Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a rejeté vendredi la formation d'un cabinet monochrome, qu'il soit composé des formations politiques du 8 Mars, bénéficiant de la majorité parlementaire et auquel le parti chiite appartient, ou de ses opposants politiques (notamment le courant du Futur de Saad Hariri, le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et les Forces libanaises de Samir Geagea), estimant que cette forme de cabinet n'était "pas dans l'intérêt du Liban". Lors d'un discours retransmis à la télévision trois jours avant les consultations parlementaires contraignantes pour la nomination d'un futur Premier ministre, le dignitaire chiite a appelé toutes les parties politiques à "assumer leurs responsabilités pour sortir le pays de l'impasse".
Depuis le 17 octobre, le Liban est en proie à une contestation sans précédent contre l'ensemble des dirigeants politiques, jugés incompétents et corrompus. Le mouvement a entraîné la démission du Premier ministre Saad Hariri, le 29 octobre dernier, mais les tractations pour la formation d'un nouveau cabinet traînent. M. Hariri a affirmé à maintes reprises qu'il n’acceptera de présider qu’un gouvernement de technocrates, libre de toute figure politique conventionnelle et doté de pouvoirs exceptionnels pour être en mesure de faire face à une crise exceptionnelle, alors que ces opposants politiques, le Courant patriotique libre (de Gebran Bassil) et le tandem chiite (Hezbollah et Amal, mouvement de Nabih Berry), prônent un gouvernement techno-politique. Les contestataires réclament eux aussi la formation d'un gouvernement de technocrates sans plus de retard. Jeudi, le chef du CPL avait annoncé que sa formation n'intégrerait ni un gouvernement composé de technocrates, ni un gouvernement techno-politique dirigé par Saad Hariri, affirmant que dans ces cas, le CPL rejoindra les rangs de l'opposition. Vendredi, le président Michel Aoun a réaffirmé son attachement à un cabinet techno-politique.
Dans son discours, Hassan Nasrallah s'est longuement attardé sur la crise gouvernementale actuelle, rappelant que sa formation était depuis le début de la contestation contre la démission du cabinet Hariri.
Non à un gouvernement monochrome
"Je m'étais dès le début opposé à la démission du gouvernement Hariri car la formation d'un cabinet au Liban est toujours compliquée et une crise institutionnelle n'est pas dans l'intérêt du Liban, dans la situation socio-économique actuelle", a lancé le leader chiite. "Si le gouvernement était resté en place, et que le mouvement de contestation s'était poursuivi en, le cabinet aurait été tout à fait prêt à préparer et mettre en œuvre des réformes", a-t-il indiqué, soulignant que depuis, la situation avait empiré. Il a notamment souligné, pour étayer ses propos, les problèmes rencontrés dans certains secteurs, comme le carburant et les boulangeries, les faillites de nombreuses entreprises et les "affrontements dans les rues". Depuis que le gouvernement a démissionné, "on ne parle plus de la faim, ni des opportunités d'emploi, mais de la formation du nouveau cabinet, et de ce que veulent, dans cette optique, les Américains et les Européens", a-t-il regretté.
"Nous sommes donc aujourd'hui face à cette situation. Les formations politiques et la majorité parlementaire doivent maintenant se concentrer sur la formation d'un gouvernement", a ajouté le chef du Hezbollah, indiquant que ces formations se trouvaient désormais devant quatre choix. Le premier est la formation d'un gouvernement monochrome, comprenant les partis composant la majorité parlementaire, notamment le CPL, le Hezbollah, le mouvement Amal et les Marada (de Sleimane Frangié). Estimant que cette option "viole le Pacte national et certains articles de la Constitution", le dignitaire chiite a souligné qu'"un gouvernement d'union nationale serait plus à même de protéger les intérêts du pays". "Tout cabinet qui veut résoudre la crise actuelle doit d'abord assurer que le pays est calme et stable, a-t-il souligné, estimant que cela ne pourrait pas être atteint dans le cadre de la formation d'un gouvernement monochrome, qui risque de provoquer des tensions et des surenchères politiques sur la scène interne". Il a encore affirmé qu'un tel gouvernement serait considéré par la communauté internationale comme "un gouvernement du Hezbollah, ce qui n'est pas dans l'intérêt du peuple libanais".
Hassan Nasrallah a également rejeté la deuxième option, celle de la formation d'un gouvernement monochrome des opposants politiques à la majorité (parlementaire) actuelle. "Comment un gouvernement monochrome pourrait-il faire face à une crise de cette ampleur ? Cette situation requiert la solidarité et la coopération entre toutes les parties, y compris le CPL. Un gouvernement monochrome, qu'il soit celui de notre partie ou celui de l'autre, serait un mauvais choix et n'aiderait pas à sauver le pays".
