Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, prononçant un discours retransmis devant des partisans dans la banlieue sud de Beyrouth, le 16 février 2020. Photo REUTERS/Aziz Taher
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé dimanche tous les responsables politiques libanais à "mettre leurs conflits de côté" afin de se consacrer à résoudre la crise socio-économique et financière que traverse le pays. Cet appel intervient alors que les relations sont au plus mal entre l'ex-Premier ministre Saad Hariri et le Courant patriotique libre (CPL, allié du Hezbollah), après le violent discours de M. Hariri contre le chef du CPL Gebran Bassil, qu'il a qualifié vendredi de "président de l'ombre".
Lors d'un discours fleuve, retransmis en direct à l'occasion d'une cérémonie en hommage aux "martyrs de la résistance", Hassan Nasrallah a appelé les Libanais à ne pas qualifier le gouvernement de Hassane Diab de "cabinet du Hezbollah", estimant que cela "porte préjudice au Liban". Revenant par ailleurs longuement sur le plan de paix de l'administration américaine, il a appelé à "la résistance totale" contre Washington et Israël et au boycott des produits américains.
"Cabinet du Hezbollah"
Evoquant la situation "très très difficile du Liban", le dignitaire chiite a souligné que "les gens s'inquiètent surtout de l'avenir de leurs dépôts" dans les banques libanaises, tout comme "de l'augmentation de la cherté de la vie, de la dévaluation de la livre, du chômage, des suppressions d'emplois". "Les gens ont très peur des répercussions de la crise économique et financière sur la situation sécuritaire du pays, sur une augmentation des vols, notamment, ou sur l'incapacité de l'Etat à assurer des services aux citoyens, parce que lorsqu'un Etat met en place une politique d'austérité, tous ses services sont impactés", a-t-il indiqué.
"Cette situation doit être résolue et nous sommes tous concernés par la recherche de solutions", a-t-il ajouté, soulignant avoir appelé, depuis le 17 octobre, à "trouver des moyens différents" de résoudre la crise. Il a affirmé que le Hezbollah "met en avant les intérêts du peuple, quels que soient les sacrifices demandés", sans indiquer explicitement s'il était pour ou contre le recours au Fonds Monétaire International. "Nous avons accordé notre confiance au gouvernement et nous espérons qu'il réussira sa mission", a dit le chef du parti pro-iranien, saluant "le courage du cabinet actuel" pour assumer la responsabilité d'une situation délicate. "Nous ne le laisserons pas tomber", a-t-il ajouté, appelant à séparer "les problèmes économiques et financiers des divisions politiques". "Arrêtons de lancer des accusations et donnons une chance raisonnable au gouvernement, afin qu'il empêche l'effondrement" du pays, a déclaré Hassan Nasrallah, qui a appelé les formations politiques à "aider" à sortir de la crise. "Laissons les règlements de compte de côté", a-t-il exhorté, en référence implicite au discours prononcé vendredi par Saad Hariri. "A tous ceux qui disent qu'ils veulent donner une chance au cabinet, alors laissez-le travailler !", a-t-il exhorté.
Il a par ailleurs critiqué "ceux qui portent atteinte au Liban vis-à-vis de l'étranger en appelant le gouvernement actuel de "cabinet du Hezbollah". "Cette dénomination est erronée et porte préjudice au pays", a-t-il indiqué. Il a également accusé de "trahison nationale" tous ceux qui "crient au désespoir". "En faisant des sacrifices, les Libanais peuvent résoudre la crise", a-t-il déclaré.
"Deux grands crimes"
L'événement au cours duquel s'est exprimé le dignitaire chiite était consacré à la mémoire de Imad Moughniyé, haut responsable militaire du Hezbollah tué en 2008 à Damas, l’ancien chef du parti chiite Abbas Moussaoui, assassiné en 1992 et le cheikh Ragheb Harb, responsable du Hezbollah, assassiné par Israël en 1984. Cette cérémonie coïncide également avec le quarantième jour suivant la mort du commandant iranien Kassem Soleimani et le leader du Hachd el-Chaabi irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, tous les deux tués dans une frappe américaine en Irak en janvier. Les Iraniens avaient riposté à cet assassinat avec une pluie de missiles sur une base irakienne où sont postés des soldats américains, en blessant une centaine.
Le chef du Hezbollah a dans ce contexte appelé les Irakiens à "préserver et renforcer le Hach el-Chaabi", affirmant que les Etats-Unis ne voulaient pas de ces milices pro-iraniennes. Il a estimé que l'assassinat de Soleimani est "un des deux graves crimes" commis dernièrement par Washington dans la région, et qui mettent l'axe de la résistance "devant un nouveau défi". Le second crime américain étant le plan de paix présenté par le président Donald Trump pour le Proche-Orient.
