Le président libanais, Michel Aoun, a lancé jeudi les consultations parlementaires contraignantes, plusieurs fois reportées, en vue de nommer le futur Premier ministre en remplacement de Saad Hariri qui a démissionné fin octobre, sous la pression de la rue qui manifeste depuis deux mois pour réclamer la chute de toute la classe dirigeante, et a annoncé mercredi renoncer à sa succession.
Hassane Diab, vice-président de l'Université américaine de Beyrouth (AUB) et ex-ministre de l'Education (2011-2014), est présenté comme le favori pour prendre la suite de Saad Hariri, après des semaines de tergiversations. En effet, selon des informations parues la nuit dernière dans plusieurs médias locaux, le Hezbollah, le mouvement Amal et le Courant patriotique libre se seraient accordés sur la nomination de Hassane Diab. A eux trois, ces mouvements contrôlent plus de 70 sièges au Parlement, qui compte 128 élus. Ingénieur de 60 ans, peu connu du grand public, Hassane Diab aura pour tâche de s'atteler à la crise politique et économique aiguë que traverse le pays depuis des semaines.
Au bord de l'effondrement économique, le Liban vit depuis le 17 octobre au rythme d'un soulèvement populaire inédit contre l'ensemble de la classe dirigeante, accusée de corruption et d'incompétence. Après avoir obtenu la démission de M. Hariri et de son gouvernement le 29 octobre, le mouvement réclame la formation d'un cabinet de technocrates, indépendants du sérail politique au pouvoir depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). La formation d'un gouvernement est par ailleurs présentée par la communauté internationale comme la condition sine qua none à toute aide financière en faveur du Liban.
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Hariri laconique
C'est le Premier ministre sortant qui a ouvert le bal des consultations parlementaires à Baabda. "Que Dieu vous bénisse tous. Je vous souhaite de bonnes fêtes", s'est-t-il contenté de déclarer à l'issue de son entretien de 10 minutes avec le chef de l'Etat. Mercredi soir, Saad Hariri, qui était pressenti pour être nommé à nouveau comme Premier ministre, a dit qu'il renonçait à diriger le futur gouvernement. "J'ai sérieusement œuvré à répondre à leur demande d'un gouvernement de technocrates, que je considérais comme le seul capable de résoudre la grave crise sociale et économique" du pays, a dit M. Hariri. Mais des "positions prises ces derniers jours sur la question de ma désignation" rendent impossible toute reconduction, a-t-il ajouté dans une claire allusion au veto des partis chrétiens Forces libanaises et du Courant patriotique libre à sa reconduction à son poste. M. Hariri s'est souvent présenté comme un partisan des réformes économiques pris en otage par les réticences de la coalition gouvernementale. Mais les manifestants le perçoivent comme un des représentants d'un système héréditaire et ankylosé.
Qui a nommé qui ?
Après l'entretien de MM. Aoun et Hariri, à 10h30, c'est l'ex-Premier ministre Nagib Mikati qui a été reçu par le chef de l'Etat à 10h45, puis l'ex-Premier ministre Tammam Salam à 11h. Les deux hommes ont annoncé qu'ils ne nommeraient personne. Le vice-président du Parlement, Elie Ferzli, a, lui, nommé Hassane Diab. "J'ai tout fait pour que Saad Hariri devienne Premier ministre en tant que principale composante de la communauté sunnite. Mais après son renoncement, il était urgent qu'un Premier ministre soit désigné et qu'un gouvernement soit formé. C'est pour cela que j'ai nommé Hassane Diab", a déclaré M. Ferzli à l'issue de son entretien avec le président Aoun.
Le bloc du Futur (18 députés au total, mais Bahia Hariri ne s'est pas présentée), affilié au Premier ministre sortant Saad Hariri, a annoncé qu'il ne nommerait personne pour le poste de Premier ministre. "Nous voulions un gouvernement de technocrates, mais cela ne s'est pas fait. Nous n'avons donc nommé personne", a déclaré Samir Jisr à l'issue de la réunion du bloc avec le président Aoun. La décision de ne nommer personne a été prise lors d'une réunion du groupe parlementaire à la Maison du Centre peu avant le début des consultations. "Félicitations, il y a une nomination", avait lancé M. Hariri au cours d'un bref échange avec des journalistes à l'issue de cette réunion, avant de se rendre au palais présidentiel.
Le bloc de la Fidélité à la Résistance (12 députés), affilié au Hezbollah, a sans surprise nommé M. Diab. "Nous nommons Hassane Diab et nous appelons à la coopération de tous pour sauver le pays de la crise", a déclaré le chef du bloc parlementaire Mohammad Raad à l'issue de sa réunion avec le chef de l'Etat.
Le bloc affilié au mouvement des Marada de Sleiman Frangié (5 députés) a lui aussi nommé Hassane Diab.
Première surprise de la journée, le bloc du Parti socialiste progressiste (9 députés), la formation du leader druze Walid Joumblatt, a décidé de nommer l'ambassadeur à l'ONU, Nawaf Salam, pour le poste de Premier ministre, affichant ainsi clairement son rejet d'un gouvernement de Hassane Diab. "Nous espérons la formation d'un gouvernement le plus rapidement possible pour résoudre la crise économique du pays", a déclaré Taymour Joumblatt, chef du bloc.
