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Monde - Entretien

« En Iran, l’unité de façade créée par l’assassinat de Soleimani ne peut pas perdurer »

Azadeh Kian, professeure de sociologie politique à l’Université de Paris, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».


Des Iraniens rassemblés autour du véhicule transportant la dépouille mortelle du général Kassem Soleimani lors de ses funérailles dans sa ville natale de Kerman, le 7 janvier. Atta Kenare/AFP

À la suite de l’élimination par les États-Unis vendredi dernier du général iranien Kassem Soleimani, L’Orient-Le Jour fait le point sur les conséquences de cette action sur la scène interne iranienne avec Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran et professeure de sociologie politique à l’Université de Paris.


Qui était Kassem Soleimani aux yeux des Iraniens ?

Pour beaucoup d’Iraniens, Kassem Soleimani incarnait avant tout la puissance du régime islamique dans la région, puisqu’il dirigeait depuis les vingt-deux dernières années l’armée al-Qods, la branche extérieure des gardiens de la révolution. Ce qu’il représentait lui permettait donc de caresser le nationalisme des Iraniens dans le sens du poil. L’importance de Kassem Soleimani date du moment où il va en Irak et essaye d’organiser une résistance chiite et kurde contre Daech, alors qu’il n’y avait pas encore de forces de coalition en Irak pour lutter contre l’influence de l’État islamique. De ce fait, aux yeux de nombreux Iraniens, Kassem Soleimani a pu empêcher que les forces de Daech ne puissent traverser la frontière irakienne pour venir en Iran et semer le chaos. Il était donc connu comme un chef de guerre qui a lutté contre Daech et qui a réussi. C’est aussi une personnalité importante qui n’était pas associée à la corruption, contrairement à d’autres dirigeants en Iran, et son nom circulait à maintes reprises parmi les présidentiables. Autant d’éléments qui lui ont permis de gagner en popularité et ses funérailles le montrent. Bien que le régime ait mobilisé beaucoup d’Iraniens, un certain nombre de personnes qui n’aiment pas le régime ont tout de même participé à ses funérailles ou se sont dit très accablées par l’assassinat de Kassem Soleimani.


(Lire aussi : Edward Djerejian : L’assassinat de Soleimani rendra le Hezbollah plus prudent)


Les funérailles ont présenté l’image d’une nation unie. Est-ce véritablement le cas ?

Ce n’est pas une unité en faveur du régime, mais issue du patriotisme des Iraniens, dans le but d’éviter une guerre avec les États-Unis ou que l’Iran soit morcelé par exemple. En revanche, les mécontentements sont grands en Iran. Différents groupes sociaux se sont exprimés depuis 2009 dans des manifestations pour exprimer leurs désaccords avec la politique menée par le régime islamique sur les plans économique ou encore idéologique. En décembre 2017 et novembre dernier, on a vu des jeunes issus des classes populaires manifester leur mécontentement dans plus d’une centaine de villes iraniennes alors que ce sont des gens qui étaient censés être des piliers de ce même régime.

Par ailleurs, il n’y a pas eu de funérailles pour Soleimani dans les villes kurdes. Le Kurdistan et d’autres provinces frontalières qui sont souvent habitées par des minorités ethniques et religieuses, c’est-à-dire les non-Perses et les sunnites, sont moins développées que les provinces centrales d’Iran qui sont perses. Les Kurdes, les Baloutches, voire les Arabes, se sentent délaissés par les politiques publiques. Les mécontentements économiques sont encore plus grands que dans les provinces centrales auxquels s’ajoute le sentiment d’être minoré et réprimé davantage, ce qui est le cas.


(Lire aussi : Iran/USA : retour à la case départ ?)


Comment le régime peut-il tirer profit de cette séquence sur la scène locale? Que signifie cela pour le mouvement de contestation, déjà violemment réprimé le mois dernier ?

L’élimination de Soleimani va dans le sens des intérêts du régime iranien puisqu’elle a mis le pays en danger et que beaucoup d’Iraniens se sont manifestés dans la rue pour ses funérailles face à la menace qu’ils ont ressentie. Cela n’exprime pas toutefois un soutien pour le régime ou sa politique. Les familles des personnes qui ont été réprimées, dont le nombre s’élève à au moins plusieurs centaines sinon plus d’un millier, n’ont pas oublié la répression de leurs enfants et elles insistent pour que les responsables soient punis.

À l’heure actuelle, le moment est opportun pour le guide suprême Ali Khamenei pour annoncer un projet de réconciliation nationale. S’il le fait, on peut alors s’attendre à ce qu’il y ait une unité réelle au sein de la population. Or, il ne va pas dans ce sens, mais dans celui du renforcement des conservateurs et des ultraconservateurs en Iran. On peut donc s’attendre à ce que les conflits internes s’enveniment. L’unité de façade créée par l’assassinat de Soleimani ne peut pas perdurer, alors que les Iraniens ont du mal à survivre à cause de la crise économique, du chômage et du taux d’inflation très élevé. Tôt ou tard, ils vont manifester leur mécontentement.


Des élections législatives doivent avoir lieu le 21 février. La tendance dite « modérée » peut-elle l’emporter dans ce contexte ?

De nombreux députés actuels qui sont réformistes et qui ont pris la parole au Parlement pour contester la politique ultraconservatrice ou répressive du régime ne se sont même pas proposés pour présenter leurs candidatures. Ils estiment, à juste titre, que le Parlement ne sert à rien alors qu’il n’a absolument plus de pouvoir depuis ces quelques dernières années et que les parlementaires ont peur de parler. Le Parlement n’était même pas au courant de l’augmentation du prix de l’essence (décision qui a déclenché le dernier mouvement de contestation). Cela veut dire que pour le guide Khamenei et les chefs de l’exécutif judiciaire et législatif, le Parlement ne compte même pas. Seul le président du Parlement avait été inclus dans les discussions. L’assassinat de Soleimani renforce le guide et les conservateurs, et isole davantage les modérés et les réformateurs.

Les élections législatives ne présentent plus ainsi aucun intérêt pour les électeurs. De plus, le Conseil de surveillance, qui valide les candidats à toutes les élections, a refusé celle d’un certain nombre de personnalités réformatrices. Je pense que le taux de participation sera très bas et qu’en termes de candidats, les conservateurs vont se présenter et se faire élire par leur base.


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À la suite de l’élimination par les États-Unis vendredi dernier du général iranien Kassem Soleimani, L’Orient-Le Jour fait le point sur les conséquences de cette action sur la scène interne iranienne avec Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran et professeure de sociologie politique à l’Université de Paris.Qui était Kassem Soleimani aux yeux des Iraniens ? Pour beaucoup...

commentaires (1)

IL NE FAUT PAS OULIER QU,IL ETAIT ADULE PAR LA MOITIE DE LA POPULATION OU LES FANATIQUES DU REGIME MAIS HAI PAR L,AUTRE MOITIE.

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 53, le 10 janvier 2020

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Commentaires (1)

  • IL NE FAUT PAS OULIER QU,IL ETAIT ADULE PAR LA MOITIE DE LA POPULATION OU LES FANATIQUES DU REGIME MAIS HAI PAR L,AUTRE MOITIE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 53, le 10 janvier 2020

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