Anwar AMRO/AFP
« Ton argent est placé dans quelle banque ? » « Allo ? Combien de dollars je peux retirer ? » « En voyage, c’était quoi ta limite ? Le mois dernier c’était 2 000, puis ils sont passés à 1 000 puis à 500 et on m’a dit que ce serait désormais 100 sur les cartes de crédit. » Voilà le sujet principal de toutes les conversations en ce moment.
Aujourd’hui, plus personne n’accorde de crédit à son banquier. Plus personne n’a confiance. Les banques font ce qu’elles veulent dans l’illégalité la plus totale. Les rumeurs vont bon train : « Ils vont convertir les comptes en dollars en livres libanaises » ; « On ne peut plus retirer des dollars transférés après le 1er janvier » ; « Ils vont faire des haircuts » (même si avec le marché noir, c’est déjà fait) ; « Certaines banques vont fermer ». C’est à ne plus rien comprendre. D’un jour à l’autre, les règles changent sans que les clients ne soient prévenus. On peut se trouver dans un hôtel à Paris et se retrouver dans l’impossibilité de payer sa chambre à la fin du séjour. « Désolés, nous sommes libanais. » Et à l’étranger, même si nous avons une double nationalité mais que nous résidons au Liban, on nous répond : « Oubliez madame, vous ne pouvez pas ouvrir de compte chez nous. » L’humiliation, encore l’humiliation, toujours l’humiliation. Sentiment que ne connaissent ni les propriétaires des banques ni leurs familles. Eux, ils n’ont pas de plafond et ne soyons pas crédules, leur fric n’est plus au Liban depuis longtemps. D’ailleurs, ne font-ils pas partie de ceux qui ont viré deux milliards de dollars en octobre dernier ?
Ce que vivent les Libanais est insupportable. Licenciements, inflation, corruption, injustice, mépris, qualité de vie merdique, impossibilité de payer les travailleurs étrangers, et cette peur indéfinissable du lendemain. Et pendant ce temps, certains banquiers et/ou leurs familles s’installent à l’étranger, achètent des appartements à deux millions d’euros, s’offrent des voyages et continuent à vivre dans leurs bulles après avoir bien profité du schéma de Ponzi. Et pendant ce temps, les Libanais crèvent de faim. Mais ça, ils s’en foutent. Comme s’en contrefoutent nos politiciens qui ont pénétré de force au Parlement pour un vote de confiance abject. Rien de ce que le peuple a demandé n’a été entendu. Rien de ses souffrances. Et pendant ce temps, on continue à faire la queue devant les guichets pour mendier 100 ou 200 dollars.
Jusqu’où iront les banques ? Jusqu’à quand continueront-elles à nous voler notre argent ? Jusqu’à quand nous empêcheront-elles de retirer quelques malheureux dollars d’un pays étranger ? Parce que selon elles, il est anormal de vouloir accéder à son argent. Anormal de vouloir faire des virements pour payer des fournisseurs. Anormal de souhaiter inscrire ses enfants à l’université, depuis le 17 octobre. Anormal de devoir payer des traites dans n’importe quel autre pays que le nôtre. Et pendant ce temps, nous sommes entrés dans l’ère de l’arnaque. Les prix flambent, même ceux des productions locales. Comme si un kilo de haricots verts était importé de Suisse et qu’il était tout à fait légitime de le facturer 13 000 LL. Comme s’il était tout à fait réglementaire d’être obligé de payer en dollars ou en cash le mazout ou un réfrigérateur, sa facture de téléphone ou un billet MEA dont les prix sont les plus chers parmi les compagnies d’aviation. Billet que l’on doit régler dans une de leurs agences parce que leur site web est considéré comme étant un site international. Donc, le plafond ayant été atteint en dépenses sur Netflix, Toters (basés à Washington), Amazon, Apple ou n’importe quel site étranger, vaut mieux avoir de jolis billets de 100 000 LL.
Nous sommes pris en otages. Quelle ironie quand on pense au nombre de highjacks qui ont eu lieu dans des banques. Là, ce sont les banques qui nous emprisonnent. Nous empêchant de vivre décemment, de partir et donc de dormir. Les Libanais sont devenus insomniaques et se réveillent en sursaut chaque matin d’une longue journée d’incertitudes. Entre le gouvernement qui veut payer les eurobonds, le FMI qui débarque, le Hezbollah qui attend patiemment que le pays s’écrase en jouant avec nos nerfs, les aounistes qui déclarent qu’on ne leur a rien laissé faire, Hariri qui s’amuse, accompagné de ses acolytes de toujours, les FL et autres PSP. Et pendant ce temps, les Libanais quémandent leur argent. Argent volé par les politiciens et les banques, dans l’indifférence générale.
« Ton argent est placé dans quelle banque ? » « Allo ? Combien de dollars je peux retirer ? » « En voyage, c’était quoi ta limite ? Le mois dernier c’était 2 000, puis ils sont passés à 1 000 puis à 500 et on m’a dit que ce serait désormais 100 sur les cartes de crédit. » Voilà le sujet principal de toutes les conversations en ce...
commentaires (11)
N'importe quel lecteur parmi nous aurait pu écrire un article pareil, tellement il est réel et vécu. Les libanais, tous, en dehors de la caste des banquiers et des politiciens véreux complices dans ce vol du peuple subissent le hold up de l'histoire du pays. Mais qui parmi nous possède la force de changer les choses ? On assiste impuissant à la destruction du pays depuis bien plus de 30 ans , on assiste impuissant à pouvoir réagir efficacement à cette arnaque sans nom. On est victime d'un esprit libanais mauvais, que l'on soit pour ou contre la résistance, pour ou contre l'opposition pour ou contre un axe par rapport à un autre. SOUS LES PAVÉS LA RAGE DE L'ORAGE .
FRIK-A-FRAK
18 h 13, le 23 février 2020