Peut-on, ou faudrait-il rationaliser un mouvement de soulèvement populaire lorsqu’on en vient aux pratiques quotidiennes ? La question mérite sans conteste réflexion car les enjeux dans de telles situations sont souvent cruciaux pour l’avenir d’un peuple. Dans le cas spécifique du Liban, une telle interrogation se pose avec acuité à la lumière des développements que l’on observe régulièrement dans les lieux publics depuis quelques semaines.
En 2015, le pays avait connu un vaste mouvement de contestation sous l’effet de la tristement célèbre crise des déchets. L’objectif à l’époque était de forcer la main au gouvernement afin de mettre en place une solution durable et écologique au problématique traitement des ordures ménagères. Mais rapidement, les revendications soulevées dans la rue par les contestataires ont été dans tous les sens. Du changement radical des fondements du système politique à la chute du gouvernement, en passant par le sabordage du Parlement et l’organisation d’élections législatives sur base de propositions de lois électorales les plus fantaisistes, etc. : tout le monde s’en donnait à cœur joie… Tant et si bien qu’au final, le problème de base s’est dilué dans les postures populistes des uns et des autres, et le soulèvement a vite fait de déboucher sur un déplorable feu de paille.
Le risque d’un déviationnisme semblable est aujourd’hui perceptible dans l’évolution de l’intifada enclenchée le 17 octobre dernier. Le mouvement avait bien commencé les premières semaines avec un ciblage médiatique axé sur la démission du gouvernement, leitmotiv repris à l’unisson durant près de deux semaines sur toutes les places publiques et suivi (aussitôt cette première étape franchie) de l’appel à l’organisation de consultations parlementaires pour la désignation d’un Premier ministre en vue de la formation d’un gouvernement d’indépendants – entendre, pour lever toute équivoque, un cabinet regroupant des ministres qui refuseraient de faire le jeu de ceux que le président Fouad Chéhab appelait les « fromagistes » (ou les rapaces qui s’acharnent aveuglément sur une proie).
À l’ombre de la situation présente dans laquelle se débattent désespérément les Libanais, la mise en place d’une équipe ministérielle regroupant des experts et des technocrates libres de leurs décisions doit être un impératif non négociable et un objectif prioritaire absolu. Tel est l’enjeu que devrait fixer dans le contexte actuel le mouvement de soulèvement. Se tromper aujourd’hui de bataille risque d’être fatal. Afin de ne pas compromettre d’emblée la mission salvatrice du gouvernement en gestation, il est plus que jamais nécessaire de définir clairement, et en toute lucidité, l’adversaire. Celui-ci n’est nullement l’employé de banque, le fonctionnaire d’Ogero et d’Électricité du Liban ou le cadre d’un opérateur de téléphonie mobile. Il serait tout aussi erroné de considérer que l’adversaire à abattre est les directeurs ou même les propriétaires de banques. Le terrain de confrontation se situe sur un tout autre plan. Le ciblage médiatique et les slogans dans les différentes places publiques, à Beyrouth et dans les régions périphériques, doivent se concentrer exclusivement, pour le moment, sur la formation de ce gouvernement de non-fromagistes dont la mission prioritaire doit être d’empêcher que le navire ne coule.
L’heure n’est pas (du moins pas encore) aux réformes politiques, au changement du système, à la dénonciation d’Ogero, d’EDL, du Conseil du développement et de la reconstruction ou du gouverneur de la Banque du Liban et du secteur bancaire. Tout cela n’est, pour l’heure, que diversion. Aujourd’hui, il y a urgence, il y a péril en la demeure. Toutes ces attaques ne serviraient plus à rien si le navire venait à couler.
Cela ne signifie aucunement qu’il faudrait dans une étape ultérieure tourner la page de ceux qui se sont rendus coupables d’irresponsabilité criminelle. Mais là aussi, il ne faut pas se tromper de cible. Les véritables responsables de la crise qui ébranle les fondements du pays ne sont pas les employés, les simples fonctionnaires ou même des hommes d’affaires, mais ceux parmi les politiques qui ont inondé les administrations publiques de leurs partisans oisifs et non productifs, ceux qui par leurs posture et aventures guerrières dans la région ont brisé la croissance économique en faisant fuir les investisseurs (et les touristes) étrangers et arabes, ceux qui tout en étant à la tête de l’exécutif n’ont rien fait pour stopper l’effondrement économico-social qui pointait assidûment à l’horizon, ceux qui dans leur exercice du pouvoir ont fait preuve d’affairisme sauvage sans se soucier outre mesure du quotidien du citoyen lambda.
Tous ceux-là devront tôt ou tard rendre des comptes. Mais dans l’immédiat, la priorité reste de parer au plus pressé, de concentrer toute la pression de la rue sur un objectif bien précis : mettre en place un gouvernement capable d’empêcher le navire de faire naufrage.
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EN AVANT CITOYENS ! RIEN D,AUTRE QU,UN GOUVERNEMENT DE TECHNOCRATES INDEPENDANTS. BANNISSEZ TOUT CE QUI VIENT DE -GOUPIL- ET DU -GENDRE- PAR ORDRE DU HEZBO !
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 15, le 14 janvier 2020