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À La Une - Liban

Pour la première fois de son histoire, le Liban est en défaut de paiement

Le Liban ne remboursera pas l'emprunt de 1,2 milliard de dollars d'eurobonds qui arrive à échéance lundi car les réserves de devises étrangères du pays ont atteint des niveaux critiques, a annoncé le Premier ministre Diab.

Le Premier ministre libanais, Hassane Diab, prononçant un discours, le 7 mars 2020 au Grand Sérail à Beyrouth. Photo Dalati et Nohra

Dans un discours très attendu, le Premier ministre Hassane Diab a annoncé samedi que le Liban "suspend" le remboursement des eurobonds d'une valeur de 1,2 milliard de dollars arrivant à échéance lundi. Ce qui signifie, de facto, que le Liban fait défaut, une première dans son histoire.

"Nous sommes confrontés aujourd'hui à une échéance considérable de la dette. En 2020, elle s'élève à environ 4,6 milliards de dollars en eurobonds, taux d'intérêt compris, le premier versement étant dû le 9 mars, c'est-à-dire dans deux jours. Face à cet enjeu majeur, nous ne pouvons qu’adopter une position ferme et lucide, dans l'intérêt de notre nation et de notre peuple", a souligné Hassane Diab. "Nos réserves internationales ont atteint un niveau critique et dangereux, poussant la République Libanaise à suspendre le paiement des eurobonds du 9 mars, afin d’assurer les besoins fondamentaux de la population", a-t-il annoncé.

"Cette décision n’a pas été facile. C’est la seule solution pour protéger l’intérêt public, parallèlement au lancement d’un plan de réforme globale. Notre décision provient de notre attachement à l’intérêt des Libanais", a annoncé M. Diab, sur un ton grave, lors d'un discours au Grand sérail retransmis en direct à la télévision, et en présence des membres de son gouvernement.

"Comment pouvons-nous payer nos créanciers étrangers alors que les Libanais ne peuvent pas accéder à leurs fonds à partir de leurs comptes bancaires? Comment pouvons-nous payer nos créanciers alors que les hôpitaux souffrent d'une pénurie de fournitures médicales? Comment pouvons-nous nous permettre de ne pas fournir d'assurance maladie à nos citoyens? Comment pouvons-nous payer nos créanciers alors que de nombreuses personnes sont dans la rue, ne disposant pas des moyens de s’acheter du pain?", s'est interrogé M. Diab. "Le Liban est un pays qui honore ses engagements. Cependant, l'État est actuellement incapable de payer ses dettes à venir".


Restructuration de la dette

Le non remboursement des eurobonds signifie donc que le Liban fait défaut. Ceci signifie qu’il indique à ses créanciers qu’il n’est pas capable de payer tout ou partie de sa dette selon les modalités fixées lorsqu’il l’a souscrite, pour ensuite négocier avec eux les termes d’une restructuration ou de toute autre forme d’aménagement de la dette, qu’il s’agisse de sa portion en livres ou de celle en dollars.

"Le Liban va négocier la restructuration de sa dette conformément à l'intérêt national", a encore déclaré M. Diab. Le gouvernement libanais s’est offert, il y a quelques jours, les services de deux cabinets de conseil internationaux -Lazard sur le volet financier, et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP sur le volet légal –pour l’épauler dans le processus de restructuration de la dette.

"La restructuration des dettes s’inscrit dans le cadre du programme de réformes du gouvernement visant à restaurer la confiance dans notre pays et celui de la mise en oeuvre de notre déclaration ministérielle, notamment les mesures que nous nous sommes engagés à entreprendre au cours de la première période des 100 jours."

"J'ai demandé aux ministres de proposer des réformes visant à rendre notre système fiscal plus équitable. Nous nous engageons à lutter fermement contre l'évasion fiscale, tout en améliorant l'efficacité du recouvrement des impôts. Nous allons également mettre en place un filet de sécurité sociale pour protéger les plus démunis", a-t-il annoncé, avant de rappeler que son gouvernement a entrepris de préparer une stratégie nationale de lutte contre la corruption. À cet égard, un comité spécialisé sera bientôt formé et sera doté des pouvoirs et de l'autonomie nécessaires pour remplir son mandat.

La perspective d’un défaut devrait inévitablement conduire les principales agences de notation, Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s, à rapidement dégrader la notation souveraine du pays et de ses banques de la catégorie « C » (très risqué, à la limite du défaut) à « D » (défaut). Ce déclassement ne changera toutefois pas fondamentalement grand-chose à ce stade, le Liban ne pouvant de toute façon plus emprunter sur les marchés financiers à des coûts raisonnables (plus le doute règne sur la solvabilité de l’emprunteur, plus il doit emprunter à des taux élevés) et sa réputation étant déjà entachée, que ce soit par la précarité de sa situation financière ou les mesures illégales de contrôle des capitaux adoptées unilatéralement par les banques depuis la fin de l’été.