Le bloc centriste (4 députés) de M. Mikati n'a nommé personne pour la fonction de chef du gouvernement. "La non-nomination ne signifie pas qu'il n'y aura pas de coopération", a toutefois déclaré Jean Obeid, l'un des membres du bloc.
Le bloc du Parti syrien national social (3 députés) a nommé Hassane Diab. "Nous sommes attachés à la paix civile et à l'unité nationale", a déclaré Assad Hardane, l'un des députés du bloc.
A l'instar du PSP, le bloc des Kataëb (3 députés) a décidé de nommer Nawaf Salam, pour le poste de Premier ministre. "Nous avons décidé de nommer Nawaf Salam, un Premier ministre neutre pour diriger un gouvernement, conformément à la volonté du peuple qui se révolte et qui veut un changement de la réalité politique du pays", a déclaré le chef des Kataëb et député du Metn, Samy Gemayel, mettant en garde contre "la logique des alignements politiques" et un "retour en arrière".
Le bloc de la Rencontre consultative (5 députés), qui regroupe des élus sunnites pro-8 Mars, a nommé Hassane Diab pour "former un gouvernement de salut national", a annoncé Fayçal Karamé à l'issue de son entretien avec le chef de l'Etat.
Le bloc de la République Forte (15 députés), affilié aux Forces libanaises de Samir Geagea, a décidé de ne nommer personne pour diriger le nouveau gouvernement. "Conformément aux positions de principe que nous avons édictées, nous n'avons nommé personne", a déclaré le député Georges Adwane. "S'il n'y a pas de changement dans la façon d'appréhender les choses, alors notre pays continuera à s'enfoncer", a-t-il prévenu.
Fouad Makhzoumi, député sunnite de Beyrouth, dont le nom a circulé ces dernières semaines pour le poste de Premier ministre d'un gouvernement soutenu par le Hezbollah et ses alliés et Oussama Saad, député sunnite de Saïda et chef de Organisation populaire nassérienne, qui ont pris fait et cause à la contestation, ont décidé de ne pas nommer de Premier ministre. Pareil pour les députés indépendants Chamel Roukoz et Neemat Ephrem (affiliés dans le passé au Courant patriotique libre).
Jamil el-Sayyed, proche du Hezbollah, a pour sa part annoncé qu'il avait nommé Hassane Diab, sans pour autant garantir qu'il donnera la confiance au prochain gouvernement.
De son côté, Paula Yacoubian, la seule député issue d'une liste de la société civile, a nommé Halima Qaaqour, mettant en garde contre un "gouvernement de confrontation" et appelant à la formation d'un gouvernement composé de technocrates indépendants des formations politiques. L'ancien ministre Nouhad Machnouk a, lui, nommé Nawwaf Salam.
Edy Demirdjian, député de Zahlé, a, lui, décidé de ne pas prendre part aux consultations "conformément à la volonté des habitants de Zahlé". Par ailleurs, Michel el-Murr, député du Metn, ne s'est pas rendu au palais de Baabda pour des raisons de santé.
Le bloc du Développement et de la libération (17 députés), affilié au mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berry, a nommé Hassane Diab, ministre de l'Education dans le gouvernement de Nagib Mikati entre 2011 et 2014, pour diriger le nouveau gouvernement dans le cadre des consultations parlementaires contraignantes visant à désigner le futur Premier ministre.
Le bloc du Liban Fort (19 députés), dont le Courant patriotique libre (CPL) dirigé par Gebran Bassil est la principale composante, a nommé l'ex-ministre Hassane Diab pour diriger le nouveau gouvernement, après avoir été été reçu au palais de Baabda par le président libanais, Michel Aoun, dans le cadre des consultations parlementaires contraignantes visant à désigner le futur Premier ministre. "Le bloc a décidé de nommer Hassane Diab, qui est indépendant politiquement et dont l'expérience passée a montré qu'il est intègre", a déclaré M. Bassil. "Notre participation au gouvernement est secondaire, et nous ne sommes pas favorables à la présence de politiciens au sein du prochain cabinet. Le plus important c'est que soit formé un gouvernement jouissant de la confiance des Libanais et du Parlement, ainsi que de l'assentiment des parties arabes et internationales", a-t-il ajouté.
Le bloc de la "Garantie de la Montagne" (4 députés), affilié au leader druze Talal Arslane, et le bloc des députés arméniens du Tachnag (3 députés), ont également nommé Hassane Diab. Enfin, le député Michel Moawad, a nommé Nawaf Salam.
A l'issue des consultations, le chef de l'Etat s'est entretenu avec le chef du Législatif sur le résultat de ses entretiens. Hassane Diab est, lui, arrivé à Baabda à 18h05. Il s'est entretenu avec le président Aoun et le président de la Chambre qui est parti sans faire de déclaration laissant les deux hommes s'entretenir en tête-à-tête.
En vertu du système confessionnel de partage du pouvoir du Liban, le poste de Premier ministre revient à un membre de la communauté sunnite quand celui de président revient aux chrétiens maronites et la présidence de l'Assemblée nationale aux musulmans chiites.
Reste que M. Diab ne bénéficie pas de la couverture sunnite.
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commentaires (22)
Je pense qu'il est prudent de ne émettre une opinion négative avant de savoir à quoi le gouvernement va ressembler. La couleur d'un gouvernement ne se fait pas forcément selon les désignations du PM par les partis.
Shou fi
18 h 31, le 19 décembre 2019