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Campus - TÉMOIGNAGES

Les étudiants face à la crise : un combat au quotidien

La situation économique d’un grand nombre de familles s’est fortement détériorée ces derniers mois. La précarité touche de nouvelles catégories sociales.

Houssam Kais.

Ils ont entre dix-huit et vingt-trois ans. Inscrits dans différentes universités libanaises, ces jeunes étudiants se spécialisent dans différents domaines : psychologie, gestion, psychomotricité, physiothérapie. Ambitieux, ils aspirent à de belles carrières. Mais à l’instar de milliers d’autres jeunes Libanais, face à la crise économique qui secoue le pays, ils se retrouvent souvent déchirés entre leur vie d’étudiants et leur obligation de travailler, parfois contraints d’assurer plusieurs petits jobs, afin de joindre les deux bouts.

« L’un de mes amis n’a pas pu intégrer l’Université libanaise car il n’a pas passé le test d’entrée alors il s’est inscrit dans une université privée. Pour financer ses études, il a travaillé tout en profitant d’une aide financière de sa faculté. Malgré cela, il a été obligé d’abandonner ses études car le coût de la formation est élevé. Aujourd’hui il travaille pour aider sa mère à assurer les dépenses et permettre à ses deux frères de poursuivre leur scolarité », raconte avec amertume Georgio Frangié, 20 ans, étudiant en ressources humaines à l’Université antonine, avant de poursuivre : « Lorsque j’ai commencé mes études, les deux premières années, j’ai travaillé au gym de l’université et dans une crêperie. L’année précédente, outre mon travail au gym, j’ai travaillé avec mon oncle, dans son magasin. Cette année je n’ai pas trouvé du travail. » Georgio, qui a perdu son père il y a quelques années, bénéficie d’une aide financière de son université. Et sa mère l’aide autant qu’elle peut à payer ses frais d’études. « Le salaire de ma mère est de 550 dollars par mois. Ma cousine nous aide également de temps en temps », ajoute-t-il.

Alain Hajjar* a 21 ans. Ce jeune étudiant en psychologie jongle entre ses études universitaires et un travail d’assistant dans un service de ressources humaines. Il confie : « Il y a cinq ans, mon père est décédé, et nous n’avions plus de revenus fixes. Depuis, mes frères et moi travaillons en parallèle à nos études afin de payer les factures. » Ces jeunes étudiants ne sont pas les seuls à souffrir des répercussions de la situation économique. Beaucoup d’autres jeunes universitaires, qui ont toujours leurs deux parents, se voient forcés, pour des raisons financières, de changer d’université, de filière, ou de ralentir le rythme de leurs études. « Ma sœur a dû abandonner ses études pour contribuer au budget de la maison », raconte Maria Roumieh, 20 ans, étudiante en traduction à l’Université libanaise internationale (LIU). Et d’ajouter : « La crise financière a affecté ma vie. J’ai été obligée de travailler pour pouvoir continuer mes études. Mes heures de travail ont augmenté et je ne sors pas beaucoup. Je dois vraiment faire attention à mes dépenses personnelles. »

Melissa Bader*, étudiante en psychomotricité, âgée de 20 ans, acquiesce et évoque le cas d’un ami « qui a réussi haut la main le concours d’entrée en médecine mais a été contraint d’abandonner son rêve de devenir médecin pour des raisons financières ».

De grandes répercussions sur la vie sociale

Les métiers qu’exercent ces jeunes parallèlement à leurs études sont variés : serveurs dans des restaurants, caissiers dans des supermarchés, vendeurs, hôtesses d’accueil, assistants administratifs… Si certains consacrent environ 30 heures par semaine à de petits emplois à temps partiel, d’autres sont obligés de faire le double, se trouvant dans une situation de surcharge physique et mentale, tel Gérard Harb*, qui, malgré son statut d’étudiant, travaille 67 heures par semaine dans le domaine de l’hospitalité, la nuit et les fins de semaine.

Faisant face aux longues heures de travail, au cours desquelles ils doivent assister aux études et aux projets pratiques à accomplir, ces jeunes se retrouvent épuisés en fin de journée, et obligés de sacrifier une grande partie de leur vie sociale. « Nous essayons de moins sortir pour économiser, mais, de toute façon, nous sommes toujours beaucoup trop fatigués pour socialiser », confient à l’unanimité ces étudiants.

Économiser fait donc partie de leur vécu quotidien, au point de pousser Marie-Belle el-Aou, étudiante en informatique à l’Université des sciences et de la technologie au Liban (AUL), à prétendre lors d’une sortie/dîner avec ses copines « ne pas avoir faim ». Roland Daou*, jeune mastérant de 21 ans, lui, se souvient du jour où il avait besoin d’essence mais avait à peine de l’argent sur lui. « J’ai payé mon essence avec des billets de 1 000 LL et des pièces de 500 LL », se souvient-il.

Néanmoins, ces combattants de la vie ne se plaignent pas. « Ce n’est pas facile de trouver un équilibre entre la vie étudiante et la vie professionnelle, mais ce n’est pas impossible. On s’habitue », se résigne Mélissa Bader.

Ce qui serait impossible, par contre, c’est de quitter leur travail pour se concentrer plus sur leurs études. « Si je suis amené à quitter l’un ou l’autre, j’interromprais mes études pour une année, et j’économiserais afin de pouvoir reprendre l’université », affirme Gérard Harb*.

Si j’avais le temps et la possibilité…

« Si j’avais la possibilité, je consacrerais la majorité de mon temps à mes études, et le reste à des activités qui m’intéressent », partage Sara Moura, 22 ans, étudiante en physiothérapie à l’Université antonine. « Faire du bénévolat », « participer à des ateliers de travail », « assister à des conférences intéressantes », « lire », « faire du sport », sont quelques-unes des occupations auxquelles ces jeunes aimeraient s’adonner s’ils avaient le temps ou la possibilité.

Mais la réalité est tout autre pour le moment. Et les jeunes interviewés ne semblent pas croire qu’elle changera bientôt. « Mon père excerce deux métiers pour pouvoir joindre les deux bouts. L’un d’eux, comme agent immobilier, a été très affecté par la crise », indique Rita Hatem*, 21 ans, étudiante en psychologie clinique à l’USJ qui envisage, après son master, de compléter un doctorat au Canada et d’y rester. Houssam Kais, 23 ans, étudiant en master de gestion, lui, confie « dépenser moins qu’avant et être à la recherche d’un travail. Les emplois disponibles sont limités. Le taux de chômage est plus élevé. Et les conditions de vie sont de plus difficiles », précise-t-il.

À l’âge des grands rêves, ces jeunes confient se sentir découragés de trouver un bon avenir au Liban. « Pourquoi accepter de vivre une vie de souffrance quand on a le choix de vivre en paix ? » se demande Maria Bader. Et Gérard Harb de conclure en écho : « Pourquoi perdre des années à vivre dans une crise interminable ? »

*Le nom a été changé à la demande de la personne concernée pour préserver son anonymat.



Ils ont entre dix-huit et vingt-trois ans. Inscrits dans différentes universités libanaises, ces jeunes étudiants se spécialisent dans différents domaines : psychologie, gestion, psychomotricité, physiothérapie. Ambitieux, ils aspirent à de belles carrières. Mais à l’instar de milliers d’autres jeunes Libanais, face à la crise économique qui secoue le pays, ils se retrouvent...

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