Depuis que le gouvernement Diab a obtenu la confiance du Parlement, les forces politiques sont passées à la vitesse supérieure au niveau du processus de repositionnement engagé avec la mise en place d’un cabinet composé de technocrates choisis cependant par les partis du 8 Mars.
Justifié principalement par l’éclatement politique consécutif à la dégradation financière et économique et aux bouleversements induits par le soulèvement populaire du 17 octobre, ce processus touche en premier lieu les partis directement concernés par le compromis présidentiel, officiellement enterré par le chef du courant du Futur et ancien Premier ministre, Saad Hariri, à la faveur de son discours du 14 février, dans lequel il avait tiré à boulets rouges contre le chef du CPL, Gebran Bassil. Le courant du Futur, et avant lui, les Forces libanaises – les deux principaux acteurs du compromis qui avaient permis de hisser le président Michel Aoun à la tête de la République – de même que le PSP se placent chacun dans l’opposition au cabinet, sans pousser cependant celle-ci au point de former un front commun contre un camp politique, celui du 8 Mars, auquel ils font assumer la responsabilité d’une accélération de l’effondrement économique et financier du pays.
Pas de front unifié d’opposition donc entre ces trois formations – auxquelles les Kataëb auraient pu d’ailleurs s’associer – pour des considérations liées à chacune d’entre elles, quand bien même elles se retrouveraient autour d’une même revendication fondamentale, celle de l’organisation d’élections anticipées.
Souhaitées principalement par la contestation populaire, celles-ci risquent fort d’être au cœur d’une épreuve de force politique au cours des prochains mois. Le CPL, le Hezbollah et Amal restent fortement opposés à une consultation populaire anticipée qui risque de porter un coup à la majorité parlementaire qu’ils constituent, conspuée et sérieusement malmenée par la rue. Si le courant du Futur et le PSP se sont contentés d’appeler à des élections anticipées, pour les Forces libanaises – dont les ministres avaient démissionné trois jours seulement après le début du soulèvement populaire, se conformant ainsi à la volonté populaire – cette échéance est tributaire de ce que le nouveau gouvernement va commencer à réaliser pour freiner l’effondrement.
D’aucuns estiment en effet que l’équipe Diab, handicapée par le parrainage politique qui a favorisé sa naissance, n’aura pas les coudées franches pour prendre tout l’éventail de mesures indispensables pour un début de sauvetage. Les Forces libanaises veulent cependant lui accorder le bénéfice du doute, partant du principe qu’il n’en faudra pas beaucoup à Hassane Diab pour montrer qu’il a – ou n’a pas – les moyens de son ambition.
(Lire aussi : Nasrallah exhorte les partis libanais à mettre les conflits politiques de côté)
« Cinq mesures réalisables rapidement »
Dans une conversation à bâtons rompus hier avec un groupe de journalistes à Meerab, leur chef, Samir Geagea, a procédé à une lecture à froid de la conjoncture locale, tout en adressant des messages politiques dans plusieurs directions, notamment au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait appelé dimanche les parties politiques à mettre de côté leurs conflits pour aider le gouvernement à sortir le pays de la crise aiguë dans laquelle il est empêtré.
Le chef des FL croit fermement que la situation catastrophique dans laquelle le pays se trouve est « réversible » pour peu qu’existe une volonté politique de laisser le cabinet s’attaquer rapidement aux dossiers pouvant donner à l’Occident un premier signal de volonté sérieuse de réformes. Il insiste sur le fait que le Liban dispose de nombreux potentiels lui permettant de se remettre sur pied. Le gouvernement peut d’ores et déjà s’attaquer à cinq dossiers dans la perspective d’une réduction sensible des dépenses, explique M. Geagea qui cite en premier celui, très délicat, d’un lifting d’une administration pléthorique, qui compte une armada de fonctionnaires désignés à leurs postes pour des considérations clientélistes. « Le gouvernement peut régler en premier le dossier des recrutements abusifs documentés », insiste-t-il, en allusion aux 5 300 fonctionnaires embauchés frauduleusement, au mépris de la loi gelant les recrutements au sein de l’administration.
La fermeture des voies de passage frontalières illégales grâce auxquelles la contrebande s’est développée entre le Liban et la Syrie est également indispensable, selon Samir Geagea. « Je ne parle pas des voies de passage considérées stratégiques, dit-il en allusion à celles qui permettent la circulation des combattants et des armes du Hezbollah, mais de celles qui font perdre au Liban entre 100 et 200 millions de dollars par an. » « Tout le monde connaît les réseaux et les circuits », affirme-t-il.