"Le deal du siècle n'est pas une appellation correcte, vu qu'il a été préparé avec une seule des parties. Les Palestiniens ne savaient même pas ce qui se trouvait dans le texte avant la conférence de presse de Donald Trump", a critiqué Hassan Nasrallah, dénonçant "un projet israélien visant à annihiler de manière injuste la cause palestinienne et les droits des arabes dans la région". "On peut dire que ce plan est mort-né, mais il ne faut pas oublier que ses instigateurs sont convaincus" de cette initiative et "vont essayer de la mettre en oeuvre par tous les moyens possibles", a-t-il déclaré. Il a toutefois souligné que ce plan n'est pas "une fatalité", affirmant que tous les plans préparés par les administrations américaines précédentes avaient échoué.
Délimitation des frontières libano-israéliennes
Le dignitaire a indiqué n'avoir vu "aucune prise de position en faveur" du plan de paix, à l'exception de celles de Trump et Benjamin Netanayhu. Il a dans ce cadre salué le consensus des Libanais, "des organisations officielles, aux partis, en passant par les forces de sécurité" concernant le refus de ce plan, "parce que les Libanais ont compris le danger que représente ce plan pour la région et le pays". Il a notamment mentionné, parmi ces dangers, "l'implantation" des réfugiés et le fait que "l'esprit" de ce plan risque d'être déterminant dans une future délimitation des frontières terrestres et maritimes entre le Liban et Israël, ce qui aura un impact sur l'exploitation des ressources pétrolières, selon lui.
Le chef du Hezbollah a encore mis en garde contre la volonté d'"accepter toute aide financière" prévue dans le plan de paix en raison de la crise financière et économique. Critiquant la prise de position des pays arabes vis-à-vis du plan, il a affirmé que "dire que le plan peut être étudié, c'est commencer à se soumettre". "Il faut lutter sérieusement" contre l'initiative américaine pour le Proche-Orient, et cela demande "une prise de position ferme et un des actions continues", a-t-il appelé.
Le "deal du siècle" prévoit l'annexion par Israël des colonies implantées en Cisjordanie occupée depuis 1967, en particulier dans la vallée du Jourdain. Selon le plan, celle-ci doit devenir la frontière orientale d'Israël. Le plan américain qualifie Jérusalem de "capitale indivisible d'Israël" et propose de créer une capitale pour l’État palestinien cantonnée dans des faubourgs de Jérusalem-Est. Il exclut par ailleurs tout retour des réfugiés dans les territoires palestiniens, un point particulièrement dénoncé par les responsables libanais. La question de la présence des Palestiniens a toujours été un sujet délicat au Liban, accentuant notamment les clivages durant la guerre civile qui a ravagé le pays entre 1975 et 1990. Un sentiment anti-palestinien perdure parfois dans le pays et nombreux sont ceux qui refusent une naturalisation des ressortissants palestiniens ayant fui leur terre d'origine après la création en 1948 de l’État d'Israël.
Le Liban a déjà annoncé son rejet de principe de l'initiative de paix de M. Trump, en réaffirmant sa position en faveur de l’initiative arabe de paix de 2002, laquelle prévoit la reconnaissance d’Israël par les Arabes en échange d’un État palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale.
Boycott des produits américains
""Nous sommes aujourd'hui devant une nouvelle phase pour la région, devant une nouvelle confrontation qui est inévitable parce que l'autre partie en présence, les Etats-Unis, veulent entrer en guerre avec ceux qui refusent de se soumettre", a encore déclaré le chef du Hezbollah. "Ceux qui veulent empêcher que leurs droits soient confisqués n'ont pas d'autre choix qu'une résistance complète et populaire, dans tous les domaines : culturel, économique, politique et judiciaire". "Nous devons faire face aux Etats-Unis de la même manière qu'eux : lorsqu'ils ont besoin d'une guerre sur le terrain, ils la font, lorsqu'ils veulent se battre par proxy, ils le font, lorsqu'ils ont besoin d'assassiner quelqu'un ou de faire pression financièrement, économiquement ou devant la justice, ils le font". "J'invite donc les oulémas, les organisations et les peuples à réfléchir aux moyens et plans à mettre en oeuvre pour entrer dans une nouvelle phase de résistance exhaustive, notamment via des affaires judiciaires", a-t-il invité.
Il a accusé Washington de faire pression sur le gouvernement libanais et la justice concernant l'affaire Fakhoury, "en menaçant de sanctions". "Pourquoi n'avons pas nous aussi recours à des sanctions et ne boycottons-nous pas les produits américains ? Ça fait partie du combat à mener", a-t-il déclaré.
commentaires (12)
Mr Nassrallah veut laisser les 'reglements de compte' entre politiciens mais comment peut on ne pas avoir des redditions de compte pour ceux qui ont conduit l'etat a la faillite ? les pays etrangers ne sont pas dupes ils savent que ce gouvernement est proche de Hezbollah et n'a aucune intention a entreprendre des reformes serieuses ce qui fait que l'aide attendue est simplement' wishful thinking '.
EL KHALIL ABDALLAH
11 h 01, le 17 février 2020