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Nos Lecteurs ont la Parole - Dr Christian HOMSY

Le temps de l’action

Depuis trois mois maintenant, ma famille et moi suivons avec des hauts et des bas les « évènements » de notre berceau historique. Un vent d’optimisme a soufflé dès le début de la thawra et continue aujourd’hui à susciter un réel espoir.

J’ai quitté mon pays en 1982, quelques jours avant l’assassinat de Bachir Gemayel, partant avec l’immense satisfaction de voir mon pays se diriger vers ce pourquoi nous nous étions battus depuis 1975. La douche froide du 14 septembre a éteint cette flamme d’espoir portée par un homme avec une vision rassembleuse et moderniste d’un État régalien. Nous sommes alors rentrés dans une période de glaciation.

Bien sûr, tout n’était pas rose avant, ni la répartition des richesses, ni la couverture sociale, ni l’indépendance de l’État et de la justice. Bien sûr, nos frères chiites étaient une communauté délaissée dans son ensemble. Néanmoins, nous avions de l’électricité 24h/24, de l’eau potable, l’environnement était préservé, le Liban était un exemple dans le monde environnant, et au-delà, il brillait par ses intellectuels, ses médecins, ses hôpitaux, ses universités, sa presse. Le dollar s’échangeait à 3,5 livres libanaises.

Qu’en reste-t-il, 50 ans plus tard ?

À force de slogans, de rattachement aux axes, de guerres successives, la communauté chiite est tout autant déshéritée, à laquelle s’ajoute le déshéritement du reste de la société, une évolution encore plus prononcée vers le clanisme et le tribalisme, un gouvernement failli, des services publics défaillants, une électricité… alternative… de l’eau polluée, un environnement laissé à l’appétit des spéculateurs et une société désemparée et sans repère. Le dollar s’échange à 2 500 LL. Nous avons perdu le droit de vote à l’ONU, la place financière centrale des pays arabes s’est déplacée vers Dubaï qui n’était à l’époque qu’un désert.

Qu’avons-nous fait ? Qu’est-ce que notre génération a fait de notre pays ? Nous avons voté pour les monstres qui nous gouvernent, comme des moutons de Panurge, nous avons profité du système, chacun à notre niveau, en s’accommodant pas à pas, et nous avons glissé vers l’abîme. Nous avons accepté des miettes, pendant que nos gouvernants se partageaient le gâteau, tout reconnaissants que nous étions de baiser la main qui nous étranglait, en nous laissant juste assez d’air pour servir leurs desseins.

Nous n’avons plus voix au chapitre. Quand la thawra dit « Kellon, ya3ni kellon », ce n’est pas seulement nos politiciens, c’est nous, notre génération, et ils ont raison.

Ce qui nous reste à apporter avec humilité, c’est, au-delà d’une repentance, de partager avec nos filles et nos fils l’expérience de nos erreurs. La plus grande de celles-ci étant la négation du projet national et le repli identitaire communautaire.

Nous devons recréer une nation en construisant sur ce que nous avons de plus fort et de plus beau, et repartir d’une page blanche parce que les brouillons de ma génération se sont avérés être des impasses.

Il est temps que la thawra s’organise et présente un projet qui va au-delà de la contestation. Au-delà d’être contre tout, le temps est venu de construire, de proposer une alternative.

Proposons une nouvelle Constitution qui devra servir de feuille de route à nos nouveaux politiques. Une Constitution moderne, intégrant les droits de l’homme comme projet central, la dignité, le droit à la santé, à l’éducation, la liberté d’expression, une société du savoir, de la culture, un nouveau phare de l’Orient. Comment, je ne sais pas, et notre génération devrait être la dernière à donner des leçons, mais créons une ambition commune, une ambition fondatrice nationale de celle qui construise des nations.

De Belgique, un autre pays chantre du surréalisme, j’appelle la thawra à la formation d’une Constituante, civile, ni partisane ni confessionnelle. Nous avons tenté ici l’expérience du G1000, www.g1000.org, c’est une manière parmi d’autres, mais vous, les jeunes, êtes l’espoir de cette nation. Si ça peut être utile, appelez ceux d’entre nous qui ont su se démarquer de la déliquescence ; si leur clairvoyance peut vous aider, notre pays regorge de personnes intègres. Amin Maalouf, Ibrahim Chamseddine, Wajdi Mouawad, Nadine Labaki, Pierre Issa et tant d’autres, mais gardez la main sur le projet, construisez votre projet, votre nation.

Belgique

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Depuis trois mois maintenant, ma famille et moi suivons avec des hauts et des bas les « évènements » de notre berceau historique. Un vent d’optimisme a soufflé dès le début de la thawra et continue aujourd’hui à susciter un réel espoir.J’ai quitté mon pays en 1982, quelques jours avant l’assassinat de Bachir Gemayel, partant avec l’immense satisfaction de voir mon...

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