Le chef des FL préconise aussi un changement au niveau de la direction des douanes, « pour une meilleure gestion de ce secteur où le gaspillage et la corruption coûtent à l’État jusqu’à un milliard de dollars par an ». Il juge tout aussi indispensable la constitution, dans les délais les plus brefs, des deux comités de régulation des secteurs de l’électricité et des télécommunications et plaide pour une redynamisation des secteurs productifs tels que la MEA et les télécoms en y associant des compagnies internationales, pour de meilleurs rendements qui permettront à l’État, à terme, de les transformer en société anonymes.Sauf que pour que être réalisables, ces mesures nécessitent une décision politique que les parrains du gouvernement sont en mesure de lui assurer, selon lui. Toutefois, le chef des FL voit dans le discours de Hassan Nasrallah le début d’une « tentative de se dérober à ses responsabilités » à partir du moment où ce dernier considère que les loyalistes et l’opposition doivent aujourd’hui unir leurs forces pour aider le cabinet à démarrer. Il lui renvoie la balle en considérant qu’« un gouvernement monochrome devrait avoir tous les atouts pour réussir », et insiste sur le fait que « c’est Hassan Nasrallah qui peut aujourd’hui aider l’équipe Diab ».
L’assistance du Hezbollah à Diab
Cette assistance passe selon lui par trois phases inévitables. Le chef du Hezbollah devrait, dit-il, lever « la couverture qu’il assure à son allié », le CPL. « Il ne faut pas détruire le pays, rien que pour ménager Gebran Bassil et obtenir l’appui du CPL », lance Samir Geagea, qui rappelle les contestations « timides » des ministres du Hezb sur certains éléments du plan de redressement de l’électricité auxquels eux-mêmes et les FL s’opposaient.
Le Hezbollah, a-t-il enchaîné, devrait se retirer des conflits qui secouent la région, « parce qu’il ne faut pas se leurrer : aucun pays (arabe) ne va aider un État dont une composante est en train de le combattre. Il doit aussi permettre à l’État de récupérer son pouvoir de décision stratégique ». Sans compter les risques que les armes de haute précision détenues par le Hezb et qui suscitent des inquiétudes en Israël, font peser sur le Liban, relève-t-il en substance.Pour Samir Geagea, si le gouvernement n’entreprend aucune des mesures préconisées pour réduire le gaspillage, il sera primordial de réclamer « dans les quelques semaines à venir des élections anticipées, sur base de la loi électorale actuelle ». À ses yeux, celle-ci peut déboucher sur un Parlement « au sein duquel la majorité sera différente ». « Si nous avions pu former une alliance avec le courant du Futur aux dernières législatives (2009), nous aurions pu avoir la majorité parlementaire. Si, aujourd’hui, Saad Hariri poursuit sur la même lancée amorcée le 14 février, il récupérera la majorité », assure-t-il.
Pour le chef des FL, il est surtout nécessaire de ne pas tomber dans le piège de ceux qui réclament une nouvelle loi électorale et dont le seul objectif, dit-il, est de retarder autant que possible la tenue d’un scrutin. Il rejette les propos sur une influence syrienne au Liban, en expliquant que le seul qui pourrait ramener la Syrie au Liban est le Hezbollah « qui n’est pas aujourd’hui près de partager son influence au Liban avec le régime de Damas ». Quant à l’opposition au cabinet, il ressort de ses propos qu’elle sera ponctuelle, en fonction des dossiers soulevés, les parties concernées par ce front ayant, « du moins pour le moment », des vues différentes sur ce que cette opposition devrait être dans l’étape actuelle. « Si Saad Hariri veut cependant concrétiser son discours et se placer dans l’opposition, la seule partie sur laquelle il pourra compter sont les FL », note-t-il, dans un message direct au chef du courant du Futur.
Ce qui est sûr en revanche, c’est que Samir Geagea ne partage pas l’appel de Walid Joumblatt à une démission du chef de l’État. « Il faut que je sache d’abord, en l’occurrence, quelle serait l’alternative possible », commente-t-il.
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commentaires (12)
Le pays se meurt, et eux jouent à la balle...
Gros Gnon
20 h 46, le 18 février 2020