(Lire aussi : Amer Bisat : « La restructuration de la dette n’est pas la panacée »)



Faisant le point sur la dette publique, Hassane Diab a estimé que celle-ci "a largement excédé la capacité du Liban à la supporter, et a dépassé la capacité des Libanais à en assurer le service. Toute l'économie libanaise est devenue prisonnière de ces politiques et dépendante d’un endettement toujours plus grand. Les politiques publiques n’ont pas su trouver le bout du tunnel de l’endettement excessif qui a miné les secteurs productifs de l'économie nationale". Il a également reconnu que "les Libanais ont vécu dans l’illusion que tout allait bien alors que le Liban se noyait dans un océan de dettes et d'intérêts de la dette, y compris en devises étrangères, au point d’atteindre plus de 90 milliards de dollars, soit environ 170 % du PIB. Selon les estimations de la Banque mondiale, plus de 40 % de la population pourrait bientôt se retrouver sous le seuil de pauvreté". "Il n'est plus possible aujourd’hui de continuer à emprunter pour financer la corruption. Il est grand temps de rétablir une conduite éthique dans la gouvernance et de restaurer la confiance dans notre État", a affirmé le Premier ministre.

Réagissant à l'annonce du Premier ministre, des dizaines de Libanais se sont rassemblés dans le centre-ville de Beyrouth en début de soirée. Plusieurs personnes ont été blessés lors d'échauffourées avec la police, selon un témoin sur place interrogé par L'Orient-Le Jour. D'autres manifestations ont également lieu dans différentes régions du pays, notamment à Tripoli, au Liban-Nord, à Zouk Mosbeh, dans le Kesrouan, ou encore à Tyr, au Liban-Sud, et à Hasbaya.

Photo João Sousa


Le contexte

L'échéance de mars est la première d’une série de trois échéances en 2020, avec deux autres en avril et juin, pour un total d’un peu plus de 2,7 milliards de dollars de principal, auquel s’ajoutent près de 2 milliards de dollars d’intérêts à régler toutes émissions confondues.

La dette publique du Liban a frôlé les 92 milliards de dollars, soit presque deux fois son PIB. Pour ne rien arranger, presque 40 % de cette dette est libellée en dollar, ce qui oblige le pays à puiser dans ses réserves de devises qui fondent depuis 2017, pour honorer ses engagements.

Or, se pose la question du bilan réel de la Banque du Liban (BDL). Selon plusieurs sources proches du dossier, les réserves de devises nettes de la BDL, c’est à-dire ce qu’elle détient réellement une fois défalqué ce qu’elle doit, en comptant notamment les dépôts et les certificats de dépôts des banques chez elle, sont négatives, comme l’a notamment souligné Fitch en décembre dernier.

Face à la gravité des enjeux pour le Liban, le gouvernement Diab a sollicité le FMI pour évaluer l’ampleur du chantier sur le plan macro-économique et décider du type d’assistance le plus adapté à sa situation. Peu de temps après, l’exécutif a recruté deux cabinets de conseil internationaux pour l’épauler dans les négociations avec ses créanciers.


L'avis des experts

Eurobonds 2020 : éviter les scénarios du pire, par Nicolas Chikhani

Les enjeux juridiques de la restructuration de la dette, selon Nasri Diab et Karim Daher

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Comment se déroule une restructuration de dette, selon Camille Abousleiman


Dans un discours très attendu, le Premier ministre Hassane Diab a annoncé samedi que le Liban "suspend" le remboursement des eurobonds d'une valeur de 1,2 milliard de dollars arrivant à échéance lundi. Ce qui signifie, de facto, que le Liban fait défaut, une première dans son histoire."Nous sommes confrontés aujourd'hui à une échéance considérable de la dette. En 2020, elle s'élève...
commentaires (8)

Qu'attendent nos autorités pour mettre en prison tous ceux qui ont amené le Liban à la catastrophe actuelle, et les obliger à rendre les milliards volés, T O U S c'est-à dire: les pères, beau-pères, fils, frères, gendres, petit-fils etc. Pourquoi est-ce le petit peuple qui souffre déjà assez de la situation, qui devrait aider à restituer ce que les grands ont volé durant des années ??? Où se trouvent les champions de la lutte contre la corruption ??? Irène Saïd

Irene Said

10 h 25, le 08 mars 2020

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Commentaires (8)

  • Qu'attendent nos autorités pour mettre en prison tous ceux qui ont amené le Liban à la catastrophe actuelle, et les obliger à rendre les milliards volés, T O U S c'est-à dire: les pères, beau-pères, fils, frères, gendres, petit-fils etc. Pourquoi est-ce le petit peuple qui souffre déjà assez de la situation, qui devrait aider à restituer ce que les grands ont volé durant des années ??? Où se trouvent les champions de la lutte contre la corruption ??? Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 25, le 08 mars 2020

