la limite du défaut) à « D » (défaut). Ce déclassement ne changera toutefois pas fondamentalement grand-chose à ce stade, le Liban ne pouvant de toute façon plus emprunter sur les marchés financiers à des coûts raisonnables (plus le doute règne sur la solvabilité de l’emprunteur, plus il doit emprunter à des taux élevés) et sa réputation étant déjà entachée, que ce soit par la précarité de sa situation financière ou les mesures illégales de contrôle des capitaux adoptées unilatéralement par les banques depuis la fin de l’été.
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Faisant le point sur la dette publique, Hassane Diab a estimé que celle-ci "a largement excédé la capacité du Liban à la supporter, et a dépassé la capacité des Libanais à en assurer le service. Toute l'économie libanaise est devenue prisonnière de ces politiques et dépendante d’un endettement toujours plus grand. Les politiques publiques n’ont pas su trouver le bout du tunnel de l’endettement excessif qui a miné les secteurs productifs de l'économie nationale". Il a également reconnu que "les Libanais ont vécu dans l’illusion que tout allait bien alors que le Liban se noyait dans un océan de dettes et d'intérêts de la dette, y compris en devises étrangères, au point d’atteindre plus de 90 milliards de dollars, soit environ 170 % du PIB. Selon les estimations de la Banque mondiale, plus de 40 % de la population pourrait bientôt se retrouver sous le seuil de pauvreté". "Il n'est plus possible aujourd’hui de continuer à emprunter pour financer la corruption. Il est grand temps de rétablir une conduite éthique dans la gouvernance et de restaurer la confiance dans notre État", a affirmé le Premier ministre.
Réagissant à l'annonce du Premier ministre, des dizaines de Libanais se sont rassemblés dans le centre-ville de Beyrouth en début de soirée. Plusieurs personnes ont été blessés lors d'échauffourées avec la police, selon un témoin sur place interrogé par L'Orient-Le Jour. D'autres manifestations ont également lieu dans différentes régions du pays, notamment à Tripoli, au Liban-Nord, à Zouk Mosbeh, dans le Kesrouan, ou encore à Tyr, au Liban-Sud, et à Hasbaya.
Photo João Sousa
Le contexte
L'échéance de mars est la première d’une série de trois échéances en 2020, avec deux autres en avril et juin, pour un total d’un peu plus de 2,7 milliards de dollars de principal, auquel s’ajoutent près de 2 milliards de dollars d’intérêts à régler toutes émissions confondues.
La dette publique du Liban a frôlé les 92 milliards de dollars, soit presque deux fois son PIB. Pour ne rien arranger, presque 40 % de cette dette est libellée en dollar, ce qui oblige le pays à puiser dans ses réserves de devises qui fondent depuis 2017, pour honorer ses engagements.
Or, se pose la question du bilan réel de la Banque du Liban (BDL). Selon plusieurs sources proches du dossier, les réserves de devises nettes de la BDL, c’est à-dire ce qu’elle détient réellement une fois défalqué ce qu’elle doit, en comptant notamment les dépôts et les certificats de dépôts des banques chez elle, sont négatives, comme l’a notamment souligné Fitch en décembre dernier.
Face à la gravité des enjeux pour le Liban, le gouvernement Diab a sollicité le FMI pour évaluer l’ampleur du chantier sur le plan macro-économique et décider du type d’assistance le plus adapté à sa situation. Peu de temps après, l’exécutif a recruté deux cabinets de conseil internationaux pour l’épauler dans les négociations avec ses créanciers.
L'avis des experts
Eurobonds 2020 : éviter les scénarios du pire, par Nicolas Chikhani
Les enjeux juridiques de la restructuration de la dette, selon Nasri Diab et Karim Daher
Les conséquences d’une restructuration de la dette du Liban, par Oussama A. Nasr
Comment se déroule une restructuration de dette, selon Camille Abousleiman
Qu'attendent nos autorités pour mettre en prison tous ceux qui ont amené le Liban à la catastrophe actuelle, et les obliger à rendre les milliards volés, T O U S c'est-à dire: les pères, beau-pères, fils, frères, gendres, petit-fils etc. Pourquoi est-ce le petit peuple qui souffre déjà assez de la situation, qui devrait aider à restituer ce que les grands ont volé durant des années ??? Où se trouvent les champions de la lutte contre la corruption ??? Irène Saïd
10 h 25, le 08 mars 2020