À la veille de Noël et après les journées et surtout les nuits mouvementées dans la rue, les milieux politiques restent partagés sur la suite des choses. Il y a d’un côté ceux qui voient dans la visite du secrétaire d’État adjoint américain David Hale et les signaux qu’il a voulu donner une attitude plus positive de la part de Washington à l’égard du Liban et un appui indirect à la désignation de Hassane Diab pour former le gouvernement, ainsi que les prémices d’un accord américano-iranien. Et d’un autre côté, il y a ceux qui croient que le Liban n’est pas encore sorti d’affaire et que la mission de Diab est semée d’embûches.
Pour les optimistes, le secrétaire d’État adjoint américain a sciemment voulu donner des indices positifs aux Libanais. Il s’est ainsi rendu au domicile du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et il a posé à ses côtés dans des photos apparemment détendues, démentant ainsi ceux qui avaient laissé entendre que le chef du CPL serait une cible de Washington en raison de ses positions sur la scène internationale favorables à la résistance du Hezbollah.
David Hale a aussi exprimé une position positive à l’égard du Premier ministre désigné Hassane Diab devant le président de la République, et dans ses déclarations à l’issue de ses rencontres avec les différentes parties libanaises, il a pris soin de ne pas évoquer les sujets qui divisent tels que les sanctions contre le Hezbollah (comme l’avait fait par exemple le visiteur américain qui l’avait précédé au Liban, David Schenker).
De nombreux analystes proches du Hezbollah, et du 8 Mars en général, avaient aussitôt vu dans ces indices une approche américaine plus pragmatique qui n’accorde plus la priorité à la lutte contre le Hezbollah à n’importe quel prix, dans le cadre de l’affaiblissement de l’Iran et de ses alliés dans la région.
Pour ces mêmes analystes, il y a deux courants aux États-Unis par rapport au Liban, le premier lié directement à la Maison-Blanche qui ne voit dans le Liban que l’influence du Hezbollah et les moyens de la circonscrire, et un autre lié aux institutions comme le département d’État et le Pentagone qui estiment que les États-Unis doivent conserver leur influence au Liban, même si cela signifie tolérer l’influence du Hezbollah dans le but à long terme de l’affaiblir.
Les propos tenus par David Hale au Liban auraient ainsi montré que le second courant l’avait emporté sur le premier et que la politique américaine au Liban était redevenue plus pragmatique et ne voulait pas d’un effondrement total du pays du Cèdre. Cela s’est en plus produit au moment où des rumeurs insistantes circulent sur une avancée dans les négociations indirectes menées entre la République islamique d’Iran et l’administration américaine par le biais du sultanat de Oman, du Pakistan et du Japon. Cet assouplissement américain devrait donc se traduire au Liban, et ce serait la raison de l’attitude plutôt positive de David Hale à l’égard de la désignation de Hassane Diab pour former le nouveau gouvernement.
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Ne pas sauter aux conclusions
Mais cette approche ne fait pas l’unanimité. Des milieux proches des Américains au Liban précisent par exemple qu’il ne faut pas sauter rapidement aux conclusions dans l’interprétation de la visite de David Hale au Liban. S’il est certain qu’en diplomate chevronné qui connaît bien le Liban, où il a été chargé d’affaires puis ambassadeur à deux périodes différentes, David Hale n’a pas insisté sur les sujets qui divisent, il a quand même, dans ses rencontres avec les différentes parties, précisé que les États-Unis poursuivront leur politique de sanctions contre le Hezbollah. Il aurait aussi déclaré que les États-Unis ne cherchent pas l’effondrement du Liban à n’importe quel prix, et dans leur lutte contre l’Iran, ils n’ont pas forcément besoin d’utiliser ce pays. Mais en même temps, ils attendent la formation du gouvernement et son programme de travail pour prendre les décisions qui s’imposent. En d’autres termes, rien n’est acquis pour le prochain gouvernement et il fera l’objet d’une surveillance stricte de la part des instances internationales et régionales. Ce qui signifie aussi que les décisions prises lors de la Conférence de la CEDRE ne suffisent plus à elles seules à sortir le pays de la crise, il faut un travail sérieux, crédible et transparent de la part du gouvernement.
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Toujours selon les mêmes milieux, le gouvernement en gestation a donc besoin de trois facteurs essentiels pour réussir à sortir le pays de la crise dans laquelle il se débat : le premier, c’est l’appui de la rue, le second, c’est l’appui et la coopération des forces politiques et le troisième, c’est l’appui des forces régionales et internationales. Or, ce troisième appui dépend des deux précédents. Mais jusqu’à présent, on peut dire que le Premier ministre désigné n’a pas encore réussi à obtenir l’appui de la rue et du mouvement de protestation. Certes, celui-ci est divisé et il est probable que certaines de ses composantes soient fatiguées et cherchent une sortie de crise, mais il y en a d’autres qui refusent de donner une chance au Premier ministre désigné sous prétexte qu’il a été choisi par le même système que le mouvement rejette en bloc. Ce qui pose aussi le problème de l’appui des forces politiques, dont le plus important est celui du courant du Futur, et de la rue sunnite en général, qui, jusqu’à présent, rejettent la désignation de Hassane Diab.
Les manifestations et les images d’émeutes qui se déroulent chaque soir dans certains quartiers ou régions à majorité sunnite depuis jeudi montrent que cette communauté est actuellement en colère et se sent lésée par la désignation d’une personnalité qui n’appartient pas aux familles politiques traditionnelles. Cette colère va-t-elle baisser et se calmer dans les jours qui viennent comme le pensent les sources proches du 8 Mars ? Selon ces sources, cette colère est un mouvement spontané qui n’a pas d’horizon, ni d’appui externe. Le Premier ministre désigné est une personnalité indépendante et il a dit lui-même qu’il compte former un gouvernement qui lui ressemble, c’est-à-dire regroupant des spécialistes eux aussi indépendants. Il n’y a donc pas une communauté qui est favorisée par rapport aux autres, mais au contraire un effort de la part de tous pour former une équipe cohérente et crédible capable de sortir le Liban de la crise.
À quel point cette logique peut-elle calmer les mécontents et rassurer les parties étrangères ? C’est une bien lourde responsabilité qui pèse sur les épaules de Hassane Diab.
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commentaires (9)
"Les États-Unis ne cherchent pas l’effondrement du Liban à n’importe quel prix". Cette phrase laisse entendre que les USA cherchent tout de même l'effondrement du Liban, même si ce n'est pas "à n'importe quel prix". On se demande bien pourquoi! Quel intérêt pourraient-ils y trouver? Bien au contraire, ils ont toujours soutenu le pays du Cèdre et continuent à le faire. Pas par charité chrétienne, bien sûr! Mais simplement parce que cela coïncide avec leur propre intérêt. Le problème des sunnites avec Diab n'est pas qu'il "n’appartient pas aux familles politiques traditionnelles", mais qu'il n'a pas été choisi par eux, qu'il a été nommé par le Hezbollah. Difficile alors de lui faire confiance. Et les sunnites ne sont pas les seuls à raisonner ainsi. Selon les sources proches du 8 mars, "cette colère est un mouvement spontané qui n’a pas d’horizon, ni d’appui externe." Tiens! voilà que, enfin, les Hezbollah et consorts reconnaissent que le mouvement populaire n'est pas soutenu, financé, manipulé, voire dirigé par les USA et l'Arabie Saoudite, ni non plus par Israël. Dont acte!
Yves Prevost
08 h 54, le 25 décembre 2019