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Société - Crise

Comment les Libanais font-ils désormais pour voyager ?

Les Libanais jonglent avec les restrictions, quitte à amasser, semaine par semaine, les précieux billets verts avant leur départ.

Un voyageur libanais s’apprête à enregistrer ses bagages à l’aéroport Rafic Hariri de Beyrouth. Reuters/ Mohammad Azakir

Comment faire pour planifier un voyage quand on est libanais, vivant au Liban, sans risquer de se retrouver sans le sou à l’étranger ? Avec des plafonds bancaires sur les retraits, notamment en dollars, et autres restrictions, cette question tracasse désormais toute personne qui compte voyager. Pour obtenir les sommes nécessaires à leur séjour à l’étranger, les Libanais sont aujourd’hui contraints de jongler avec ces restrictions bancaires, quitte à se rendre chaque semaine à la banque pendant les mois précédant leur départ. Ceux qui ont déjà des comptes en dollars sont sans nul doute les plus chanceux. Malgré les plafonds sur les retraits (qui varient d’une banque à l’autre), ils peuvent espérer parvenir à rassembler la somme voulue en retirant le montant auquel ils sont autorisés hebdomadairement. Un montant, toutefois, qui diminue de jour en jour. Détenir des dollars, quand on peut y accéder, permet néanmoins d’éviter de passer par la case bureaux de change et de perdre beaucoup d’argent en conversion, alors que le dollar y frôle ces derniers jours les 2 500 livres libanaises.

Hélène, enseignante à la retraite de 65 ans, n’a pas de compte en dollars. Avant de se rendre à Paris, où réside son fils, elle a dû se plier aux règles des bureaux de change. Mais elle regrette déjà de l’avoir fait... « Je n’ai pas de dollars en banque et je touche ma retraite en livres libanaises. J’ai donc acheté des dollars à 2 225 LL, et c’était assez cher. Je n’aurais pas dû voyager. Ce sera peut-être mon dernier voyage. D’autant plus que ma retraite a perdu plus de la moitié de sa valeur avec la crise », soupire-t-elle. Laura, une chercheuse de 45 ans, se retrouve pour sa part dans une situation beaucoup plus délicate. Alors qu’elle doit voyager pendant un mois dans plusieurs pays européens pour des raisons professionnelles, sa banque ne l’a autorisée qu’à disposer de 1 500 $ par mois, à condition de les utiliser uniquement via sa carte de débit. « Je suis en train de demander aux personnes de mon entourage de me prêter des euros. Sinon, je ne sais pas comment je vais faire une fois sur place. Je vais sans doute demander de l’aide à mon frère qui habite à l’étranger, mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir des proches capables d’aider financièrement », confie Laura à L’OLJ. « Je suis certes invitée en Europe par la société pour laquelle je travaille. Mais mon employeur ne couvre pas toutes mes dépenses ni tous mes repas. Heureusement que l’hôtel est pris en charge, sinon ce serait catastrophique. Les banques modifient leurs conditions tous les jours, et c’est ce qui me fait le plus peur », ajoute-t-elle.


(Lire aussi : Face à la pression de l’opinion, la MEA renonce à imposer le dollar pour vendre ses billets)



« Nous sommes assez flexibles, en attendant... »

Du côté des agences de voyages, les restrictions bancaires compliquent aussi le travail. Mais les professionnels du secteur tentent de composer avec la situation. « Depuis la crise, mis à part nos clients les plus fidèles, nous imposons les paiements par carte ou par chèque, en dollars, ou en livres libanaises à un taux qui puisse nous convenir ainsi qu’au client. Nous sommes assez flexibles, en attendant que la situation s’améliore », confie Sandra Anastasiades, de l’agence de voyages Anastasiades, à L’OLJ.

Mme Anastasiades dénonce par ailleurs l’imposition par la compagnie aérienne nationale Middle East Airlines (MEA) de l’achat des billets d’avion en dollars par les agences de voyages, alors que les voyageurs peuvent continuer à les acheter en livres libanaises auprès de la compagnie. « Si les gens achètent les billets directement au bureau de la MEA, le taux est de 1 507 LL pour un dollar. Mais la MEA nous oblige à acheter nous-mêmes en dollars, ce qui fait que nous vendons moins de billets maintenant. Si le secteur fait faillite, 5 000 familles seront affectées », dénonce-t-elle.

