Tant d’événements se bousculent qu’on a l’impression d’avoir déjà épuisé en quelques jours plus de la moitié de la nouvelle année. 2019 s’est achevée au Liban par un effondrement salutaire, précipité par une impasse économique, résultat naturel d’un trop long train de mal-gouvernance. Face à une classe politique anachronique, qui croit encore redresser la barre avec les seules méthodes qu’elle connaisse – les mêmes qui ont conduit à cet échec cuisant –, se soulève une population grandiose et souveraine. Dans cette foule, on aura constaté en premier lieu le volontarisme des jeunes, des universités et des femmes, soutenus par les reliquats d’une classe moyenne en voie de disparition. Au seuil de la troisième décennie du XXIe siècle, après avoir bénéficié de trente bonnes années et de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour livrer un pays décent à la nouvelle génération, les gouvernants quasi inchangés depuis la guerre civile se montrent incapables de laisser derrière eux autre chose qu’une jachère. Le moment de leur chute est venu de lui-même, porté par leur grand âge, l’usure de leur pouvoir, l’impardonnable échec qui remet en question leur légitimité, l’opacité de leurs pratiques, leurs discours lamentables, leur communication navrante et surtout leur incapacité totale à répondre aux attentes de l’ère nouvelle. Car il ne fait pas de doute qu’aucun d’eux n’ayant apporté le moindre bienfait à ce pays, leur fin et celles de leurs dauphins est inéluctable. Ce n’est qu’une question de temps, et leurs gesticulations, leur déni effarant de la nouvelle donne, leur arrogance qu’ils prennent pour du panache, l’oblitération de l’atout communautaire (qu’ils ont vilement abattu en dernier recours), tout cela n’est que le prélude d’une sortie peu glorieuse.
Déjà craignant pour l’avenir immédiat, une grande majorité de Libanais dont les rangs vont inévitablement grossir a renversé bien des tabous. La crise économique va forcément accentuer le mépris envers les personnes, les suiveurs et les mentalités qui en sont supposés responsables.
En cet hiver rigoureux, chacun de nous songe à renouer avec les méthodes de survie ancestrales. Dans un pays qui importe presque tous ses besoins, à l’heure où nos moyens s’amenuisent, saurons-nous revaloriser l’agriculture, apprendre ou réapprendre le geste auguste, la conservation des aliments, la reconversion des déchets, l’économie de l’énergie et de toutes ressources ? Nous faudra-t-il créer des communautés autosuffisantes, des comités de salut public, établir une forme de service civique, une agence pour l’emploi telle que jamais ministère du Travail n’a réussi à en mettre sur pied ? Il est en tout cas certain qu’un tout nouveau mode de vie nous attend, et seuls deux choix s’offrent à nous : l’individualisme sauvage ou la solidarité salvatrice. Coup sur coup, la chute d’un demi-dieu, avec la mort du général Soleimani, et l’apparition d’un autre, avec l’arrivée rocambolesque au Liban de Carlos Ghosn, nous montrent qu’aucun des modèles qu’ils incarnent, ni la société guerrière, ni la société industrielle et capitaliste, ne répondent aux besoins de la nouvelle étape qui attend non seulement notre pays, mais la planète entière. Une nouvelle formule s’impose. Le Liban en sera-t-il le laboratoire ?
commentaires (9)
Le spectre du sacrifice des deux générations à venir se dessine ! La révolution n'est jamais aussi efficace que l'évolution ! Elle détruit tout sur son passage !
Chucri Abboud
21 h 31, le 09 janvier 2020