Saad Hariri s’entretenant avec le général Imad Osmane. Photo Dalati et Nohra
Depuis sa démission sous l’effet de la pression du mouvement de contestation, le 29 octobre dernier, c’est un Saad Hariri déterminé à ne plus faire de concessions et de compromis qui a émergé sur la scène politique, définissant certaines lignes rouges face à ses détracteurs.
En rendant son tablier, M. Hariri a rompu avec le discours consensuel qu’il avait adopté depuis la mise sur pied du compromis politique élargi d’octobre 2016. Aujourd’hui, le Premier ministre sortant semble déterminé à faire face à ses détracteurs, notamment le président de la République Michel Aoun et le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil.
C’est ainsi que l’on pourrait interpréter ses propos particulièrement musclés tenus ces derniers jours. Après avoir condamné les actes de vandalisme perpétrés contre les banques du quartier commerçant de Hamra, M. Hariri a reçu le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé. Lors d’une conversation à bâtons rompus avec les journalistes à l’issue de la réunion, le leader du courant du Futur n’a pas mâché ses mots : « Le gouverneur de la BDL bénéficie d’une immunité et personne ne peut le destituer. » Il s’est ainsi inscrit en faux contre les accusations portées par certains contestataires qui font assumer à M. Salamé et au secteur bancaire dans son ensemble la responsabilité de la crise socio-économique qui secoue le pays depuis des mois.
Mais il serait peu rigoureux de cerner ces déclarations à la seule dimension liée à la grogne populaire, dans la mesure où Saad Hariri décochait ainsi ses flèches en direction du Hezbollah et de Gebran Bassil, qui avaient toujours critiqué l’action du gouverneur de la BDL, à la lumière notamment des sévères sanctions américaines infligées au parti chiite.
Poursuivant sur la même ligne, il a ouvertement pris fait et cause hier pour le directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Imad Osmane, au lendemain des échauffourées entre des manifestants et la brigade antiémeute des FSI à Beyrouth, marquées par une violence inédite de la part des forces de l’ordre à l’encontre des journalistes sur place. Après avoir « présenté (ses) excuses » à ces derniers, le général Osmane s’est rendu à la Maison du Centre pour y rencontrer M. Hariri.
À l’issue d’une réunion avec le ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil et le gouverneur de la BDL, le chef du gouvernement sortant a mis en garde contre un éventuel limogeage de Imad Osmane, perçu comme gravitant dans l’orbite du courant du Futur. « Qu’ils osent. On ne m’aura pas facilement », a-t-il tonné dans ce qui sonne comme une pique en direction du cabinet Diab, avant même sa genèse. Et M. Hariri d’estimer que « ceux qui ont combattu le haririsme politique ont mené le pays à sa situation actuelle ». Une claire allusion au tandem Baabda-CPL. Il avait d’ailleurs accusé le parti aouniste d’entraver l’action de son cabinet, notamment en matière d’électricité.
(Lire aussi : Le cèdre et le néant, le billet de Gaby NASR)
Le modus vivendi avec le Hezbollah
C’est surtout sous l’angle de son timing que ce comportement de M. Hariri est à analyser. Il intervient à l’heure où le Premier ministre désigné Hassane Diab poursuit ses ultimes efforts pour former la nouvelle équipe ministérielle. Une mouture dans le cadre de laquelle le ministère de l’Intérieur ne sera naturellement pas attribué à un proche du parti haririen. C’est en tout cas ainsi qu’un proche de la Maison du Centre interprète pour L’Orient-Le Jour les dernières prises de position du Premier ministre sortant. « M. Hariri anticipe la mise sur pied du cabinet, pour tenter d’affirmer qu’il peut conserver son poids politique et populaire, même s’il n’est plus au pouvoir. Et il s’agit d’un message politique clair au régime Aoun. »
Selon ce proche de la Maison du Centre, les critiques de Saad Hariri envers Michel Aoun et Gebran Bassil interviennent au lendemain de la réunion élargie du courant du Futur, tenue mardi en présence des anciens ministres et députés de la formation. « Une façon pour M. Hariri de battre le rappel de ses troupes dans une probable tentative de se ranger dans le camp de l’opposition », analyse-t-il, avant de confier que « Saad Hariri a reconnu que le compromis de 2016 a échoué, imputant la responsabilité de cet échec à Michel Aoun et Gebran Bassil ». Ce proche de M. Hariri s’empresse toutefois de préciser qu’en dépit de l’échec du compromis de 2016, « Saad Hariri n’entend pas entrer en confrontation avec le Hezbollah ». Il maintient donc le modus vivendi atteint avec le parti chiite.
Le leader du courant du Futur s’apprête donc à s’opposer au pouvoir en place, à l’heure où ses rapports avec ses alliés traditionnels, notamment les Forces libanaises et le Parti socialiste progressiste, sont en dents de scie. Sur ce plan, ce proche de la Maison du Centre estime que M. Hariri est « allé trop loin dans son partenariat avec Gebran Bassil, d’où la détérioration de ses relations avec Walid Joumblatt et Samir Geagea. Il faut donc attendre la prochaine phase ».
En attendant, M. Hariri ne semble plus vouloir rester les bras croisés face aux critiques émanant des figures gravitant dans l’orbite de la moumanaa. Il a donc réagi à un tweet de Jamil Sayed, député de Baalbeck-Hermel, qui avait critiqué ses propos concernant Riad Salamé. Sur son compte Twitter, le Premier ministre sortant a invité l’ex-directeur de la Sûreté générale à « se taire », l’accusant de mentir et de se tenir « avec son ami, derrière un trafic d’explosifs », dans une allusion à l’affaire Michel Samaha.
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commentaires (14)
Doucement, Monsieur le chef du gouvernement , vous pouvez critiquer autant que vous voulez. Mais, n'oubliez pas que durant trois ans vous avez été acquiescent avec eux, ou plutôt vous preniez un profil bas mal perçu par beaucoup de vos compatriotes.
Esber
17 h 20, le 17 janvier 2020