Il y a quelques jours, la MEA avait provoqué un vent de panique dans le pays, après avoir annoncé sa décision d’encaisser le prix de ses billets d’avion uniquement en dollars. Des dizaines de voyageurs s’étaient rués le week-end dernier vers le bureau de la compagnie à l’aéroport de Beyrouth afin d’acheter leurs billets avant l’application de la décision. Face au tollé, la compagnie est toutefois revenue sur cette décision 24 heures plus tard.

Autre problème de taille pour les agences de voyages, le règlement des factures auprès des fournisseurs étrangers. « On travaille avec des fournisseurs qui ne sont pas au Liban et qui demandent à être payés par carte. Mais c’est impossible maintenant à cause des plafonds limités. Alors on essaye parfois de faire des transferts », indique Sandra Anastasiades.

Même son de cloche de la part d’une employée d’une grande agence de voyages à Beyrouth. Cette dernière assure, sous couvert d’anonymat, que l’agence « n’arrive pas à payer ses fournisseurs à l’étranger ». « Les hôtels demandent des paiements par transfert, ce qui est compliqué. On essaie de s’arranger avec les banques comme on peut pour régler ce qu’on leur doit », explique-t-elle à L’OLJ.


« On se sent prisonniers dans ce pays »

Lina, 37 ans, doit se rendre prochainement à Bruxelles pour un séminaire professionnel. Son voyage est donc pris en charge par sa compagnie, mais elle doit quand même assurer elle-même ses dépenses au quotidien. « Je reçois une partie de mon salaire en dollars et l’autre en livres libanaises. Ma banque m’autorise à retirer 500$, je me prépare donc dès maintenant. Désormais, il faut s’y prendre plusieurs mois à l’avance pour être sûr d’avoir du liquide en main », lance-t-elle. « Certes, mon employeur paie mon hôtel. Mais si je tombe malade et que je dois acheter des médicaments à la pharmacie, ce n’est pas la compagnie qui va me les payer. Comment faire si je n’ai pas de liquide ? Je vis dans l’inquiétude que ma carte de débit s’arrête tout simplement de fonctionner alors que je suis à l’étranger », confie-t-elle. Ceux qui, comme Roula, une employée de 36 ans dans le domaine des médias, n’ont pas de compte en dollars, vont peut-être devoir renoncer à leurs vacances annuelles. « Je pensais planifier en juillet, comme chaque année, un voyage de quelques jours avec ma sœur. J’ai d’abord pensé au Portugal puis ça m’a semblé cher, surtout que le dollar est de plus en plus inaccessible et que nous ne pouvons plus utiliser de cartes de crédit à l’étranger. J’ai même peur que la situation empire d’ici à l’été, confie à L’Orient-Le Jour Roula qui pense “carrément annuler le voyage”. » « C’est frustrant parce qu’on attend ces quelques jours de vacances chaque année pour décompresser. On se sent de plus en plus asphyxiés et prisonniers dans ce pays », lâche-t-elle.


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commentaires (9)

Heureusement que je suis venue au Liban en Juillet en espérant que ça s'arrangera cette année pour passer mes vacances

Eleni Caridopoulou

16 h 50, le 21 février 2020

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Heureusement que je suis venue au Liban en Juillet en espérant que ça s'arrangera cette année pour passer mes vacances

    Eleni Caridopoulou

    16 h 50, le 21 février 2020

  • De mieux en mieux en 2020 dans ce pays !

    Brunet Odile

    18 h 50, le 20 février 2020

  • On va tous finir à vélo...

    Sybille S. Hneine

    17 h 59, le 20 février 2020

  • La soumission de tout un peuple reste super grave .

    Antoine Sabbagha

    16 h 28, le 20 février 2020

  • QU´elle HONTE d´utiliser une gestion foutu contre son peuple, pas plus

    Azar Claude

    12 h 29, le 20 février 2020

  • Ben, ils prennent l'avion comme tout le monde .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 44, le 20 février 2020

  • C'est hallucinant de voir comment les libanais se résignent à accepter l'inacceptable. Il y en a même qui continuent à croire dans ces voleurs qui les ont dépouillé et ce n'est que le début d'un long chemin de croix semé de grabuges, le pire est devant nous. Continuer à applaudir vos tortionaires et vous serez servi. Nous avons les gouvernants qu'on mérite.

    Sissi zayyat

    10 h 04, le 20 février 2020

  • Au prochaines elections... Reflechissons avant de voter

    Cadige William

    08 h 29, le 20 février 2020

  • TCHERCHAHNA 3ALA TOUL EL KHAT LES LIBANAIS. QUEL MALHEUR !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 42, le 20 février 2020

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