Mazen Hoteit, Ghida Frangié et Farouk Moghrabi, lors de leur conférence de presse. Photo C.A.
Sanctionner des manifestants interpellés et détenus dans des conditions souvent brutales et indignes, la justice libanaise s’y applique consciencieusement, mais punir des agents et officiers responsables de ces bavures, à cela la justice ne semble pas encline. Alors que les arrestations brutales ont atteint un nombre étonnant durant les quatre mois de contestations, aucun agent de l’ordre coupable de violences n’a pour autant été inquiété par les parquets généraux et les juges d’instruction.
C’est du moins ce qui ressort de la conférence de presse organisée hier au Palais de justice par le Comité d’avocats volontaires pour la défense des droits des manifestants. Trois membres du comité, Ghida Frangié, Farouk Moghrabi et Mazen Hoteit, ont sans ambages pointé du doigt la partialité de procureurs généraux et juges d’instruction en faveur de la classe politique et au détriment de citoyens furieux de la situation délétère à laquelle a conduit la corruption de leurs dirigeants. Sur fond d’images insoutenables diffusées à travers un écran géant et illustrant les violences policières et blessures graves subies par des activistes, les trois avocats sont partis d’un tableau de chiffres officieux faisant état de 906 personnes appréhendées (dont 49 mineurs) et 553 torturées (dont 13 mineurs), alors que les agents de sécurité concernés jouissent d’une impunité flagrante. D’autant qu’à ce jour, aucun d’eux n’a fait l’objet d’une détention, encore moins d’une arrestation ou d’une convocation, ont-ils affirmé.
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« Mandatés par le bâtonnier des avocats de Beyrouth, Melhem Khalaf, nous avons déposé le 18 décembre devant le parquet de cassation 15 plaintes liées à la torture de 17 militants ; nous préparons de nombreux autres dossiers, étant convaincus que la liberté de manifester est fondamentale, que le rôle des services de sécurité est de protéger les manifestants et que la mission des parquets est de préserver les droits de la société plutôt que le régime politique », ont affirmé les intervenants tour à tour, notant que « l’objectif des violences est de dissuader les gens de manifester, pour parvenir à saper l’esprit de la révolution ».
Ghida Frangié a détaillé les dommages corporels et moraux infligés tant par les Forces de sécurité intérieure (60 % des violences), que par l’armée (18,70 %), et la police du Parlement (7,80 %). Elle a évoqué « des blessures à la tête et dans toutes les parties du corps, des atteintes aux sens de l’ouïe et de la vue, et des pertes de mémoire ». « Lancer des grenades lacrymogènes, tirer à faible distance et au niveau de la tête des balles en caoutchouc, se ruer avec des rangers aux pieds sur des corps à terre, sont des moyens utilisés par les FSI qui ne sont ni nécessaires ni proportionnels aux actions menées par les militants », a estimé Me Frangié, ne mettant pas en reste les erreurs de soldats de l’armée. « Dans les lieux de détention à Antélias (Metn) et Sarba (Kesrouan), des militaires ont interdit aux manifestants de contacter leurs proches les premiers jours, ce qui correspond à un délit de disparition forcée. »
Quant à la police du Parlement, l’intervenante a affirmé qu’à la mi-décembre « des agents ont attiré des manifestants dans l’enceinte du Parlement, leur ont pris leurs téléphones et leur argent, leur ont fait subir des sévices, comme les plaquer au mur, les poignarder et les écraser même si d’aucuns avaient perdu connaissance. ».
Le commandement de la police du Parlement n’a pas tardé à réfuter les accusations de Me Frangié, soulignant dans un communiqué que cette police n’est « en aucune façon » intervenue dans le mouvement de contestation sauf pour remplir sa mission de « protéger le siège du Parlement ». « Pourquoi près de deux mois après, lance-t-on des calomnies ? » interroge le texte, soulignant que « le commandement se réserve le droit de traduire en justice les auteurs des calomnies ».
Pour en revenir à Me Frangié, elle a déploré « l’inexistence d’enquêtes transparentes et publiques », jugeant que « les parquets sont des outils du régime ».
Farouk Moghrabi a pour sa part indiqué qu’une semaine après le dépôt des quinze plaintes, le parquet de cassation les a transmises au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Peter Germanos. Démarche qui, selon lui, constitue une violation de la loi en vertu de laquelle un crime pénal commis par un agent de la police judiciaire relève de la compétence des tribunaux civils et non militaires.
(Lire aussi : Le harcèlement judiciaire des activistes dénoncé par Human Rights Watch)
Classés sans suite
Une autre enfreinte à la loi aurait été commise, cette fois par la commissaire adjointe du gouvernement près le tribunal militaire, Mona Hankir, qui au lieu d’enquêter elle-même ou de charger pour cela un juge d’instruction a transféré le 30 décembre lesdites plaintes aux FSI et aux services de renseignements de l’armée afin de procéder aux investigations nécessaires. « Est-il concevable qu’un justiciable soit convoqué devant un service de sécurité contre lequel il a lui-même porté plainte pour l’avoir torturé ? » s’est indigné Me Moghrabi, soulignant que suite à une requête des avocats membres du comité de soutien aux volontaires, le procureur général près la Cour de cassation a alors ordonné le retour des dossiers à Mme Hankir. Celle-ci les aurait classés sans suite, au motif que les plaignants ont refusé de faire leurs dépositions devant les services de sécurité, comme si, note l’avocat, « les plaignants sont fautifs de ne s’être pas conformés à sa décision illégale ». « De telles violations de la loi ébranlent la confiance du citoyen à l’égard des services de sécurité », a fait observer l’avocat.
Son confrère Mazen Hoteit a quant à lui estimé que le pouvoir judiciaire se plie à la volonté des politiques. « La justice fait cause commune avec les autorités en s’abstenant d’ouvrir des enquêtes, au lieu de se conformer au principe de l’indépendance judiciaire », a-t-il accusé, soulignant qu’elle « couvre les débordements de militaires qui agressent des jeunes parce qu’ils ont déchiré des portraits de personnalités politiques, alors qu’elle ne fait rien contre ces personnalités qui ont brisé le rêve de toute une jeunesse ».
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commentaires (2)
Mais la justice n' a pas convoque non plus les personnes qui à visage ouvert on violemment frappe des manifestants, et dont l' appartenance politique est bien connue...
LeRougeEtLeNoir
14 h 41, le 07 février 2020