Le président libanais, Michel Aoun, a affirmé mardi que "de nouveaux obstacles" avaient empêché la formation du gouvernement dont la naissance avait été prévue la semaine dernière, dénonçant par ailleurs des "tentatives de récupération" du mouvement de contestation que connaît le Liban depuis le 17 octobre. L’allocution du chef de l'Etat intervient le jour où, les Libanais sont retournés dans la rue, sous le slogan "la semaine de la colère", pour protester contre le retard mis dans la formation d'un nouveau gouvernement et la crise économique, au 90ème jour de ce mouvement de révolte sans précédent.
Alors qu'il recevait à Baabda les chefs de mission des ambassades et des organisations internationales accréditées au Liban, M. Aoun a commencé par effectuer un tour d'horizon des crises "internationales et internes" qui ont, selon lui, provoqué "la pire crise économique, financière et sociale qui ait jamais frappé le Liban". Il a notamment évoqué "les guerres dans les pays voisins", "le nombre de déplacés" et "la corruption et le gaspillage qui minent l’administration depuis des décennies".
Le président Aoun a par ailleurs regretté que malgré le fait que "des projets de modernisation des infrastructures ont été approuvés, qui devaient être financés par les donateurs de la Conférence CEDRE, tous ces projets sont restés au point mort". "Je n'ai pas ménagé mes efforts pour m'attaquer aux problèmes économiques, mais cela n’a pas donné les résultats espérés car la situation était particulièrement critique et les obstacles, nombreux", a-t-il concédé, soulignant que c'est cette "pression économique" qui a poussé les Libanais à descendre dans la rue "pour exiger des solutions légitimes face aux difficultés de la vie et demander la fin de la corruption".
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"Radicalisation systématique"
Saluant tout d'abord le fait que ces manifestations "ont constitué une réelle opportunité pour réaliser les réformes souhaitées car elles ont ébranlé les murs institués par le communautarisme et la classe politique", il a condamné "les tentatives de récupération par certains partis politiques". Ces formations "ont dispersé les revendications et les ont noyées dans une radicalisation systématique. Michel Aoun a encore dénoncé "des rumeurs lancées de façon préméditée par certains médias et manifestants et qui ont empêché de cibler les véritables corrompus". "Je compte sur les Libanais, qu’ils soient dans les rues ou dans leurs foyers, pour persévérer dans la lutte contre la corruption", a déclaré le chef de l'Etat.
Il a par ailleurs salué le rôle de l'armée et des forces de l'ordre face à ces mouvements de contestation qui ont pu "assuré la sécurité des manifestants tout en préservant leur liberté d'expression et empêché les blocages des routes pour permettre aux citoyens de se déplacer et se rendre à leur travail et leur domicile". Michel Aoun a toutefois regretté une "augmentation de la criminalité sous toutes ses formes", due à la crise économique.
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"Nouveaux obstacles"
En ce qui concerne le gouvernement, le président de la République a indiqué que "de nouveaux obstacles ont empêché la formation du cabinet qui devait voir le jour la semaine dernière". "Nous sommes conscients que tout retard est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre, mais la formation d’un tel gouvernement nécessite le choix de personnes qualifiées, ayant la confiance du peuple, mais aussi celle du Parlement, ce qui nécessite du temps", s'est-il justifié. Et d'arguer que le gouvernement que tente de mettre sur pied le Premier ministre désigné, Hassane Diab devra "faire face à la fois à la crise économique et financière mais aussi aux grands défis auxquels le Liban et toute la région sont confrontés".
Depuis près de trois mois, les manifestants libanais sont mobilisés pour réclamer la chute de toute la classe dirigeante, accusée de corruption et d'incompétence. Après une baisse de l'intensité de la contestation au cours des dernières semaines, celle-ci a repris de plus belle ces derniers jours à l'occasion d'une "semaine de la colère" visant à faire pression sur les autorités pour la formation rapide d'un gouvernement de technocrates indépendants. La pression de la rue avait fait tomber, fin octobre, le gouvernement de Saad Hariri. Désigné près de deux mois plus tard, Hassane Diab tente de former une équipe répondant, au moins d'apparence, aux exigences de la rue. Il doit toutefois faire face, d'un côté, au rejet des manifestants et aux revendications de ses "parrains", notamment le chef du Parlement, Nabih Berry, qui réclame un cabinet techno-politique.
"Indifférence internationale"
Le chef de l'Etat a en outre estimé, en ce qui concerne la crise des réfugiés que "la communauté internationale n'a pas réellement assumé ses responsabilités, ni en facilitant leur retour, ni en atténuant l'impact financier qui pèse sur notre pays". Il a reproché à la communauté internationale de n'avoir que "complimenté le rôle humanitaire du Liban et lié le retour des déplacés à une solution politique". "Nous ne comprenons pas les pressions qui entravent un tel retour", a-t-il poursuivi, faisant état de "grands points d’interrogation face à l'indifférence internationale" à ce sujet.
Rappelant que le Liban commémore cette année le premier centenaire de la proclamation de "l'État du Grand Liban", Michel Aoun a estimé que ce centenaire "sera l’occasion, malgré tout, de redécouvrir le rôle et le statut du Liban et donnera l’opportunité à tous les Libanais de construire une patrie digne des plus hautes valeurs humaines".
Allocution de Spiteri
Avant que le président ne prenne la parole, le nonce apostolique et doyen du corps diplomatique Mgr Joseph Spiteri a prononcé un discours, appelant à "un dialogue sincère et respectueux entre les leaders politiques eux-mêmes et tous ceux qui demandent un changement réel".
"Durant ces derniers trois mois de protestations, nous avons été positivement surpris par l’appel sincère des jeunes, dans l’ensemble du Liban, à un renouveau éthique de l’Etat. Les jeunes rejoints par leurs aînés et animés par un esprit fondamental de solidarité, se sont ralliés autour du drapeau libanais réclamant le respect de leurs inaliénables droits. Ils demandent aussi des réformes politiques, sociales et économiques. Ils sont contre la corruption. Ils réclament et méritent un avenir meilleur", a-t-il dit.
Et de poursuivre : "La communauté internationale, ici représentée par les chefs de mission du corps diplomatique et des organisations Internationales, insiste sur la nécessité d’un dialogue sincère et respectueux entre les leaders politiques eux-mêmes ainsi qu’avec tous ceux qui demandent un changement réel. Le dialogue ne peut exclure personne : ni ceux qui sont en faveur, ni ceux qui sont contre, ni ceux qui ne désirent pas prendre partie. Chaque citoyen a le droit d’être entendu".
Mgr Spiteri a par la suite souhaité la formation d'un cabinet "viable qui puisse mettre en place des réformes urgentes et nécessaires et regagner la confiance de tous les citoyens".
Et de conclure : "Les célébrations pour le premier centenaire du Grand Liban semblent avoir été éclipsées par la thawra (révolte) libanaise, par la crise financière et économique et par les problèmes liés à la formation d’un nouveau gouvernement. Ce n’est pas la première fois que le Liban passe par des temps très difficiles (...) Les Libanaises et les Libanais continueront à en écrire de nouveaux chapitres en tant que citoyens libres, d’un pays libre".
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commentaires (13)
SI J,ETAIS CHEF D,ETAT J,AURAIS DEMISSIONNE !
LA LIBRE EXPRESSION
22 h 05, le 14 janvier 2020