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Économie - Conférence

Restitution des fonds détournés : a-t-on vraiment besoin d’une nouvelle loi ?

La récupération des fonds pillés se heurtera à plusieurs obstacles, dont le secret bancaire.

Une photo du Palais de justice, à Baabda, le 1er novembre 2019. Issam Abdallah/Reuters

S’ils dénoncent l’inefficacité et la corruption de la classe politique en plein contexte de crise économique et financière, les Libanais, mobilisés à travers tout le pays depuis le 17 octobre, restent nombreux à considérer le traçage et la restitution des fonds publics détournés comme une priorité incontournable de tout effort d’assainissement de l’État.

Avant sa démission, le 26 octobre, le Premier ministre Saad Hariri s’était engagé à appuyer l’adoption d’une loi de « restitution des fonds pillés ». Mais l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic) estime de son côté que le pays pourrait se contenter d’amender sa législation existante. Une position partagée par le Club des juges qui s’est récemment mobilisé sur ce dossier. « Les lois déjà en vigueur sont bien conçues mais ont besoin d’être aménagées parce qu’elles contiennent certaines ambiguïtés et carences. Mais si on décide d’adopter une nouvelle loi, il faudra la rédiger de manière à écarter tous les conflits et confusions avec les textes existants », résume le président de l’Aldic, l’avocat fiscaliste Karim Daher. « Nous ne devons pas attendre l’aide technique d’institutions internationales (…), nous devons créer et améliorer nos propres outils », insiste-t-il. Mercredi dernier, le président de l’Aldic avait développé cette question avec celle du secret bancaire lors d’une conférence organisée par la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph (USJ) au centre-ville de Beyrouth, dans les espaces investis par la société civile en marge des manifestations.



Économie libérale
Pour l’Aldic, comme pour le Club des juges – une association de magistrats qui s’est fixé pour mission de lutter contre la corruption et de renforcer l’indépendance de la justice – une des principales difficultés auxquelles se heurterait une procédure visant à récupérer des fonds détournés n’est autre que le secret bancaire, institué par la loi du 3 septembre 1956 sur une proposition du député Raymond Eddé.

Le Liban était alors le seul pays du Moyen-Orient à avoir un régime politique et économique libéral, tandis que des pays comme la Syrie, l’Égypte et l’Irak faisaient fuir les détenteurs de capitaux à coups de nationalisation. Dans ce contexte, Raymond Eddé a implémenté le secret bancaire pour renforcer l’attractivité du Liban en permettant aux banques locales d’opposer une fin de non-recevoir à toutes les demandes provenant des autorités étrangères.

De fait, la loi impose aux directeurs et employés des établissements bancaires un devoir de confidentialité « absolue », qui leur interdit de « divulguer à quiconque, qu’il soit individu privé ou autorité publique administrative, militaire ou judiciaire, les noms des clients, leurs avoirs et les faits les concernant ». En 2001, une nouvelle loi (n°318/2001 remplacée par la suite par la loi

n° 44/2015) a permis à la « commission d’enquête spéciale » (la SIC) de demander la levée du secret bancaire sur des comptes jugés suspects en matière de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

Un mécanisme que le Club des juges a souhaité activer en notifiant officiellement la SIC jeudi de la requête qu’elle avait formulée dix jours plus tôt pour geler et enquêter sur les comptes supérieurs à 750 millions de livres (500 000 dollars) de tous les responsables du pays.

Le recours à la SIC n’est toutefois pas le seul moyen qui existe pour lever le secret bancaire. La loi du secret bancaire de 1956 offre par exemple trois possibilités de le faire. Premièrement, le titulaire du compte peut le demander à sa banque via une demande écrite dans laquelle il précise à qui il donne accès à ses informations bancaires (personne, institution, avocat ou autre). Le secret bancaire peut également être levé en cas de faillite ou encore en cas de litige judiciaire entre la banque et le titulaire concernant une transaction bancaire. Un quatrième cas est applicable lorsque l’individu est visé par une enquête pour enrichissement illicite, une infraction prévue par la loi 154/1999.


Enrichissement illicite
« Cette loi regroupe tous les éléments dont nous avons besoin pour récupérer les fonds publics pillés », a assuré Me Daher pendant sa conférence. Le texte permet d’incriminer l’enrichissement des employés de la fonction publique par la corruption et l’usage abusif de leurs prérogatives. Les fonctionnaires et les agents des services publics du niveau de la troisième catégorie et plus doivent déclarer leur patrimoine dès leur entrée en fonctions.