  • C’est bien de parler de sauver les plus démunis et de retarder le remboursement mais cependant une chose très importante manque à ce discours catastrophique pour donner de l’espoir aux libanais, celui de récupérer l'argent volé, qu’en est il de leur enquêtes pour rechercher les milliards volatilisés? Toujours des discours creux sans aborder l’essentiel. Les libanais refusent de payer pour les couvrir les vols et l’incompétence de tout ce régime pourri. Faillite pour faillite, il faut que les libanais se dressent contre ces voleurs et leur déclarent la guerre en annonçant une désobéissance civile pour les obliger à cracher les sommes volées sinon rien ne se fera puisque l’économie repose en premier lieu sur la confiance et celle ci manque actuellement, que ce soit de la part des libanais ou des pays aidant. Des milliards empruntés pour zéro projet. Où a été injecté cet argent sinon dans les comptes des voleurs qui tiennent le pouvoir et qui l’ont transformé en vache à lait jusqu’à la sécheresse totale. C’est à eux seuls que revient la tâche de récupérer les sommes volées et non pas au peuple qui s’est toujours sacrifié sans jamais renoncer en attendant des jours meilleurs qui se sont transformés en calvaire pour toute la population. Vous êtes culottés de venir quémander auprès du peuple alors que vous le séquestrez ainsi que son argent et continuez à l’empêcher de protester à coups de bombes lacrymogènes et d’arrestations.

    Sissi zayyat

    10 h 01, le 08 mars 2020

  • Koul Kilb byiji yoom y’a ikhwanna !

    PROFIL BAS

    01 h 18, le 08 mars 2020

  • Je ne suis pas spécialiste en la matière. Payer ou ne pas payer.. Les coupables sont ceux qui vous ont nommés ( le gouvernement ) . Chacun traine des dizaines de millions voire dizaines de milliards sur leurs comptes partout dans le monde entier sous diverses formes et biens. Le fric du Liban, le fric des libanais. Rien que le mariage de leurs rejetons au liban ou ailleurs a couté plusieurs centaines de millions de dollars... Alors pour le liban, "les richissimes" peuvent bien "rendre" cet argent au libanais. non?

    LE FRANCOPHONE

    00 h 09, le 08 mars 2020

  • Le programme des réformes bute toujours sur le refus des partis au pouvoir. Que ce soit l'électricité ou la surcharge de la fonction publique avec les partisans, ou les taxes etc... En plus, ils ne veulent pas l'aide extérieure. Ils veulent peut-être détruire le temple sur la tête de tous.

    Esber

    20 h 56, le 07 mars 2020

  • MES CONDOLÉANCES POUR LE LIBAN MONSIEUR LE 1ER MINISTRE, ET SURTOUT POUR BERRI, AOUN ET BASSIL. ET TOUS LES RESTES, JOUMBLATT, HARIRI, FRANGIEH ETC.....

    Gebran Eid

    19 h 37, le 07 mars 2020

  • Et voilà: première étape, on fait défaut... En jargon populaire: j’ai fait faillite et je n’ai plus les moyens de rembourser ma dette ni d’emprunter de nouveau! Quoi faire alors: je dois trouver moyen de restructurer mon économie moribonde, ressusciter une industrie locale à la traîne, éliminer toutes les causes de gaspillage inutiles telles que les employés de l’état qui ne foutent rien, et surtout éliminer la corruption institutionnalisée à tous les niveaux, sans compter la revitalisation du secteur touristique, de l’électricité et j’en passe... Non, mais on réalise un peu l’énormité de la tâche? Et si on va s’en remettre aux conditions de la FMI pour sortir du trou, il faudrait que quelqu’un explique à ce pauvre peuple ce que ça va lui couter: de nouvelles taxes, diminution des importations, coupures sur les rentes de retraite, la sécurité sociale, les services médicaux, hair cut sur les intérêts bancaires, dévaluation de la monnaie, etc... Ça prendrait un personnage très courageux, à la personnalité charismatique, totalement intègre et au dessus de tout soupçon pour faire avaler tout cela à la populace déchaînée dans les rues... Espérons seulement que Mr Diab pourrait être cette personne, mais vue la manière avec laquelle il fut nommé avec un Hezbollah en arrière-plan et toute la clique de la grotte d’Ali Baba encore sur place, on peut en douter... Non, le chemin de Golgotha est encore très long!

    Saliba Nouhad

    19 h 26, le 07 mars 2020

  • Félicitations à la BDL pour sa gestion exemplaire de la sueur des fronts des libanais ! Bonne décision courageuse en tout cas de ne pas payer l'échéance. Bravo le PM ! déjà le paiement du 15 décembre 2019 des 1,5 milliard n'était pas nécessaire à mon avis.

    Shou fi

    19 h 12, le 07 mars 2020

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