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Campus - Témoignages

« Quelque chose a changé dans notre vie, l’avenir n’est plus aussi sûr »

À l’âge où les jeunes ne pensent qu’à vivre l’insouciance de leur jeunesse, les étudiants libanais, eux, luttent pour survivre face à une crise économique qui les a frappés de plein fouet, perturbant souvent leurs études et leur vie quotidienne.

Samer Abdel Nour, en 4e année de droit. Photo Édmond Abdel Nour

Si beaucoup ont vu leurs rêves s’évaporer avec le début de la crise économique, d’autres la vivent à travers l’inquiétude de leurs parents qui font face à d’énormes difficultés financières. Souvent contraints de restreindre leurs dépenses et leurs sorties, du fait du pouvoir d’achat, les étudiants surmontent très difficilement ce cap dans leur vie quotidienne. Élie Alwan en a fait les frais. Cet étudiant en 3e année d’audit et de comptabilité à l’Université libanaise (UL) jonglait entre ses cours à l’université jusqu’à 14h et son travail dans une boutique de sport de 16h à 22h. « À l’époque, dit-il, j’arrivais à économiser un peu pour payer les mensualités de ma voiture que j’avais achetée il y a un an, et sortir avec les copains deux fois par semaine. » Un mois après le début de la crise, la société où le jeune étudiant travaille lui réduit ses jours de travail, diminuant également son salaire de moitié. « Cela a énormément affecté mes dépenses et ma vie de tous les jours, avoue-t-il péniblement. Je ne sors plus comme avant et ne vais plus au restaurant. C’est tout juste si j’arrive à payer mon essence et mes déplacements jusqu’à l’université. Quant à mon emprunt pour la voiture, c’est ma sœur qui m’aide à le payer. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans elle. »

Pour subvenir à ses besoins, le jeune étudiant accepte n’importe quel travail qu’on lui propose et à n’importe quel prix. « Le plus dur, dit-il, c’est que je n’arrive plus à mettre un sou de côté. J’aurai voulu aider mes parents, mais c’est impossible. Je me dis que j’ai encore plus de chance que mes copains. Au moins j’ai toujours un travail. Mais jusqu’à quand ? » Même vécu pour Ronalda Ibrahim qui en est à sa 3e année de sciences politiques à l’UL et sa deuxième licence, et qui travaille dans une académie de musique pour payer ses études et s’acheter une voiture. « Mon salaire n’a pas changé. Mais aujourd’hui, avec cette cherté de vie, mon frère aîné qui est au chômage depuis un mois et mon père qui arrive difficilement à joindre les deux bouts, c’est à peine si j’arrive à payer les frais de l’université qui sont de l’ordre de 250 000 LL par an, sans oublier la Sécurité sociale que l’on nous impose à l’UL de 200 000 LL par an, avoue cette jeune étudiante. Tout mon salaire va aux dépenses de la maison et à l’achat des affaires du supermarché. Avant la fin du mois, il ne me reste plus rien. » Alors Ronalda, prise dans l’engrenage des difficultés de cette crise économique, ne sort plus, se prive de tout achat personnel. Elle a même envisagé d’arrêter ses études. « Mes parents ont refusé. Pour eux, cette licence est le seul espoir que j’ai pour une meilleure vie. Je ne sais pas si je tiendrai le coup. Déjà on nous prédit des temps encore plus durs ! »

Pour Karim Fakher, 22 ans, en dernière année de sciences informatiques à l’AUST, c’est la « frustration de dépendre encore de (ses) parents, pour se payer (ses) petits plaisirs » qui sont le plus dur à supporter. « Avant, je sortais sans soucis, je m’achetais mes habits, gâtais ma copine et ne demandais rien à mes parents, affirme ce jeune homme qui donne des cours particuliers à des écoliers pour se faire un peu d’argent de poche. Aujourd’hui, je ne sors plus du tout et n’arrive plus à mettre un sou de côté. D’ailleurs, même les cours particuliers ont nettement diminué. »


Une crise qu’ils vivent aussi à travers l’angoisse de leurs parents

Si certains étudiants avouent avoir ressenti durement l’impact de cette crise, beaucoup d’autres admettent la vivre à travers l’angoisse de leurs parents. Milanie Milan, étudiante en 4e année de médecine à l’Université de Balamand, avoue honnêtement « n’avoir pas changé de mode de vie, ou (s’)être privée de sorties, comme d’autres jeunes », mais ressent cette crise « à travers l’angoisse de (ses) parents face au manque de liquidités imposé par les banques, et leur inquiétude à régler les frais de scolarité ». « Et c’est cela qui m’angoisse le plus, aujourd’hui, admet la jeune fille. J’avoue que c’est la première fois que je ressens cela. La plupart de mes amies à la fac éprouvent la même chose et on en discute beaucoup. » Même vécu pour Samer Abdel Nour, étudiant en 4e année de droit à l’USJ, qui admet « n’avoir pas été touché personnellement par cette crise comme d’autres étudiants », mais avoue « avoir vu l’inquiétude dans le regard de (son) père face aux restrictions des banques ». « Pour la première fois, j’ai dû avoir recours au service social de l’USJ pour leur demander d’échelonner les paiements de ma scolarité. Je n’avais jamais fait cela depuis que je suis à l’université, avoue-t-il doucement. C’est ce qui m’a perturbé le plus ».

Pour d’autres, ce sont les longs et grands projets qui ont été revus à la baisse. « L’an prochain j’entreprends un master à l’étranger, explique Hala Yafi, étudiante en psychologie à l’USJ. Mes parents ont dû revoir tous les coûts que cela entraînait avant de prendre leur décision. On a dû choisir un appartement plus petit, pour minimiser les coûts et les dépenses. Avant, ce problème ne se serait jamais posé. » Manal Touma, 22 ans, étudiante en économie à l’USEK, avoue que c’est ce « fais attention à tes dépenses » qu’elle entend de plus en plus, qui la perturbe énormément. « Jamais je ne me suis privée de quelque chose. Mais aujourd’hui je réalise que l’argent de poche que j’avais depuis le début de l’année ne me suffit plus du tout. Et pourtant lorsque nous sortons, nous faisons attention à nos dépenses, et nous n’achetons plus que les choses essentielles. Les prix ont tellement augmenté ! » Manal, qui est sous la charge de sa mère, avoue n’avoir jamais eu de réels problèmes financiers à la maison. « Mais lorsqu’il y a un mois, ma mère m’a demandé de revoir ma décision de poursuivre mon master à l’étranger, elle qui m’a toujours encouragée à le faire, j’ai compris que quelque chose avait changé dans notre vie, et que l’avenir n’était plus aussi sûr qu’avant. Pour la première fois, j’ai angoissé et j’ai ressenti à mon tour les effets de cette crise économique. »


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