Il reste que ce texte doit être modifié pour être plus efficace, considère l’Aldic. « Il faudrait ajouter aux employés de la fonction publique tous les agents, concessionnaires et compagnies du secteur privé qui ont bénéficié de contrats et ont entrepris des projets dans le secteur public », affirme Me Daher. « Un des points positifs de cette loi est qu’un ministre n’exerçant plus sa fonction peut être poursuivi en justice, et s’il est décédé ses héritiers seront poursuivis par la loi sur le seul plan pécuniaire de remboursement de l’indu et ce, dans le cadre des délais de prescriptions qui ne commencent à courir qu’à dater de la découverte de l’infraction ou du délit. »

Le Liban a, en outre, ratifié la Convention des Nations unies contre la corruption, créée en 2003 via la loi n° 33 (16/10/2008). Cette convention est le premier instrument international juridiquement contraignant de lutte contre la corruption. Elle est entrée en vigueur le 14 décembre 2005 et traite les aspects les plus importants de la lutte contre la corruption que sont la prévention, l’incrimination, la coopération internationale et le recouvrement d’avoirs.

Dans les faits, cette loi permet aux autorités de récupérer les fonds dilapidés ou pillés en deux étapes. La première étant le gel des fonds, qui se fait après la présentation d’indices à l’État à qui on demande de livrer les informations ou de prendre des mesures conservatoires. La loi 33 exige que l’État qui sollicite les informations présente une demande d’informations à l’État où les biens (meubles, immeubles, fonciers, etc…) se trouvent. Ce dernier prend sa décision selon sa propre appréciation.

La deuxième étape concerne la récupération des biens. Cette requête doit être appuyée par une décision judiciaire. « Contrairement à ce qu’un groupe de journalistes a suggéré, la rédaction d’une pétition aux autorités étrangères pour récupérer ces fonds est impossible en l’état actuel des textes internes ou conventionnels en vigueur », affirme Me Daher. « Les autorités étrangères distinguent le secret professionnel du secret bancaire : les banques, qui ont laissé tomber le premier au détriment du second, ne communiquent pas d’informations aux individus, mais aux États et autorités judiciaires. »


Nouvelle législation ?
Le président de l’Aldic affirme en outre qu’un changement de loi est impératif pour lancer une procédure contre un ancien ou actuel Premier ministre, ministre ou député accusé d’enrichissement illicite. La procédure judiciaire actuelle est la suivante. D’abord, 20 % des parlementaires doivent avancer une demande pour poursuivre en justice l’individu suspecté. Ensuite, un vote à la majorité absolue au Parlement est requis pour charger une commission d’enquête parlementaire spéciale (formée d’un président et de deux membres titulaires ainsi que de trois députés suppléants élus par le Parlement selon la procédure de l’article 22 de la loi n° 13 du 18/08/1990) d’examiner les documents présentés.

Les résultats de l’enquête seront par la suite soumis au vote du Parlement pour une mise en accusation à la majorité des deux tiers des membres du Parlement avant d’être présentée (en cas d’accusation) à la Haute Cour chargée de juger les présidents et les ministres (formée de 7 députés élus par le Parlement et de 8 magistrats), qui devra passer un vote aux deux tiers pour juger l’individu accusé. « Cette procédure dépend du Parlement vu que plusieurs décisions sont soumises à un vote par les députés », explique Me Daher.

« La loi 154/1999 devrait être modifiée de façon à inclure le droit de récupérer les fonds pillés. Il n’y a aucun besoin de voter une nouvelle loi qui risquerait d’en contredire une autre et de compliquer la procédure. On pourrait ajuster les textes existants et rajouter un chapitre 5 qui serait consacré aux procédures de saisie et de récupération des fonds pillés. C’est d’ailleurs ce qui est prévu dans les nouveaux projets de loi soumis au Parlement », suggère encore le président de l’Aldic.

Pour optimiser la situation, Me Daher suggère de compléter et / ou d’appliquer une série de lois importantes telles que celle relative à l’indépendance de la justice, la loi 83/2018 pour protéger les détecteurs de corruption et la loi 28 du 10/02/17 ratifiant le droit d’accès à l’information qui permet en principe à tout citoyen de prendre connaissance des données relatives aux dépenses engagées par les différents ministères et institutions publiques. Ces deux dernières lois nécessitent, pour leur mise en application effective, la création de l’Autorité nationale pour la lutte contre la corruption ainsi que l’adoption de décrets d’application. Pour lui, l’implémentation de ces lois bénéficiera à la transparence dans le secteur public et à la lutte anticorruption.


