Une fin d’année pas comme les autres, dans un pays qui, à commencer par son peuple, aspire à faire peau neuve…
Fête d’allégresse est, certes, la Nativité ; mais on oublie souvent qu’elle est aussi fête d’humilité ; il faut dire que les cadeaux au pied du sapin brillant de tous ses feux et les montagnes de dindes rôties et de foie gras consommés à cette occasion ne sont pas précisément faits pour évoquer l’avènement d’un Divin Enfant né sur la paille d’une étable et qui n’avait pour tout réchaud que l’haleine de l’âne et du bœuf. Voilà cependant que les Libanais vivent une ère d’austérité sans précédent. Par la faute de dirigeants indignes, nombre d’entre eux sont littéralement sur la paille ; les faillites et pertes d’emploi se multiplient à un train d’enfer, et les mieux lotis n’accèdent qu’au compte-gouttes à leurs maigres économies déposées dans les banques. Pour ces raisons, on ne saluera jamais assez le formidable élan de solidarité et d’entraide sociale qui accompagne la contestation populaire initiée le 17 octobre.
Toute fin d’année sonne l’heure des bilans. Largement positif, bien qu’encore partiel, est celui d’une révolution qui a transcendé toutes les barrières idéologiques, sectaires et psychologiques pour rassembler des millions de Libanais face à l’incurie et la corruption de leurs dirigeants. Mais décembre est aussi le moment où toute entreprise se doit de planifier de programmer, de s’attendre aux accidents de route et en prévoir la manœuvre de secours. Dès le premier jour, les échéances n’ont cessé de se bousculer : cruels dilemmes, véritables rébus parfois, qui commandaient de promptes parades pouvant s’avérer à double tranchant, des ripostes cinglantes ou de sages accommodements selon les cas. Inlassablement fidèle à son caractère pacifique, la révolution a admirablement résisté à la sauvagerie des cogneurs. Elle s’est prêtée à l’interdiction absolue de bloquer les routes car, sans évidemment préjuger de l’avenir, ce procédé avait rempli son office et menaçait de devenir contre-productif. Mais parce que le sectarisme n’a pas encore dit son dernier mot au Liban, c’est une rue parallèle, spécifiquement sunnite cette fois, qui, depuis le week-end dernier, s’agite à nouveau pour protester contre la désignation d’un nouveau Premier ministre non adoubé par sa propre communauté.
Tous et néanmoins personne : il est bien vrai, par ailleurs, que la révolution a tiré le gros de sa force d’un anonymat soigneusement préservé. L’apparition au grand jour d’une direction collégiale, dotée d’un plan d’action commun, attend sans doute le moment opportun. Dans l’intervalle cependant, et toute équivoque doit être fermement balayée sur ce point, commencent déjà à sévir les obscurs francs-tireurs acceptant de prendre langue avec le pouvoir à l’ombre d’un anonymat bien à eux. Dans le même ordre d’idée va inéluctablement se poser, sous la pression croissante de la crise économique, la question d’une stratégie de discussion reposant sur la claire définition d’une échelle des priorités : celles-là mêmes qui garantiront au mieux l’édification d’un État de droit, la naissance d’un Liban réellement nouveau.
Avant que d’en venir à la truelle, outil de base en matière de construction, la parole demeure à la pioche et à la pelle : la première pour continuer d’abattre mur après mur la forteresse mafieuse qui a longtemps été maîtresse de nos destinées ; et la seconde pour déterrer tous les scandales financiers qui ont tenu lieu de style et de méthode de gouvernement, afin qu’en soient sanctionnés les auteurs.
Situation oblige, les étrennes, ce sera cette fois la panoplie du parfait maçon.