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"Les troisième et quatrième choix consistent dans la formation d'un gouvernement de partenariat national", ajouté Hassan Nasrallah, auxquels pourraient participer le mouvement de contestation, "ce qui ne pose aucun problème au Hezbollah". Selon la troisième option, le cabinet serait présidé par Saad Hariri, "qui a établi une série de conditions jugées impropres par notre camp, et dont certaines aboutiraient à l'exclusion d'autrui", a-t-il déclaré. La quatrième option serait un cabinet présidé par une personnalité qu'approuverait M. Hariri et le courant du Futur. "Nous sommes toujours favorables à cette option", a-t-il souligné, rappelant que dans ce cadre, les noms de plusieurs candidats sunnites avaient été proposés, ceux de Mohammad Safadi, Bahige Tabbara et Samir Khatib. "Nous n'avions proposé aucun de ces noms, mais les avions tous acceptés", a-t-il souligné. Hassan Nasrallah a encore souligné que la troisième option, d'un nouveau gouvernement Hariri, restait possible, si celui-ci "décide de lâcher du lest". "Le plus important, c'est que le cabinet puisse réaliser les réformes requises", a-t-il encore déclaré.
Le dignitaire chiite a affirmé que le bloc parlementaire de la Fidélité à la résistance "ne s'est jusqu'à présent pas accordé sur un nom spécifique" pour le poste de Premier ministre, mais exprimerait son choix lors des consultations. "Les consultations devraient avoir lieu lundi, nous espérons une nomination, celui qui aura le plus de voix sera désigné pour former le gouvernement", a indiqué le chef du Hezbollah. "Mais la formation (du gouvernement) ne sera pas une opération facile", a-t-il averti. "Jusqu'à maintenant, aucun nom ne suscite le consensus parmi les blocs parlementaires", a-t-il ajouté.
Relevant que le Groupe international de soutien au Liban, réuni mercredi dernier à Paris, avait appelé à la formation d'un gouvernement de réformes, le leader chiite a exprimé son accord avec cet objectif, tout en s'abstenant de se prononcer sur la forme que prendrait ce gouvernement. "On en parlera ultérieurement", a-t-il dit.
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Concernant ce qu'il a appelé la "situation sécuritaire", Hassan Nasrallah a dénoncé, une fois de plus, la fermeture des routes par les manifestants, accusant dans ce cadre certaines parties de vouloir "provoquer le chaos". Il a appelé les forces de sécurité et l'armée à "continuer à œuvrer pour garder les routes ouvertes, sans attendre des heures pour intervenir".
Le chef du parti chiite a encore démenti que des partisans du mouvement Amal et du Hezbollah aient été impliqués dans les "affrontements qui ont eu lieu dans la rue" et aient "attaqué et frappé" des manifestants au cours des dernières semaines. Le tandem chiite "contrôle fortement ses propres rues" et les attaques qui ont eu lieu dans certaines régions "sont dues à des provocations". "Nabih Berry et moi sommes d'accord sur le fait qu'il faut préserver le calme et éviter les tensions, qui ne sont pas dans notre intérêt".
Concernant la situation socio-économique, le dignitaire chiite a appelé le gouvernement de gestion des affaires courants à "accomplir ses devoirs et prendre ses responsabilités", et les Libanais à faire preuve de solidarité. Il a condamné les personnes qui "veulent profiter de la situation économique en haussant leurs prix, alors que les circonstances appellent à ce que tout le monde se montre solidaire".
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"Les Américains surfent sur la vague"
Au début de son discours, le secrétaire général du Hezbollah a dénoncé les ingérences des Etats-Unis dans les mouvements de contestation "au Liban et partout ailleurs dans le monde". "Les Américains surfent sur la vague (des contestations) pour leurs propres intérêts", a-t-il accusé. ll a ironisé sur le fait que les Américains avaient estimé, au début des manifestations au Liban, que ce mouvement avait été lancé "contre l'influence de l'Iran et contre le Hezbollah et les armes de la résistance". Fin novembre, l'ancien ambassadeur américain au Liban, Feltman, avait affirmé que le mouvement de contestation au Liban "coïncide fort heureusement avec les intérêts des Etats-Unis".
Hassan Nasrallah a encore dénoncé les déclarations du secrétaire d'Etat américain qui avait estimé lundi dernier que le rejet de l'Iran était à l'origine des mouvements de contestation populaires qui ébranlent le Liban et l'Irak et que les Libanais veulent "que le Hezbollah et l'Iran laissent le pays en paix". "D'où M. Pompeo a-t-il tiré ces informations selon lesquelles le peuple libanais considère que le Hezbollah est un danger pour le Liban", s'est-il interrogé. Le Hezbollah "est un danger pour les projets des Etats-Unis et des Israéliens mais pas pour le peuple libanais", a-t-il lancé.
commentaires (13)
Ha ha ha ! Les USÂ et les Ayattollahs que font ils ?
Eleni Caridopoulou
21 h 21, le 14 décembre 2019