Évasion fiscale
Un autre moyen pour récupérer les fonds pillés cachés à l’étranger serait par le biais de la loi n° 55 du 27/10/2016, relative à l’échange d’informations à des fins fiscales, qui permet l’obtention de renseignements demandés par les autorités étrangères sur les résidents dans leur pays et ce conformément aux dispositions des accords internationaux signés avec le Liban, notamment l’accord multilatéral pour la transparence et la coopération technique dans le domaine fiscal.

À ce titre, il serait possible d’identifier des cas d’évasion fiscale comme par exemple le fait d’obtenir une assistance financière sans contrepartie hors des cas et limites prévus par les lois électorales. L’article 16 de la loi sur les droits de succession oblige chaque individu qui touche plus de 1 600 000 livres libanaises (1 067 dollars), d’une personne dont il n’est pas parent, et sans contrepartie, de payer des frais de succession s’élevant à 45 % du montant touché dans un délai de 90 jours. Dans le cas où l’individu concerné ne paie pas la somme due, il se rend coupable d’évasion ou de fraude fiscales.

Karim Daher explique que l’article 57 de la dernière loi de finances n° 144/2019 qui définit l’évasion fiscale et la loi 44/2015 qui l’incrimine, lève le secret bancaire et envoie le dossier de l’individu concerné pour instruction, aident l’État, dans le cadre de la loi n° 55/2016. Les autorités peuvent demander aux pays étrangers de leur donner les informations financières relatives à cette personne ou au bénéficiaire économique (Ultimate beneficial owner) qui est le véritable propriétaire d’une société offshore (opaque) voir un trust ou une fondation qui perçoit les fruits ou bénéfices du montage.

Dans ce cas, l’argent caché dans des trusts, entreprises étrangères ou même dans les comptes d’autres personnes peut être trouvé. L’individu accusé sera par la suite jugé selon les dispositions des lois en vigueur et notamment la loi n° 156 du 16/09/1983 amendée par la loi n° 276/93 (jusqu’à un an de prison) ainsi que la loi n° 44 du 24 novembre 2015 pour le blanchiment dont l’évasion fiscale est devenue un des chefs d’inculpation (3 à 7 ans de prison). De plus, la loi n° 33/2008 précitée prévoit à l’article 54 la confiscation des biens et fonds illicites dans les cas de crimes de blanchiment d’argent auquel l’association des lois susvisées donne aujourd’hui accès. C’est une façon de contourner la difficulté prévue dans la saisine et le jugement de la Haute Cour.


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commentaires (3)

Cet article explique enfin pourquoi le président et sa troupe prennent leur temps pour former un nouveau gouvernement propre étranger à ces magouilles. Qui va juger qui? Ils ont tous pioché dans les caisses et encaissé des pots de vin pour des projets qui n’ont jamais vu le jour. On apprend aussi q’u Une fois hors du gouvernement il seront jugés comme un citoyen lambda. Comment voulez-vous qu’il décroche leur mâchoires pour lâcher leur prise? Il nous reste quand même la possibilité de la faillite. Si faillite il y a, le secret bancaire tombe illico. Alors prenez votre temps nous ne sommes plus pressés. Et on reconstruira le pays avec des gens aux mains propres loins de tous ces trafiquants sans vergogne et nous saurons enfin qui a volé quoi.

Sissi zayyat

20 h 14, le 05 novembre 2019

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Commentaires (3)

  • Cet article explique enfin pourquoi le président et sa troupe prennent leur temps pour former un nouveau gouvernement propre étranger à ces magouilles. Qui va juger qui? Ils ont tous pioché dans les caisses et encaissé des pots de vin pour des projets qui n’ont jamais vu le jour. On apprend aussi q’u Une fois hors du gouvernement il seront jugés comme un citoyen lambda. Comment voulez-vous qu’il décroche leur mâchoires pour lâcher leur prise? Il nous reste quand même la possibilité de la faillite. Si faillite il y a, le secret bancaire tombe illico. Alors prenez votre temps nous ne sommes plus pressés. Et on reconstruira le pays avec des gens aux mains propres loins de tous ces trafiquants sans vergogne et nous saurons enfin qui a volé quoi.

    Sissi zayyat

    20 h 14, le 05 novembre 2019

  • IL Y A BESOIN D,UNE NOUVELLE LOI ECLAIRCIE ET D,UNE EQUIPE INTEGRE POUR L,APPLIQUER.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 08, le 05 novembre 2019

  • C'est le serpent qui se mord la queue. Tant quon aura pas tranché dans le vif, les pilleurs de l'état libanais resteront impunis. Surtout quand on demande aux pilleurs eux-mêmes de nous faire des lois.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 38, le 05 novembre 2019

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